Mâchoires. Mónica Ojeda
Voici un roman dont la lecture
est une expérience sans pareil, sur le fond comme sur la forme. Le titre est
une référence à une citation de Jacques Lacan, tirée de L’envers de la
psychanalyse (Le Séminaire, Livre XVII):
« Un grand crocodile dans la bouche duquel vous êtes — c'est ça, la
mère. On ne sait pas ce qui peut lui prendre tout d'un coup, de refermer son
clapet. C'est ça, le désir de la mère. » Les relations mère/enfant (ou
plutôt mère/fille) ne sont pas la seule inspiration de Mónica Ojeda. Mâchoires
est un roman patchwork, tissant des liens entre psychanalyse et littérature
gothique, depuis Edgar Allan Poe et H. P. Lovecraft, en passant Stephen King et
Stephenie Meyer. Les dialogues lapidaires entre personnages (désignés
uniquement par leurs initiales) alternent avec les monologues schizophréniques d’une
enseignante et les souvenirs hallucinés d’une adolescente victime de
manipulations. Je ne saurais dire à la fin si j’ai aimé ce livre tant je l’ai trouvé
perturbant. Il y a des moments où j’ai pensé que la romancière équatorienne allait
un peu trop loin dans le délire ; d’autres où je me suis dis que la
construction de l’intrigue était originale.
Le roman est en fait une sorte de
huis clos féminin dont les pères sont totalement absents. Après la brève
apparition d’un groupe d’étudiants en médecine (bien vite écarté par les
héroïnes), la seule figure masculine du récit est le professeur de théologie du
Collège-Lycée bilingue Delta, High-School-for-Girls. Il s’agit d’un établissement
catholique de l'Opus Dei pour jeunes filles fortunée de Guayaquil. L’une des
élèves, Fernanda, a été kidnappée par sa professeure de lettres, Miss Clara. Celle-ci
la retient prisonnière dans une cabane au milieu de la mangrove ou de la jungle.
On apprend plus loin que Clara López Valverde, surnommée Madame Bovary latina à
cause de sa ressemblance avec l’héroïne de Flaubert (sur le dessin de
couverture du livre), a elle-même été victime d'une agression quelques mois
plus tôt. Il s’agit sans doute de l’un des éléments déclencheurs de sa folie, sans
compter un pathologique attachement vampirique pour sa mère décédée. Toute
l’intrigue repose donc sur une énigme : pourquoi a-t-elle choisi cette
adolescente en particuliers et non une autre jeune fille de la même classe ? Or,
il s’avère que Fernanda et ses amies forme un groupe rebelle à l’autorité de
leurs enseignants ; les parents étant généralement défaillants. Les jeunes
filles se créent un univers propre, extrêmement malsain, inspiré de leur
fascination pour les pratiques sectaires et les "Creepypastas" (sorte de légendes
urbaines diffusées sur Internet). Elles s’inventent des rituelles de plus en
plus dangereux et des jeux saphiques très pervers… des ingrédients propices au
drame.
Extrait :
« — On se raconte des histoires d’horreur ! lança Fernanda, inspirée par Fais-moi peur ! sur Nickelodeon, une série des années quatre-vingt-dix qu’elle avait découverte grâce à une vidéo de PlayGround, dans laquelle un groupe de jeunes se réunissait autour d’un feu de camp pour se raconter des histoires d’épouvante.
— Ça marche, on peut essayer, dit Annelise. Mais il nous faut quelques règles.
La première stipula que les histoires devraient être racontées au deuxième étage, dans la pièce sans fenêtres que Fernanda avait repeinte en blanc ; la deuxième, que ces séances auraient lieu une fois par semaine ; la troisième, qu’une seule histoire serait racontée par séance ; la quatrième, que la personne qui raconterait l’histoire serait tirée au sort; et la cinquième – peut-être la plus importante –, que celle qui raconterait une histoire qui ne faisait pas peur se verrait imposer un défi choisi par le groupe. »
📚D'autres avis que le mien : Ingannmic, Keisha
📌Mâchoires. Mónica Ojeda. Gallimard, 320 p. (2022)
Te voilà en pleine thématique latino ! Celui-ci ayant été lu par un blogueur en février, je l'avais déjà noté, et il a rejoint mes étagères en prévision de l'édition 2023... je suis très impatiente de le lire..
RépondreSupprimerOui, en effet, je voulais rattraper mon retard en la matière. Mais puisqu'il y a le mois latino je vais attendre février prochain pour les autres
RépondreSupprimerJe viens de le lire, heu, pas trop mon truc, mais bon, c'est une expérience.
RépondreSupprimerJe suis allée voir sur ton blog mais je n'ai pas trouvé le billet sur "Mâchoire". J'aimerais bien ajouter le lien, si tu en écrit un.
Supprimer