Le naufrage de Venise. Isabelle Autissier
Isabelle Autissier présente son livre comme un roman d’anticipation. Sans spolier entièrement l’intrigue, on peut mentionner que l’ouvrage s’ouvre en effet sur une scène d’apocalypse : Venise, la sérénissime, n’est plus. La cité des doges a été submergée par l’acqua alta (littéralement, « hautes eaux »). Le système d’écluses MOSE (en référence à Moïse) n’a pas pu la sauver. C’est ainsi qu’un matin, les Vénitiens se sont réveillés dans les décombres vaseuses de la cité lacustre. Comment cela a-t-il pu arriver ? La ville était menacée par les inondations et l’enlisement. Oui, et alors ? D’aucuns répétaient que cela faisait presque 10 siècles qu’elle résistait à tous les assauts.
Contrairement au romancier japonais Sakyo Komatsu dans La Submersion du Japon, Isabelle Autissier ne s’attarde pas longtemps sur « l’après ». Là n’est pas son propos. Ce qui intéresse l’auteur c’est « l’avant », le déni quasi unanime des Vénitiens. Dans cette affaire, elle distingue trois camps, représentés par les membres d’une même famille. Guido Malegatti, le père, est conseiller aux affaires économiques de la ville. C’est un parvenu, un fils de paysan, qui a fait fortune dans l’immobilier avant d’épouser une notable désargentée. Il est partisan du tourisme de masse qui, pense-t-il, fournira des emplois aux électeurs des frazioni (localités) moins favorisées de Mestre et Marghera. Sa fille Léa, est une farouche représentante du « camp des Cassandre ». Elle milite activement contre le Veniseland de son père. Entre les deux, la voix de Maria Alba, l’épouse de Guido et la mère de Léa, n’est qu’un murmure. Cette descendante des Dandolo de Cantello, une famille qui a donné plusieurs doges à la ville, se languit de la Venise élitiste et surannée de ses ancêtres.
On connaissait Isabelle Autissier, la navigatrice (première femme à avoir fait le tour du monde en solitaire en 1991) puis la romancière (primée à plusieurs reprises) et la femme engagée (présidente d'honneur du WWF-France, ambassadrice de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE)... Dans ce roman, elle coiffe sa casquette d’écologiste pour nous alerter sur les conséquences de la politique de l’autruche en matière de risques environnementaux. On l’aura compris, le cas de Venise a vocation à une prise de conscience universelle.
Le lecteur comprend immédiatement qu’Isabelle Autissier sait de quoi elle parle. Le roman est très bien documenté et on y apprend beaucoup. Pour autant, l’auteur n’a pas choisi de s’exprimer à travers un essai mais par le biais du genre romanesque. Et c’est une réussite. L’écriture est belle et fluide, le roman est agréable à lire et on a envie de suivre les personnages jusqu’au bout de leur histoire.
Extrait :
"Ce soir-là, il avait fait annuler son dîner avec les représentants de la chambre de commerce de Milan. Ce n’était pas un gros sacrifice, ces arrogants l’insupportaient, même s’il avait besoin d’eux. Mais la marée haute était annoncée pour 23 heures, juste au moment où il aurait alors dû rentrer à la maison. Depuis deux jours on ne parlait que de l’acqua alta qui arrivait, et les services météorologiques l’avaient prévue sévère. Tous les signaux étaient au rouge. Il pleuvait depuis près de trois semaines. Le Pô, l’Adige, la Brenta débordaient et, malgré les innombrables aménagements au cours des siècles, avaient contribué à faire monter le niveau dans la lagune. La tempête s’annonçait forte. Elle avait déjà ravagé les côtes de Sicile. Plus embêtant, son passage allait coïncider avec l’heure de la haute mer et les forts coefficients de la nouvelle lune. Depuis le matin le sirocco soufflait son haleine tiède mais brutale, qui retroussait comme des babines les eaux du Grand Canal. Ce vent allait pousser les eaux de l’Adriatique vers le nord, les obligeant à s’engouffrer par les passes du Lido et s’opposant à leur décrue. Bref toutes les conditions étaient réunies pour une forte inondation."
📌Le naufrage de Venise. Isabelle Autissier. Stock, 200p.
(2022)
Cela m'a l'air fort intéressant. Venise souffre, de toute façon.
RépondreSupprimerTrès très tentant, je note immédiatement !
RépondreSupprimerLe roman est très intéressant, en effet. J'y ai appris beaucoup de choses sur Venise et le système MOSE (acronyme de MOdulo Sperimentale Elettromeccanico ou « module expérimental électromécanique »)
RépondreSupprimerJe l'ai entendue parler de ce livre et je pense qu'il peut vraiment faire prendre conscience des dangers auxquels Venise est confronté, et le reste du monde aussi d'ailleurs.
RépondreSupprimerBonjour. Merci pour ce message. En effet, il est temps d'ouvrir les yeux. C'est le message de l'auteur.
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