La traversée des sangliers. Zhang Guixing

La traversée des sangliers. Zhang Guixing


 Nous sommes en décembre 1941. Quelques jours après le bombardement de Pearl Harbor, les Japonais débarquent sur l’île de Bornéo. Dans le Sarawak, ils se heurtent à la communauté chinoise du Bouk aux Sangliers à Krokop. L’instituteur organise une kermesse pour récolter des fonds et la résistance s’organise autour d’un certain Tzo Da-dy, fameux chasseurs de Suidés en d’autres temps. Avec lui, des figures du village prennent le maquis comme Kwan la Face Rouge ou Plat-Pif. Dans un camp, comme dans l’autre, la répression sera sans pitié. 

Comment choisit-on un livre ? Pour ma part, j’use de plusieurs tactiques, sachant que la meilleure consiste toujours à demander conseil à son libraire. D’accord, mais j’utilise une liseuse. Du coup, je me rabats sur les médias à ma disposition (émissions littéraires, journaux, blogs). Bref, quand je lis des critiques dithyrambiques simultanées dans Le Monde, Libération, Livres Hebdo et même Le Figaro… en toute logique, je cède. C’est ainsi que je me retrouve avec un ovni comme La traversée des sangliers, entre les mains. Evidemment, je n’ai pas fait que le tenir, je l’ai ouvert, je l’ai même lu jusqu’au bout et j’en ai pris plein la figure ! Des larmes, du sang, de la sueur, de l’urine et le reste. Bref, c’est la mousson, les décapitations à gogo ; c’est la jungle en guerre contre les japonais, les guérilleros en manque d’opium, les Dayaks (ces chasseurs de têtes autochtones) qui ramènent leur grain de sel, les hommes en manque de sexe, les femmes et les enfants qui subissent les pires horreurs. Cette folie se reflète dans la chronologie capricieuse qui entraîne le lecteur dans un tourbillons d’évènements déroutants, parfois déformés par les effluves de drogue ou les écrans de fumée de magie noire (on ne sait plus très bien). Les descriptions semblent s’enrouler telles des lianes tant elles sont volubiles, et la multitude de personnages défilant dans ce décors luxuriant et moite finit par égarer un peu le lecteur lambda que je suis. Néanmoins, ça vaut le coup de s’accrocher. 

Oui, il faut aller au bout de cette œuvre pour en apprécier la construction et ses détours. Oui, Zhang Guixing nous livre « un roman puissant, sauvage et magnifique (…) Dans une langue flamboyante » comme promis sur la quatrième de couverture. Oui, contre toute attente, j’ai apprécié le tour de force de l’écrivain. Et oui, je recommande de le lire même si je ne peux pas dire que j’ai aimé son livre. Il contient trop d’horreurs et sans doute trop de vérités sur la nature humaine, qu’on souhaiterait abandonner dans un bourbier au fin fond de la jungle à l’instar d’un des personnages de ce roman. Un autre s’est suicidé, quelques années après la guerre, et on finit par comprendre pourquoi. D’ailleurs, c’est tout le but de cette intrigue sans véritable héro : montrer que les « monstres » ne sont pas tous où on les attend.

Zhang Guixing est né en 1956 dans la province du Sarawak en Malaisie. Il y a passé son enfance et son adolescence. En 1976, comme bon nombre de Sino-Malais, il part étudier à Taïwan. Il y vit toujours et y enseigne l’Anglais. La traversée des sangliers, paru à Taïwan en 2019, a été récompensé par plusieurs prix littéraires, parmi lesquels le Taiwan Literature Award, le Golden Tripod Award ou le Taipei Book Fair Award. Depuis les années 1980, Zhang Guixing a publié plusieurs nouvelles et romans. Son premier roman, Le chant des sirènes, a été publié en 1992. Il s’agit du premier volet de la Trilogie de la forêt vierge. Les deux volumes suivants sont Népenthès et Ma belle endormie des mers du Sud (non publiés en Français à ce jour). Il est également l’auteur de La harde d’éléphants dont on peut lire des extraits en Français dans le numéro 7 de la revue Jentayu. 

La traversée des sangliers. Zhang Guixing. Picquier, 600 p. (2022)


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