Haruki Murakami, Le septième homme et autres récits. Deveney & Pmgl

 

Murakami, Le septième homme et autres récits. Deveney & Pmgl

Adapter les textes d’Haruki Murakami en bande-dessinée était sans doute une idée bien audacieuse. En ce qui me concerne, je ne vais pas en faire mystère, je trouve le pari parfaitement réussi. Les illustrations servent le texte à merveille. Non seulement, elles restituent l’ambiance des nouvelles mais elles apportent un éclairage supplémentaire. Je trouve que c’est un excellent moyen d’aborder l’œuvre du grand écrivain japonais. Pour ma part, en tout cas, je me suis souvent demander par quel livre commencer. Plutôt un recueil de nouvelles ? C’est souvent le choix que je fais lorsque je crains de ne pas apprécier l’œuvre à sa juste valeur. Les textes courts permettent de s’imprégner de l’univers de l’auteur, tout doucement, sans s’écœurer. Cette adaptation est justement un florilège de nouvelles tirées de plusieurs recueils :  L'éléphant s'évapore (Sommeil et La seconde attaque de la boulangerie), Des hommes sans femmes (Samsa amoureux et Shéhérazade), Après le tremblement de terre (Crapaudin sauve Tokyo et Thaïlande) & Saules aveugles, femme endormie (Où le trouverai-je, Le Jour de ses vingt ans et Le septième homme). 

Il se trouve que le projet de Jean-Christophe Deveney et de Pierre-Marie Grille-Liou (aka Pmgl) a mis une bonne dizaine d’années à se concrétiser. Il leur a fallu contourner bien des obstacles avant qu’Haruki Murakami ne donne sa bénédiction pour l’adaptation de la nouvelle intitulée Crapaudin sauve Tokyo et les autres à venir. C’est d’ailleurs l’écrivain lui-même qui a convaincu son éditeur au Japon de publier la BD. De fait, l’album de Jean-Christophe Deveney et Pmgl est d’abord paru au Pays du Soleil Levant avant d’arriver en France. C’est un épais volume qui regroupe les adaptations de 9 nouvelles, complétées par un petit dossier d’informations et de croquis. A chaque histoire correspondant un univers différent mis en valeur par le graphisme ou les couleurs. Par exemple, la nouvelle intitulée Où le trouverai-je se différencie visuellement des autres par le choix d’une illustration en noir et blanc. Cela saute immédiatement aux yeux grâce aux pages bordées de noir au milieu du recueil. 


Le septième homme et autres récits. Deveney & Pmgl. P10


Les dessins, d’une manière générale, sont un régal d’humour et de détails. Dans Crapaudin sauve Tokyo, les auteurs jouent avec l’absurde et créent des scènes absolument hilarantes. Je pense, par exemple, à celle du crapaud buvant tranquillement sa tasse de thé, petit doigt levé, tout en devisant avec M. Katagiri sur l’imminente fin du monde. Le dialogue qui s’instaure entre les deux protagonistes est tout aussi croustillant. Les auteurs utilisent le même ressort humoristique dans Où le trouverai-je. Le personnage principal est extraordinaire. Dans une ambiance de films noirs des années 50, le détective privé nippon prend des postures à la Sam Spade tandis que sa cliente fait crisser ses talons aiguilles. Et, pendant qu’elle lui expose les tristes raisons pour lesquelles elle est venue le consulter, le type passe tout son temps à tailler consciencieusement la mine de son crayon (spéciale dédicace à Philip Marlowe dans Le crayon ?).  L’interrogatoire qui suit est tout aussi surréaliste (pour le plus grand plaisir du lecteur évidemment).  Même constat dans La seconde attaque de la boulangerie : l’absurdité de la situation se reflète dans les illustrations. Il s’agit ici couple de trentenaires qui décident de cambrioler une boulangerie parce qu’ils sont affamés et ont pour principe de ne pas sortir au restaurant après minuit. Faute d’en trouver une ouverte la nuit, ils finissent par braquer un McDo. Le gérant du restaurant s’inquiète des erreurs que ledit braquage va engendrer dans sa comptabilité ! Pendant ce temps, en arrière-plan, le cambrioleur tente maladroitement d’ajuster sa cagoule. 

Les autres nouvelles appartiennent à un registre un peu différent, souvent teinté d’onirisme. Dans la Sommeil, une ménagère japonaise croit noyer son ennuie et trouver un sens à sa vie grâce aux insomnies qui la rendent fébrile. Le facétieux écrivains japonais multiplie les clins d’œil à la littérature et à la musique, des thématiques qui lui sont chères. Outre les références aux polars de Dashiell Hammett et Raymond Chandler ou à Anna karénine de Léon Tolstoï, Haruki Murakami rend hommage, à sa façon, à La Métamorphose de Kafka (Samsa amoureux) ou aux Contes des Mille et Une Nuits (Shéhérazade). Enfin, dans la nouvelle intitulée Thaïlande, il nous offre une véritable playlist de jazz.

 

Le septième homme et autres récits. Deveney & Pmgl . P192-193


Conclusion : Jean-Christophe Deveney & Pmgl ont fait du bon boulot. Leur adaptation en bande dessinée donne furieusement envie de se plonger davantage dans l’œuvre du grand maître de la littérature japonaise contemporaine. Or, il se trouve que les hasards (ou non) du calendrier nous gâte puisque deux livres d’Haruki Murakami viennent de paraître chez Belfond : Abandonner un chat & Première personne du singulier

Haruki Murakami, Le septième homme et autres récits. Jean-Christophe Deveney & Pmgl (Pierre-Marie Grille-Liou). Delcourt, 424 p. (2021)


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Trust. Hernan Diaz

La maison allemande. Annette Hess

Les Naufragés du Wager. David Grann

Le clou. Yueran Zhang

Veiller sur elle. Jean-Baptiste Andrea