Konbini, la fille de la supérette. Sayata Murata

Konbini : La fille de la supérette. Sayata Murata


 Suite à la parution des Terriens chez Denoël (et sans doute une rupture de stock lié à son succès), le premier roman de Sayaka Murata vient d’être réédité. Konbini Ningen (en version originale) est paru au Japon en 2016. Il a été traduit en français deux ans plus tard, par Mathilde Tamae-Bouhon, avant de paraître en format poche chez Folio en 2019. Konbini, La fille de la supérette est un opus qui tient davantage de la novella. Il s’agit surtout d’un hymne à la différence, un pamphlet bourré d’humour qui a été récompensé par le prestigieux prix Akutagawa. 

L’héroïne de ce roman s’appelle Keiko Furukura. A l’instar de sa créatrice, elle a travaillé comme freeters (employée à temps partiel) pendant 18 ans dans un Konbini (le mot nipponisé est un abrégé du terme anglais « convenience store »). En revanche, Keiko n’use pas de son temps libre pour écrire des romans comme Sayaka Murata. Notre narratrice en effet est une inadaptée sociale, qui tente de s’insérer par mimétisme. Incapable de comprendre les sentiments et attitudes de ses congénères, elle a fini par découvrir qu’il suffisait de les copier pour avoir la paix. La vie de Keiko est dès lors régentée par un quotidien immuable et chronométré, en symbiose totale avec son boulot au sein du Konbini, qui la rassure et apaise ses proches. Elle échappe de cette façon aux questions souvent intrusives de ses collègues et amis, ainsi qu’à leur incompréhension face à son absence de désirs, d’ambitions ou d’états d’âme. Il en résulte des dialogues absolument réjouissants, dont les cibles sont souvent les chantres de la « normalité ». 

Evidemment l’histoire ne s’arrête pas là. En effet, le petit train-train de Keiko est bouleversé par l’arrivé d’un autre paria dans la supérette. Il s’agit de Shiraha, un trentenaire dont les opinions ne s’inspirent pas du bestseller de John Gray (Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus). Le type n’est pas plus adepte du politiquement correct avec les femmes qu’avec ses nouveaux collègues de travail. D’ailleurs, il se fait rapidement virer de la bergerie… euh, de la boutique. Pourtant, Keiko décide de le prendre sous son aile et de l’héberger chez elle pour bénéficier de ces précieux conseils en relations humaines ! 

Extrait

« De mon passé avant de renaître en employée de konbini, je ne garde qu’un souvenir flou. J’ai grandi dans un lotissement de banlieue, élevée par une famille ordinaire, à l’affection tout aussi ordinaire. J’étais néanmoins une enfant un peu étrange. Un exemple, remontant à la maternelle : un jour, au parc, on trouva un oiseau mort. Un très joli passereau bleu, domestiqué sans doute, qui gisait, la tête penchée mollement, les yeux clos. Les enfants rassemblés autour de lui pleuraient. « Qu’est-ce qu’on va faire ? » demanda une fillette. Je pris aussitôt le volatile dans mes mains pour l’apporter aux mamans assises sur les bancs.

— Qu’y a-t-il, Keiko ? Ah, un petit oiseau... ! Il a dû tomber de quelque part... Le pauvre. Veux-tu qu’on l’enterre ? demanda ma mère d’un air doux.

Je secouai la tête.

— On n’a qu’à le manger, répondis-je.

— Pardon?»

Konbini : La fille de la supérette. Sayata Murata. Denoël, 128 p. (2021)


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