Les cahiers japonais, T.03. Igort
Moga, Mobo, Monstres, voilà un titre bien ésotérique pour un carnet de voyage ! En ce qui concerne la définition des deux premiers termes, nous y reviendrons plus tard. Néanmoins, sachez que ce troisième volet des Cahiers japonais d’Igor Tuveri (alias Igort) est bien une nouvelle invitation au voyage.
📝Le dessinateur italien nous conduit dans un Japon Interlope qui devait donner naissance à un mouvement artistique et littéraire particulier dans l’univers du manga : l’Ero-guro. Comme dans les précédents volumes de cette somptueuse série initiatique (Un voyage dans l’empire des signes et Le vagabond du manga), Igort rend hommage aux grands maîtres du genre. Parmi eux, il y a le mangaka Suehiro Maruo (Prix Asie ACBD 2021 pour Tomino la maudite).
L’inspiration de Suehiro Maruo n’est pas tombée du ciel. Elle lui vient, nous explique Igort, de Tsukioka Yoshitoshi, le dernier grand maître des estampes japonaises ukiyo-e et le père des muzan-e (gravures sur bois de nature violente). Aujourd’hui considéré comme un génie innovateur, il est l’auteur de plusieurs séries d’estampes dont Vingt-huit meurtres célèbres en vers (1866-1869), les Cent aspects de la lune (1885-1892) ou les Nouvelles formes de trente-six fantômes (1889-1892).
Tel est le fil conducteur d’Igort dans ce troisième tome : partir à la rencontre des auteurs maudits ou décadents, pionniers de l’underground nippon. Cette quête traverse les siècles puisqu’elle débute sous l’ère d’Edo, avec l’apparition des Kibyoshi. Ces brochures, produites entre 1775 et 1806, sont considérées comme les ancêtres des mangas pour adultes. Santō Kyōden, que l’on connait sous divers pseudonymes, a écrit et illustré un grand nombre de kibyoshi satiriques. Condamné à 50 jours d’assignation à domicile, fers aux pieds, il a décidé d’abandonner ce style pour se consacrer à des romans historiques. Néanmoins, il avait ouvert la porte au Modanizumo (le modernisme). Ce terme est utilisé pour les œuvres littéraires publiées entre 1912 et 1937.
« Mais la littérature n’était que le miroir d’une époque de bouleversement sociaux. Le modernisme apporta les MOGA. Les Modan Garu, c’est-à-dire Modern Girls selon la prononciation japonaise d’alors, étaient les jeunes Japonaises des années vingt qui, sous l’influence des coutumes occidentales, abandonnèrent le style de vie traditionnel. ». Leur pendant sont les MOBO, les Modern Boys. Ici, je suppose que vous vous posez la même question que moi : quel rapport avec la bande dessinée japonaise? C’est tout le propos de l’auteur en vérité puisqu’il s’agit de montrer comment l’évolution de la société japonaise a donné naissance à un mouvement artistique combinant l'érotisme à des éléments macabres et grotesques.
Cette nouvelle plongée dans l’univers japonais est aussi riche que les précédentes. L’iconographie est à l’envi, constituée de bande dessinée, de photos, de dessins en double-page, etc. L’album est à la fois structuré et labyrinthique, permettent au lecteur de mieux s’y perdre. Igort prétend que, dans sa vie antérieure, il était japonais. Je pense qu’il est parvenu à en convaincre ses éditeurs nippons. D’ailleurs, sa série des Carnets japonais reflète si bien la complexité du Pays du Soleil Levant que je veux bien le croire aussi !
📌Les cahiers japonais, tome 3 : Moga, Mobo, Monstres. Igort. Futuropolis, 176 p. (2021)
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