Les cahiers japonais, T.02. Igort
📝Après un premier tome des Carnets japonais (Voyage dans l’empire des signes) inspiré par Roland Barthes, Igort nous présente un second album intitulé Le Vagabond du manga. Ce volume est en quelque sorte placé sous le patronage du poète pèlerin Bashō (1644-1694), le premier grand maître du haïku.
En novembre 2015, le dessinateur italien se rend une nouvelle fois au Japon sur invitation de l’Institut culturel italien à Tokyo. Il s’agit d’un séjour court dans le cadre d’une exposition conjointe avec magaka Jirō Taniguchi. L’évènement est intitulé « Uomini che Camminano » soit « Des hommes qui marchent » (une référence à l’œuvre de Jirō Taniguchi, L’homme qui marche chez Casterman). Quoi qu’il en soit, les deux dessinateurs exposaient des œuvres dans lesquelles chacun présentait sa vision du pays natal de son acolyte. Or, c’est bien de voyage qu’il s’agit ici. Pour Igort, il va durer une dizaine de jours.
Hébergé dans un immeuble moderne du quartier de Chiyoda, Igort, nostalgique, décide de faire un petit pèlerinage sur les lieux où il a jadis vécu. Hélas, son ancien logement et l’hôtel dans lequel il descendait régulièrement ont été rasés, laissant place à des constructions contemporaines. C’est ainsi que nait l’idée d’un voyage singulier à travers le Japon millénaire, entrainé par son ami le photographe Giovanni Piliarvu. Après une escale à Toyama, les deux hommes font routes vers les Alpes japonaises. Ils s’arrêtent dans le village traditionnel de Gokayama (littéralement « la montagne aux cinq parties »), puis dans celui de Shirakawa-gō (le village de la rivière blanche), tous deux inscrits au patrimoine mondial de l'humanité. Igort poursuit son voyage spirituel, depuis Kanazawa (« marécage de l'or »), en passant par les temples bouddhistes du mont Kōya sur l'île de Honshū, le fameux cimetière d’Okuno-in, les chemins de pèlerinage dans les monts Kii ou le Sanctuaire shinto d'Ise au bord de l'océan Pacifique. Les Yōkai, ces esprits maléfiques, s’invitent dans ses rêves.
Chemin faisant, Igort évoque ses sources d’inspiration (Bashō bien-sûr, Mishima encore ou Kawabata auquel il consacre plusieurs pages). Le Traité des cinq roues, le manuel de Miyamoto Musashi (1584-1645) est son guide. Une partie de son album en suit d’ailleurs la trame, chaque partie étant dédiée à un élément (terre, eau, feu, air et vide). Ainsi, par exemple, dans la partie intitulée Le livre de feu, l’illustrateur évoque le drame d’Hiroshima et Nagasaki.
Lorsque son périple s’achève, Igort retrouve Tokyo, la mégalopole « des grandes solitudes ». En effet, la capitale nipponne compte plus d’un million d’Hikikomori, ces personnes (souvent des lycéens et des étudiants) qui refusent tout contact avec l’extérieur et s’enferment chez eux. Ils s’opposent à la société de compétition qui incitent leurs aînés à se tuer littéralement à la tâche. Igort constate lui-même des cas de burn-out chez Kodansha, son éditeur. Certains Japonais renoncent même à fonder une famille tant la pression est forte dans le monde du travail. En dépit de sa fascination pour le Japon, l’illustrateur italien n’est pas complaisant pour autant.
Avant de rentrer chez lui, Igort rend une dernière visite à son ami Jirō Taniguchi. Il ignore alors que c’est la dernière fois qu’il le voit. Le célèbre mangaka disparait le 11 février 2017, à l’âge de 68 ans. Dans son épilogue, Igort lui dédicace ce second tome des Cahiers japonais.
On retrouve dans cet album les caractéristiques qui ont fait le succès du précédent. Des illustrations en pleine page alternent avec les planches à vignettes multiples, des photos, des notes de voyage, des réflexions philosophiques ou des informations historiques. La chronologie est souvent sacrifiée au profit du propos. De fait, il n’est pas toujours facile de suivre Igort à la trace mais n’est-ce pas ce qui fait le charme de son œuvre ? Pour ma part, je ne m’en lasse pas, bien au contraire. Vivement le troisième tome !
📌Les cahiers japonais, tome 2 : Le Vagabond du manga. Igort. Futuropolis, 184 p. (2018)
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