Lettres de Taipei. Fish Wu
L’auteur de ce manhua (BD chinoise) a perdu successivement deux membres de sa famille. Sa grand-mère, dernière gardienne de la mémoire du clan, est atteinte d’Alzheimer. Or, certains évènements sont restés flous dans la tête du manhuajia. Fish Wu décide de parler à son aïeule avant que tous ses souvenirs ne soient effacés. Les liens familiaux qui sont évoqués dans cette histoire sont donc ceux qui concernent la vieille dame. Qui était donc cet oncle, parti en exil à Taïwan ? Son père, Shen Erchong, avait un jeune frère nommé Shen Erya. Il a été forcé de fuir le village en l’an 37 de la République populaire de Chine (1948). Les deux frères étaient enseignants. A ce titre, ils étaient considérés comme des lettrés et, bientôt comme des traitres parce qu’ils ont refusé d’écrire des slogans prorévolutionnaires incitant à la violence. Erchong, qui avait déjà une famille, n’a pas pu se résoudre à l’exil et Erya a dû partir seul vers l’inconnu. Cette erreur va coûter la vie au frère aîné car les gardiens de la révolution s’acharnent sur ceux qui sont restés. Erya, lui, devra attendre 47 ans pour fouler à nouveau le sol de son pays natal.
L’ouvrage de Fish Wu est indéniablement de bonne qualité mais, pour des raisons qui m’échappent en partie, je n’ai pas été totalement séduite. Je lui ai préféré la monumentale biographie dessinée de Li Kunwu. Une vie chinoise a été scénarisée par un Français, Philippe Ôtié, ce qui est différent d’un travail de traduction ordinaire. En ce qui concerne les Lettres de Taipei, je sais grâce à une interview de Bertrand Speller sur ce sujet, que la traduction française a nécessité beaucoup de choix compliqués. Il faut souvent faire des raccourcis pour exprimer une idée. Par ailleurs, le récit de Fish Wu manque parfois de corps. Cela est évidemment lié à l’amnésie de la grand-mère. Le manhuajia a su mettre ses souvenirs erratiques en forme mais j’aurais voulu en savoir plus sur le destin de l’oncle exilé à Taipei. L’auteur a fait un voyage à Taïwan dans ce but mais il n’a pas pu combler tous les vides.
Les dessins de Fish Wu sont riches de détails, proches du pointillisme. C’est du beau boulot mais ce n’est pas toujours très lisible à la lumière d’une lampe de chevet. L’album est plus proche du format traditionnel des romans que des albums de BD franco-belge. C’est pratique à transporter mais le graphisme foisonnant en pâtit. Je sais bien que je chipote un peu et je tiens à insister sur le fait que cet album vaut le détour en dépit des bémols que j’ai exprimés.
📌Lettres de Taipei. Fish Wu, traduit par Bertrand Speller. Editions Rue de L’échiquier, 172 pages (2024)
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