Le Cheval Rouge. Taško Gheorghievski
Ce roman s’ouvre sur un épisode historique fort qui est celui de la débâcle de l'Armée démocratique de Grèce à la fin de la guerre civile qui déchira le pays entre 1946 et 1949. Des hommes sont entassés dans un bateau, cachés sous des planches, et conduits vers une destination inconnue. Lorsqu’ils sortent de leur cachette pour s’ébrouer, ils constatent qu’ils ne voguent pas en direction de l’Albanie pour prendre l’ennemi à revers mais qu’ils longent les côtes turques. Parmi ces hommes, il y a Boris Tušev, un Macédonien dont le village natal est situé en Grèce actuelle. Le voyage se poursuit, sur terre (par le rail) et sur mer (via la mer Noire puis la Caspienne). Les troupes sont finalement débarquées à Tachkent, la capitale de l'Ouzbékistan. Les hommes apprennent qu’ils ont perdu la guerre. Les autorités soviétiques les installent d’abord dans des baraquements et les font travailler dans les champs de coton. Le temps passe. Le narrateur et ses compagnons d’infortune retournent à la vie civile, loin de leur pays d’origine. Boris rencontre Olga, une Russe, et s’installe avec elle. Il trouve un boulot dans une usine et la vie s’écoule ainsi pendant près de 15 ans. Et puis, un jour, le Macédonien décide de rentrer dans son village natal. Les démarches sont compliquées pour ce communiste apatride. Finalement, l’ambassade de Grèce exige qu’il signe un document où il doit renier toutes ses convictions. C’est le prix à payer pour retrouver sa famille et ses racines.
La scène d’ouverture de ce roman est d’autant plus forte que le lecteur y est projeté directement sans préambule. Les informations sont lapidaires si bien qu’on a la sensation de vivre l’évènement en même temps que ses protagonistes. Ainsi que le dit si justement un ami de l’auteur, on a l’impression d’écouter un témoignage enregistré. La suite est à l’avenant puisque le narrateur évoque les faits selon son unique point de vue et souvent de manière un peu brouillonne. Le résultat est un récit très vivant mais dans lequel il est possible de s’égarer. On sent que Boris est un homme taiseux, rude, qui n’a pas l’habitude de s’appesantir sur les sentiments. Pour autant, il est loin d’être insensible et le lecteur éprouve facilement de l’empathie pour lui. La fin de l’histoire nous est rapportée par son cousin, Sabrija. Sa voix apporte quelques précisions bien utiles au récit du héros malheureux. Enfin, l’éditeur a eu l’idée d’incorporer, dans cette présente édition, le journal d’écriture du Cheval rouge que l’auteur a tenu entre 1967 et 1977. Dans ce document, il raconte comment il s’est inspiré de la vie du véritable Boris Tušev, le cousin germain de son père. Il décrit les difficultés de sa quête familiale, tellement tributaire de la mémoire individuelle et collective. Taško Gheorghievski s’interroge également sur la manière de présenter les faits, quel titre donner à son roman, etc. Ce document est très instructif.
📌Le Cheval Rouge. Taško Gheorghievski. Editions Cambourakis, 173 pages (2023)
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