La somme de nos folies. Shih-Li Kow

 

La somme de nos folies. Shih-Li Kow

La somme de nos folies c’est l’histoire (ou plutôt LES histoires) de la petite communauté de Lubok Sayong dans le Perak. A travers une galerie de personnages pittoresques et une série d’évènements tragi-comiques, Shih-Li Kow nous dévoile les multiples facettes (ethniques, religieuses, politiques, sociales…) de son pays. La Malaisie, nous dit-elle, est un pays en mutation et il s’agit pour la romancière d’en fixer les éléments en voie de disparition.

Le livre de Shih-Li Kow est un roman à deux voix. Celle d’Auyong, un vieil homme appartenant à la communauté chinoise, ancien directeur de supermarché, venu s’installer loin de « KL » (Kuala Lumpur) où il souhaite commencer une nouvelle vie. Mary Anne est la seconde narratrice. C’est une adolescente, qui a vécu les 10 premières années de sa vie dans un orphelinat catholique où toutes les pensionnaires ont un prénom composé commençant par Mary quelque chose (y compris le chat qui s’appelle Mary Matou !). La jeune orpheline n’a pas été adoptée mais recueillie (la nuance est importante) par la famille de Mami Beevi, l’une des héroïnes au caractère bien trempé. Beevi est propriétaire de la « Grande maison », une demeure héritée de son père qu’elle a transformé en bed & Breakfeast. Saïd Hameed l’avait fait construire pour accueillir ses quatre épouses et tout le reste de sa parentèle. De fait, elle est au centre de nombreuses anecdotes familiales dont Beevi régale ses hôtes. Désormais, la maison reçoit de nombreux touristes curieux ou simplement égarés.

Parmi la multitude de personnages secondaires qui peuple ce roman, on peut encore mentionner un artiste-potier beau-gosse, une transgenre au grand cœur et même un poisson géant qui rejoue les dents de la mer. En quelques années, notre petite communauté se trouve confrontée à une inondation sans précédent, la disparition tragique d’un touriste américain, un viol collectif, une invasion d’insectes verts à six pattes… parallèlement à ces tragédies d’un autre âge, les habitants de Lubok Sayong voient leur village entrer dans l’ère de la modernité. Beevi vend sa maison traditionnelle au Moonsoon Island Resort & Spa et la remplace par un terrain de volley. Auyong, quant à lui, prend (un peu malgré lui) la tête du tout nouveau festival LGBT.

Extrait :

« Avec un tel décor de lacs et de montagnes, on n’échappe pas à une légende locale. Si seulement les pères fondateurs de Lubok Sayong avaient eu l’intelligence de nous laisser une relique, quitte à l’enjoliver par ce qu’il faut de superstitions et d’à-peu-près, les guides de voyage nous incluraient aujourd’hui dans leurs itinéraires. Malheureusement, Lubok Sayong n’abrite aucun célèbre champ de riz calciné ni aucun tombeau controversé d’un guerrier vaincu, comme sur l’île beaucoup plus touristique de Langkawi. Chez nous, la légende est servie comme les nasi lemak bungkus : réchauffée, à peine garnie, et en portion bien trop chiche pour satisfaire l’appétit et l’imagination. D’après la légende, une princesse importée, de Chine ou d’Aceh selon les versions, se jeta d’une falaise de calcaire parce qu’on voulait la marier à un prince guerrier des environs. Le promis, goujat et laid, qui n’était pas de première fraîcheur, avait déjà trois épouses et tout un harem. Pas vraiment de quoi faire rêver une jeune vierge de sang royal associant l’amour à des lettres en vers et des rendez-vous au clair de lune au bord d’un bassin de lotus. Quand elle s’écrasa au cœur de la forêt, son sang forma le lac connu sous le nom de Tasik Bini Empat, « lac de la Quatrième Épouse ». 

La somme de nos folies. Shih-Li Kow. Zulma, 320 p. (2020)

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