Le convoi. Beata Umubyeyi Mairesse

Le convoi. Beata Umubyeyi Mairesse


 Le 18 juin 1994, l’autrice (alors âgée de 15 ans) et sa mère réussissent à quitter le Rwanda et à échapper aux génocidaires Hutus grâce à l’intervention de l’ONG suisse Terre des hommes. Le convoi n’était autorisé à prendre en charge que les enfants de moins de 12 ans et elles ont dû se cacher au fond du camion pendant plusieurs heures avant de passer la frontière du Burundi. Partis d’un orphelinat de Butare (renommé Huye depuis 2006), la seconde ville du Rwanda, les humanitaires ont sauvé, en quelques voyages, plusieurs centaines de petits Rwandais. Il y avait parmi eux de jeunes Tutsis, victimes du génocide, et des Hutus, orphelins de guerre. 

Beata Umubyeyi Mairesse n’a qu’un souvenir parcellaire de cette tragique épopée. Au moment de devenir mère à son tour, elle ressent le besoin de combler les vides et de se réapproprier son histoire. Elle sait qu’il existe une vidéo de la BBC où on la voit traverser la frontière, ainsi que des photos des différents convois prises par des photographes indépendants. Elle en obtient d’abord quatre, sur lesquelles elle ne se reconnait pas et les conservent plusieurs années dans son ordinateur. Elle prend ensuite conscience que ces images appartiennent à la mémoire collective mais surtout à ceux qui y figurent. C’est ainsi que débute sa quête. Il lui faudra 15 ans d’enquête pour réunir les documents qui lui permettront d’écrire ce livre et autant de questionnements. 

Beata Umubyeyi Mairesse rencontre de nombreux témoins des convois, rescapés, personnels associatifs, journalistes, archivistes… La question des archives va devenir centrale dans la réflexion de l’autrice, sur la difficulté d’y accéder, sur l’interprétation qui en a été faite. A qui appartiennent ces documents ? Le droit d’auteur prime -t-il sur le droit à l’image ? Certaines légendes, sous les photos, sont erronées au point de modifier le sens de l’histoire. Les faits ont été interprétés par le prisme de la pensée occidentale. N’est-il pas légitime pour les rescapés que se réapproprier leur histoire, les documents sur lesquels ils figurent ? C’est au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), dont le mandat s’est achevé le 31 décembre 2015, qu’une bonne partie des archives ont été conservées, provenant de tous les ministères, mais aussi d’entreprises privées, de partis politiques, d’associations, etc. 

Trente ans après le génocide, la bataille des rescapés semble commencer à porter ses fruits. Le 2 avril 2024, par exemple, l’Human Rights Watch a annoncé la publication d’une série d’archives. Il s'agit du fond Alison Des Forges.

Lecture dans le cadre du challenge Cent jours au Pays des mille collines, organisé par Livr’Escapades.

Le convoi. Beata Umubyeyi Mairesse. Flammarion, 336 pages (2024)


Cent jours au Pays des mille collines

Commentaires

  1. Intéressant ces réflexions sur les archives, leur statut et les dérives possibles des interprétations. Mais ton opinion sur la qualité du livre est-elle positive ?

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    1. Je n'ai pas su comment exprimer mon opinion (positive) sur ce témoignage sans paraître indécente. C'est un livre nécessaire, bien écrit et qui aborde des questions primordiales. L'autrice a eu raison d'adopter un point de vie à la fois personnel et collectif. C'est l'histoire d'un sauvetage donc c'est plus facile à lire que le récit des violences du génocide.

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  2. Comme Athalie, je suis intéressée par cette question des archives.

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    1. Je l'ai trouvée très intéressante aussi, ainsi que les questionnements sur le droit à l'image et la réappropriation de l'histoire par ceux qui l'ont vécu.

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  3. J'ai entendu l'auteure à la radio.
    La question des archives est intéressante, en effet

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    1. Cette question est plutôt abordée dans la seconde partie du livre ; la première étant dédiée au témoignage de l'autrice et à sa quête de documents. Mais elle m'a beaucoup intéressée, ainsi que les questions autour du récit du génocide : qui témoigne, comment, pourquoi, avec quels "bagages", etc. Beata Umubyeyi Mairesse s'est beaucoup documentée sur le sujet, y compris au travers d'ouvrages traitant de la Shoah ou du génocide arménien.

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  4. Je n'imaginais pas que le récit abordait des questions "techniques" qui sont en fait fondamentales ! Ca le rend d'autant plus intéressant à mes yeux.

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    1. On ne se rend pas compte de la difficulté à rassembler les documents qui sont éparpillés entre plusieurs institutions voire chez des particuliers (humanitaires ou photographes, par exemple). Certains sont placés sous le sceau de la confidentialité, ce qui n'arrange pas les choses.

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  5. j'ai entendu cette femme en interview elle était passionnante et émouvante

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    1. Cela se reflète tout à fait dans son livre.

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  6. Je suis très heureuse de voir que tu as choisi un livre de Beata Umubyeyi Mairesse comme première lecture dans le cadre du rendez-vous autour du Rwanda. J'ai lu ses deux romans et ses deux recueils de nouvelles et je lirai prochainement "Le convoi" que j'ai acheté le jour même de sa sortie. Cette autrice me touche énormément et il me tarde de me pencher sur les thématiques essentielles qu'elle aborde dans ce récit à la fois personnel et universel. Merci beaucoup pour ta participation.

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    1. Il m'a fallu un peu de temps pour me décider à lire ce livre car j'appréhendais une lecture traumatisante. Finalement, je ne regrette pas du tout cette lecture, au contraire. D'abord parce qu'il s'agit du récit d'un sauvetage, ensuite parce que l'autrice aborde de nombreuses questions qui vont au-delà du génocide rwandais. La réflexion peut non seulement s'étendre à d'autres génocide (comme la shoah) mais aussi à d'autres évènements couverts par les journalistes occidentaux.

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  7. PHILIPPE5.5.24

    Un livre sûrement intéressant, mais je ne suis pas sûr qu'il soit fait pour moi...

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    1. J'ai du sortir de ma zone de confort moi aussi pour lire ce livre. En revanche, il faut peut-être attendre le bon moment.

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  8. J'imagine la force qu'il a fallu à l'autrice pour témoigner, fouiller dans un passé traumatisant et tenter de le documenter. Quant aux questions soulevés dans le livre, elles semblent intéressantes d'autant que jamais réellement posées, du moins, jamais dans les lectures que j'ai pu faire.

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    1. L'autrice a assisté à des assassinats mais fort heureusement elle n'a pas été blessée ni violée. Ce récit raconte un sauvetage. Il est donc moins traumatisant que d'autres témoignages sur le génocide des Tutsis. Je ne m'attendais pas à toutes ces questions non plus et je dois dire que je ne m'étais pas posé ces questions. C'est tout l'intérêt de l'ouvrage. Il m'a permis d'ouvrir les yeux sur la façon dont les occidentaux documentent ce type d'évènement.

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  9. Je l'ai emprunté à la bibliothèque et rendu sans le lire parce que je n'ai pas eu le temps. Je le réemprunterai cet été.

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  10. J'ai écouté son interview sur 28 minutes et j'ai noté ce livre à cette occasion. Bien entendu c'est un livre nécessaire et son témoignage apporte un éclairage nouveau sur les événements et les tabous qui les entourent toujours. Je trouve très intéressant son travail sur les archives. Impliquer les rescapés pour que eux-même nous donnent leur propre interprétation des images me parait vraiment nécessaire. Perso je ne supporte plus qu'on me dise ce que je dois penser de tel ou tel événement, nos médias nous prouvent tous les jours que leurs propos sont sous influence, ils sélectionnent ce qu'il faut montrer ou pas, induisent même notre ressenti...tu l'auras compris je suis pour entendre plutôt les témoignages...Je le lirai quand je le croiserai à la médiathèque.

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    1. L'autrice aborde des questions auxquelles je n'avais pas forcément pensé parce que je n'ai pas vécu ce traumatisme. Sa démarche et son cheminement sont très intéressants doivent être entendus.

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  11. Une page si sombre de l'histoire du monde ! Je n'arrive pas à avoir d'avis tranché sur ce sujet des archives (comme sur beaucoup d'autres sujets, d'ailleurs)

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    1. ça me parait plutôt sain. Il y a peu de sujets aussi graves qui ne nécessitent pas un minimum de réflexion

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  12. Le dossier n'est pas clôt, visiblement, et c'est tant mieux.

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    1. oui, on dirait bien que les rescapés obtiennent enfin des réponses à leurs demandes

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  13. Ah voilà une lecture autour du Rwanda qu'il me semble que je pourrais faire sans tourner de l'oeil et qui pose en plus des questions très intéressantes en périphérie.

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    1. En effet, il s'agit d'un sauvetage donc il y a quelques allusions aux violences mais ce n'est pas le cœur du récit.

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  14. Anonyme7.5.24

    Forcément intéressant, mais pas forcément dans mes envies de lecture.

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    1. Ce n'est pas si dure à lire puisqu'il s'agit d'un sauvetage. Il n'y a pas trop d'images de violence.

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  15. ah merci ! j'avais vu ce nom chez Fabienne, et ce récit m'intéresse - ayant une amie qui a elle vécu une autre guerre et le tribunal de la Haye après, elle a son histoire mais s'est-elle sentie déposséder ? un bon sujet à aborder un soir autour d'un verre.

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    1. Ce témoignage est très intéressant. Parmi les personnes évoquées, il y en a de nombreuses qui ont de bonnes intentions mais qui, dans l'urgence, ne réfléchissent pas toujours aux conséquences de leurs actes. Il y a aussi de vrais salauds, ceux qui se font de l'argent sur le dos des victimes. Je pense par exemple à un photographe qui est cité par l'auteur. Tout ce qui l'intéresse c'est de vendre son reportage puis son livre. Il refuse même de transmettre gratuitement ses négatifs.

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  16. Cela a dû être douloureux d’écrire ce livre mais ça semble être un témoignage précieux pour raconter ce qu’on ne peut imaginer que difficilement.

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    1. Douloureux, oui, sans aucun doute mais il y a aussi une forme de résilience

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