Ordinaire. Audrey Najar

Ordinaire. Audrey Najar


Le crime est-il un acte banal, courant ou ordinaire ? Non, bien sûr, mais « il suffit parfois de bien peu de chose pour que l’ordinaire vole en éclats. Une succession de broutilles, la faute à pas de chance ».  Tel est le postulat de départ d’Audrey Najar. Elle déroule ensuite le fil de son intrigue jusqu’au drame final. Le lecteur sait dès le début du roman qu’une tragédie a eu lieu mais ignore l’identité de la victime et le mobile du crime. 

Hervé Dufour, le personnage central est, en apparence, un retraité bien tranquille. Il vit à Alfortville, en banlieue parisienne avec son épouse Elisabeth et leur bichon maltais blanc. C’est une petite copropriété plutôt conviviale où le plus grand dilemme du syndic est de déterminer quel type de fleurs il faut planter en bas de l’immeuble… mais le train-train quotidien des propriétaires est bouleversé par le décès de Marie-Claire Hussard, la veuve octogénaire du 3ème B, dont l’appartement est très vite racheté par la famille Kobon. La vieille dame est à peine enterrée que ces ex-voisins décident de se séparer de l’envahissante concierge de la résidence. Ensuite, c’est le président de la copropriété, Pascal, qui démissionne pour s’installer chez sa nouvelle compagne. Hervé espère bien lui succéder. 

Comment "Monsieur tout le monde" peut-il péter un câble sans prévenir et zigouiller ses voisins un beau matin de décembre ? Audrey Najar procède en quelque sorte à une autopsie … je ne parle pas d’un acte médico-légal, non. Ici, il s’agit plutôt d’une analyse psycho-sociale, celle d’un fait divers qu’on qualifierait de banal, s’il en est. Les évènements s’enchaînent, la tension monte et le lecteur, qui croyait avoir tout compris, sera quand même surpris.


Extrait :

« Personne ne sait. Une rumeur gronde dans la cour triste et grise. La cour rouge, la cour noire, la cour obscène, la cour morte. Tous les regards braqués sur Aziz seul au milieu de la scène, mauvais spectacle de gladiateurs dont il serait le seul survivant. Bientôt, les pompiers, les policiers, les sirènes et les gyrophares. Bientôt la vérité nue, la lumière crue d’un matin d’hiver qui goûte au drame. Plus tard, Aziz passera le jet d’eau, se mettra à genoux pour frotter les traces avec obstination. Il donnera son temps, son énergie pour que les voisins oublient cette terrible journée du 3 décembre. Tous ces humains qui vivent côte à côte planqués dans leurs tours de béton, se croyant à l’abri du drame, flottant dans leur déni. Leurs murs mitoyens comme des boucliers de papier. Peine perdue, un jean et des baskets salopés pour rien. Personne n’oubliera. Comme un virus, toxique, leur mémoire ne les lâchera plus, le souvenir les réveillera la nuit, les torturera, chacun leur tour. C’était pourtant une copropriété sympathique avec des voisins comme tous les autres. Ils ont eu de bons moments. Il y a eu des fêtes et des éclats de rire. Comment la nuit a-t-elle fait son nid si discrètement ? Soustraction de battements de cœur. Il suffit parfois de bien peu de chose pour que l’ordinaire vole en éclats. Une succession de broutilles, la faute à pas de chance.

— Faut s’y faire, des gens qui meurent y en a tous les jours…, a commenté la vieille du huitième.

— Oui mais pas comme ça, a répondu son mari le regard rivé vers la scène de crime.

Pas comme ça. »

Ordinaire. Audrey Najar. Editions du Masque, 224 p. (2022)


Commentaires

  1. J'aime assez le postulat de départ. Et si on est surpris à la fin... Je vais le guetter dans mes bibliothèques.

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    1. La surprise n'est pas forcément là où on l'attend...

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