Le Rocher blanc. Anna Hope

Le Rocher blanc. Anna Hope


Quel rapport entre un officier de la marine espagnole en mission cartographique au large des côtes des Amériques en 1775, une Amérindienne d’une douzaine d’années déportée avec sa sœur ainée dans le Yucatan en 1907 et une icône du rock en exil clandestin au Mexique en 1969 ? Réponse : un rocher blanc ! Ce rocher fascine une romancière britannique, alter-ego d’Anna Hope, qui entreprend un pèlerinage chamanique avec sa famille dans l’Etat de Nayarit en 2020. Evidemment il ne s’agit pas de n’importe quel bout de cailloux dans l’Océan Pacifique. Il s’agit d’un site sacré pour la tribu indigène des Wixárikas qui l’identifient ni plus ni moins comme l’origine du monde.  « C’est le lieu où pour la première fois, l’informe s’est épris de la forme. » Pour la romancière, c’est un endroit fascinant où « convergent plusieurs courants de l’histoire ». Aussi, lorsqu’elle dépose ses offrandes en remerciement de la naissance de sa fille, elle réfléchit à son couple en perdition, à son père mourant, à la crise sanitaire du coronavirus, au réchauffement climatique, au sens de l’histoire… et à son prochain livre.  

Les principaux protagonistes de ce roman choral sont librement inspirés de personnes réelles, tel  Juan de Ayala (1745-1797), officier andalou, qui repris à Don Manuel Manrique le capitanat du San Carlos. Dans la fiction, ce dernier se saborde lui-même, écrasé par un sentiment de culpabilité vis-à-vis des autochtones maltraités. Quelques dizaines de pages plus loin, on croise Jim Morrison, amputé des autres membres des Doors. Entre questionnement existentiel et escapade nocturne hallucinée, le chanteur-poète cherche la force de vivre. La dernière voix, nous rappelle le destin tragique des Yoemes (Yakis), victimes de répressions sanglantes et de déportations massives sous le régime de Porfirio Díaz. 

L’une des originalités du roman tient à sa construction en entonnoir. L’écrivaine s’exprime en premier, suivie par le chanteur, la fille et le lieutenant. Le point culminant du récit s’arrête sur le rocher blanc, avant que la narration ne reprenne en miroir inversé : le lieutenant, la fille, le chanteur puis l’écrivaine… comme autant de vagues butant et tourbillonnant autour de l’îlot sacré. 

Un roman dans l’air du temps, introspectif et déroutant qui ensorcelle son lecteur. 

Extrait :

« Elle s’approche du bord de l’eau, face à l’ouest, lieu des ancêtres. Lieu des morts. Lieu du rocher blanc. Lieu de Tatéi Haramara, la mère de tous. Et peut-être sont-ils tous là, dans cette lumière mouvante, ceux qui sont partis avant – le lieu des morts, peuplé par eux tous, attendant de recevoir son père, l’attendant elle, le moment venu, tous ces innombrables ancêtres qui se sont débrouillés comme ils pouvaient avec leurs problèmes et leurs dons, qui ont marchandés, travaillés, prié le soir et négocié avec les dieux pour la survie de leurs enfants. Peut-être sont-ils tous là avec les bouquetins, les mammouths et les mastodontes, attendant de leur coté de l’eau d’où nous sommes venus: l’eau d’où nous sommes sortis la première fois en rampant pour nous allonger sur le sable chaud dans le soleil brulant, destinés à devenir ce que nous sommes. »

 Le Rocher blanc. Anna Hope. Editions Le bruit du monde, 336 p. (2022)


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