Saharienne indigo. Tierno Monénembo

Saharienne indigo. Tierno Monénembo (Photo by Avel Chuklanov on Unsplash)


Saharienne indigo
n’est pas le titre que Tierno Monénembo avait choisi pour son 14ème roman. Non, il préférait Les Vies et les Morts de Véronique Bangoura en référence à l’un de ses personnages principaux. C’est le nom (ou plutôt l’un des noms) de sa narratrice. Dans son pays natal, la Guinée, elle s’est aussi appelée Néné Fatou Oularé mais ses copines d’infortune la surnommaient Atou. Dans le 5ème arrondissement de Paris, où la jeune femme vit désormais, on la surnomme "Comtesse". 

Qui est-elle vraiment ? Une meurtrière ? Une victime ? Une simple exilée ? Une auxiliaire de vie ? Sa voisine, une certaine Madame Corre, veut tout savoir de sa vie. Véronique est exaspérée par ses questions incessantes mais le poids de la solitude l’empêche de couper les ponts avec la fouineuse. De la rue Mouffetard à la place Monge en passant par le Jardin des plantes, de salons de thé en restaurants, de discussions en confidences, les deux femmes vont finir par s’apprivoiser mutuellement. 

Leur premier point commun est un certain penchant pour les pseudonymes. D’ailleurs, Mathilde Corre, n’est-elle pas l’épouse du pauvre Farjanel ? La rumeur prétend qu’il l’aurait « achetée » dans une agence matrimoniale à Monaco. Prospero, le marchand de gaufres, la surnomme la "Quinteuse". D’aucuns disent aussi qu’elle est la meurtrière de la rue de la Clef ! 

En vérité, les destins de nos héroïnes se rejoignent quelque part, dans leur indicible passé africain, celui des victimes collatérales du tristement célèbre camp B (le camp d’internement Boiron se trouve à la limite du centre-ville de Conakry). A travers elles, Tierno Monénembo évoque la dictature d’Ahmed Sekou Touré, président de la Guinée de l'indépendance en 1958 à sa mort en 1984. Le roman est paru quelques mois après les commémorations dénonçant les purges des années de plomb. Le propos se veut néanmoins universel et le romancier aborde l’épineuse question du devoir de mémoire. 

Saharienne indigo est un roman puzzle. Le lecteur s’y laisse volontiers égarer puis rattraper par la manche. Le style, plein de verve, rend un bel hommage à l’oralité africaine. Tierno Monénembo est un humaniste dans tous les sens du terme : amoureux de littérature et de musique, il se fait aussi le chantre de la tolérance.  

Tierno Monénembo s’est fait connaître avec Les crapauds-brousse (1979), un premier roman qui lui a valu un passage remarqué dans Apostrophes, l’émission de télévision littéraire produite et animée par Bernard Pivot (1975-1990). L’écrivain a reçu plusieurs prix dont le prix Renaudot pour Le Roi de Kahel en 2008 et le Grand Prix de la francophonie pour l’ensemble de son œuvre en 2017.

Extrait : 

« Je n’ai pas la tête de Carmen ou de Lolita, voyons ! Je ne suis que votre voisine, la nunuche du 43, celle dont la trempe va si bien avec le silence et l’anonymat. À quoi bon ? La mienne ou celle d’un autre, ce sont les mêmes secousses, les mêmes sempiternels ouragans ! Mieux vaut se taire, se cramponner, prendre les choses comme elles viennent. En tout cas, c’est ma façon de penser. Tenir le coup en serrant les dents, et puis, juste après, oublier, tout oublier, voilà mon affaire ! Je ne cherche pas à raconter. Je veux au contraire tourner la page, vider la mémoire, jeter au caniveau les regrets et les deuils ! 

Vous comprenez ?»

Saharienne indigo. Tierno Monénembo. Seuil, 336p. (2022)


Commentaires

  1. Tiens tiens, un auteur que je n'ai jamais lu, et je risque d'en apprendre!

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  2. Oui, vraiment, il faut le lire. Il y a aussi un compte rendu de lecture des Crapauds-brousse sur le blog d'Ingannmic

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