Lisière. Kapka Kassabova
En 2023, je suis allée en Bulgarie, visiter un petit village des Rhodopes, tout près des frontières grecque et turc. Le récit de Kapka Kassabova m’a permis de me replonger dans l’atmosphère de ce territoire marqué par la grande histoire : celle du peuple Thrace, celle des guerres de conquête et de résistance contre l’Empire ottoman, celle des populations de l’ancien bloc de l’Est et celle des migrants, rarement volontaires. L’autrice de Lisière, elle, a cheminé tout le long des frontières bulgares. Le titre de son livre se veut le reflet de cette broderie géographique et culturelle.
Le récit nous conduit au sud des Balkans, depuis les côtes de la mer Noire jusqu’à la mer Egée, en passant par les massifs de la Strandja et des Rhodopes. Nous traversons des frontières autrefois interdites, une zone grise qui faisait objet d’une surveillance rigoureuse des gardes-frontières soviétiques et d’une défense violente de chaque côté de la ligne. Nous sommes à l’extrême sud de ce long rideau de fer qui fascinait tant le journaliste Paolo Rumiz (cf Aux frontières de l’Europe).
Contrairement à l’écrivain italien, Kapka Kassabova n’est pas née du côté démocratique du rideau mais à Sofia, sous la dictature de Todor Jivkov. La Bulgarie entretenait alors des relations d’amitié avec l’URSS et les autres pays satellites liées par le Pacte de Varsovie. Sa famille a émigré dans les années 90, d’abord en Nouvelle-Zélande, puis l’écrivaine s’est exilée dans les Highlands en Ecosse. Trois décennies après la chute du régime communiste, l’autrice de Lisière a eu envie de retrouver le pays de son enfance.
Kapka Kassabova est une sorte de chasseuse d’histoires. Son périple, entre Bulgarie, Grèce et Turquie, lui a permis de collecter des informations sur l’histoire et les légendes locales mais surtout d’aller à la rencontre des habitants. Elle a recueillis les récits, souvent dramatiques, de survivants, de réfugiés et d’exilés. Combien de citoyens d’ex-RDA sont morts en tentant de traverser la dernière frontière avant la liberté (la frontière bulgare avait la réputation fausse d’être plus perméable) ? Combien de Pomaques, slaves musulmans, ont perdu leurs biens et leurs identités ? Combien de villages désertés à la fin de la Guerre froide ?
Kapka Kassabova sait écouter. Ses hôtes la reçoivent avec plaisir et simplicité, la guident dans ce territoire méconnu. Pour autant, le périple ne s’avère pas sans danger. L’autrice côtoie quelques personnalités interlopes qui n’inspirent guère confiance. L’un d’entre eux la pousse même à s’enfuir à toutes jambes dans la forêt.
Kapka Kassabova sait transmettre sans juger. Elle fait toujours preuve de bienveillance et d'ouverture d'esprit vis à vis de ces interlocuteurs, des qualités qui en font une excellente messagère.
Kapka Kassabova sait aussi capter l'attention du lecteur. Lisière est un récit riche d’informations géographiques, historiques, culturelles et ethnographique que j'ai eu grand plaisir à découvrir. Mais c’est surtout l’humain qui interpelle dans cet ouvrage. Ces destins brisés par les guerres idéologiques, religieuses, économiques… On est choqué par les cruautés des uns et bluffé par la capacité de résilience de autres.
📝L'ouvrage est émaillé de vocabulaire bulgare, grec et turc, qui sont autant de notions indicibles dans une autre langue. A ce sujet, je vous recommande un article très instructif de la traductrice de Lisière, Morgane Saysana.
💪Grâce à Lisière, je coche les cases de trois challenges de lecture : Les escapades européennes chez Cléanthe, La rentrée à l’Est chez Sacha et Les pavés de l’été chez La Petite Liste.
📌Lisière. Kapka Kassabova, traduite par Morgane Saysana. J’ai Lu, 612 pages (2021)
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