Seul dans Berlin. Hans Fallada

Seul dans Berlin. Roman de Hans Fallada / Film de Vincent Perez

Il faut garder en tête que Seul dans Berlin a été écrit en 1946, soit quelques mois avant la mort de son auteur, Hans Fallada (Rudolf Ditzen de son vrai nom). Il s’agit en fait d’une commande de Johannes R. Becher, Membre du Parti socialiste unifié d'Allemagne puis ministre de la culture au sein de la RDA. L’idée était de publier un roman dédié à la résistance allemande contre les Nazis. Dans ce cadre, Hans Fallada s’est inspiré de l’histoire d'Otto et Elise Hampel, exécutés le 8 avril 1943 à la prison de Plötzensee. Si l’écrivain s’est inspiré du dossier de la Gestapo auquel il a eut accès, il précise néanmoins qu’«un roman a ses propres règles et ne peut pas reprendre la réalité en tous points. C’est pourquoi l’auteur n’a pas non plus cherché à connaître les détails authentiques de la vie privée de ces deux personnes : il devait les décrire comme elles lui apparaissaient.» 

Les personnages de fiction, Otto et Anna Quangel, s’avèrent plus dignes devant la mort que leurs modèles, les Hampel. Ces derniers se seraient mutuellement dénoncés pendant leur incarcération, à l’inverse de leurs alter-ego de papier. Pour autant les Quangel ne sont pas des héros parfaits. Au contraire, se sont des gens ordinaires, pétris de doutes et rongés par la peur. C’est ainsi que la version du roman publiée en 1947 à été expurgée de certains passages jugés gênants par l'éditeur est-allemand Aufbau-Verlag. Il n’est plus fait mention, entre autres, de l’adhésion préalable du couple au parti nazi. Même s’ils n’ont jamais été des partisans convaincus, ils ne s’en éloignent qu’après la mort de leur fils unique sur le champ d’honneur. Cet évènement est d’ailleurs le déclic qui les pousse aux actes "de haute trahison" dont les accusent le commissaire Escherich, enquêteur de la sécurité intérieure, et son supérieur le général SS Prall.  

Si le destin des Quangel constitue le cœur du roman, ils ne monopolisent pas toute l’attention du lecteur. Une galerie de personnages vient étayer le propos. Tous vivent dans le même immeuble de la Rue Jablonski ou à proximité. On y croise un jeune cadre du parti et sa famille, une vieille dame juive, un juge à la retraite, une ou deux petites frappes, beaucoup d’ordures… La plupart des habitants sont extrêmement esseulés, calfeutrés dans leurs domiciles et muselés par la peur des dénonciations intempestives. Le titre original, Jeder stirbt für sich allein ("Chacun meurt pour lui seul") reflète assez leur état d’esprit et l’atmosphère du livre. A ce sujet, l’auteur prévient son lecteur : « Environ un bon tiers de ce livre se déroule dans des prisons et dans des asiles de fous, et là aussi, la mort était très en vogue. » Pour autant, tout n’est pas noir dans ce roman. Tout d’abord, l’auteur adopte une position distanciée en usant régulièrement d’ironie et d’humour noir. Ensuite, le roman s’achève sur une note d’espoir : Eva Kluge, la postière qui fait figure de messagère de malheur au tout début du roman, le clos aussi sur une promesse de résilience. 

Traduit en anglais en 2009, Seul dans Berlin ("Alone in Berlin" en V.O) a été adapté à l’écran par Vincent Perez en 2016 avec Brendan Gleeson et Emma Thompson dans les rôles principaux. C’est ainsi que plus de 60 ans après la mort de son auteur, ce roman populaire a connu notoriété renouvelée. Si le vocabulaire et le style d’écriture peuvent surprendre un peu le lecteur contemporain, la capacité d’analyse de l’auteur vis-à-vis de l’histoire immédiate est impressionnante. Par ailleurs Seul dans Berlin est l’un des premiers témoignages romanesques couvrant les mouvements de résistance en Allemagne durant la période 1940-1942. C’est sans doute pour cette raison que l’ouvrage est aujourd’hui considéré comme un classique de la littérature allemande. Selon Primo Levi, c’est « l'un des plus beaux livres sur la résistance allemande antinazie »

Extrait :

« Persicke est cadre au parti, ou bien dirigeant politique, ou autre chose encore — bien qu’Eva Kluge, depuis qu’elle travaille à la poste, soit aussi membre du parti, elle confond encore toutes ces fonctions. Quoi qu’il en soit, il faut donner du «Heil Hitler !» aux Persicke, et faire bien attention à tout ce qu’on leur dit. Même si, bien sûr, c’est partout qu’il faut faire attention, rares sont les gens à qui Eva Kluge peut dire ce qu’elle pense vraiment. La politique ne l’intéresse pas du tout, elle est une femme, voilà tout, et en tant que femme, elle pense qu’on ne met pas des enfants au monde pour qu’ils aillent se faire tuer. »

Seul dans Berlin. Hans Fallada. Folio, 768 p. (2015)




4ème participation au Challenge Pavé de l'été 2022

Commentaires

  1. A chaque fois que je passe en librairie, j'hésite à l'embarquer !! Un jour, sans doute.. tes précisions en début de billet sont très intéressantes, j'ignorais totalement dans quel contexte il avait été écrit..

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    1. Ces informations viennent d'une introduction de l'auteur et de notes de l'éditeur. J'ai aussi trouvé des précisions sur Wikipédia

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  2. Un gros bouquin repéré à la bibli, un jour peut-être;.;

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  3. Il m'a fallu un peu de temps pour m'habituer au style d'écriture. Ensuite, ça roule plutôt bien. L'alternance des points de vue et des chapitres... et puis, même si on sait que ça finira mal, l'auteur parvient à nous tenir en haleine.

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  4. Ahlala, ça fait bien longtemps que je l'ai repéré, celui-là, mais sans avoir le courage de m'y risquer ! Bravo pour cette belle lecture !

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  5. Lu il y a un moment, avant le blog... je me souviens qu'il m'avait passionnée.

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