Comment je suis devenue Duchess Goldblatt

Comment je suis devenue Duchess Goldblatt (Photo by Thought Catalog on Unsplash)

Bon sang mais qui est cette Duchess Goldblatt ?! L’illustration de couverture, le Portrait d’une dame âgée de Frans Hals, indique d’emblée qu’il ne s’agit pas d’une énième starlette de téléréalité ni de l’une de ces têtes couronnées faisant régulièrement la couverture des magazines people. Et pourtant Duchess Goldblatt est bel et bien une star en Amérique ! Avec plus de 58 000 followers, ce personnage fictif, sévit depuis une dizaine d’année sur les réseaux sociaux. Sa créatrice, qui tient à rester anonyme, publie sur twitter des sortes de haïkus humoristiques. Le credo de Sa Grâce (ainsi que l’appelle ses disciples) vise l’empathie et la bienveillance. Des positions plutôt aux antipodes de ce qui se joue généralement sur ce type de réseaux où l’on sait bien que les échanges peuvent facilement déraper. L’engouement des fans de Duchess (il s’agit d’un prénom et non d’un titre) est tel que certains d’entre eux créent des produits dérivés à son effigie (ou plutôt à l’image de l’avatar emprunté à la peinture baroque néerlandaise). 

En 2012, lorsque l’expérience débute, la narratrice vient de divorcer. Selon la version officielle, son mari l’a quittée parce qu’il n’aimait pas leur nouveau canapé. Elle a une quarantaine d’année et se bat pour la garde exclusive de son petit garçon de 4 ans. La maison d’édition où elle travaille est en pleine restructuration et elle risque d’être virée à tout moment alors qu’elle vient d’acheter une maison toute décrépite. Ses parents et son frère sont morts et ses amis se sont presque tous fait la malle, craignant sans doute une contagion. Un jour de déprime record, la narratrice demande à une collègue de lui créer un pseudonyme et un avatar correspond. Puisqu’elle est incapable de lier des relations sincères, son alter-ego romanesque le fera donc à sa place. 

Après un faux départ sur Facebook, l’aventure se poursuit sur Twitter, un média qui correspond mieux aux ambitions de la narratrice. Il s’agit en effet de publier des petits textes drolatiques en moins de 140 caractères. L’univers de Duchess prend rapidement consistance. Selon la légende inventée par sa conceptrice, elle est née à Klein au Texas (comme le chanteur et compositeur américain Lyle Lovett, l’idole de notre quadragénaire divorcée). Agée de 81 ans, Duchess Goldblatt est l’auteur de deux romans (fictifs évidemment). Sa fille Hacienda est en prison au Mexique tandis qu’elle-même réside dans la ville imaginaire de Crooked Path (littéralement Chemin Tordu). Elle y organise de nombreux évènements (toujours fictifs) auxquels ses followers participent volontiers. Ils envoient généralement des photos ou des textes sur les thématiques correspondantes. En fait, à bien des regards, cette communauté ressemble à une secte new-age ou à un groupe de développement personnel. Duchess Goldblatt en est le gourou bienveillant. Après, chacun est libre de se prendre au jeu ou pas.

Comment je suis devenue Duchess Goldblatt est un roman original est plutôt distrayant. Sans être un chef d’œuvre, c’est une bouffée d’air frais dans le paysage éditorial. Si le ton adopté dans le roman est humoristique, il n’exclut pas une réflexion sur les réseaux sociaux et les thématiques habituelles qu’elle véhicule comme la quête de la valorisation de soi-même chez l’autre, par exemple. De nombreux tweets de l’auteur sont cités dans le livre, ce qui permet aux lecteurs non anglophones de se faire une idée du contenu de son microblog. Si la démarche de la narratrice peut paraître surprenante au premier abord, son livre permet de comprendre ses motivations et l’objectif recherché. A priori, il n’y a pas de raison de mettre en doute sa sincérité. En ce sens, le fait de conserver l’anonymat est un gage de crédibilité. L’auteur répète d’ailleurs à plusieurs reprises que son personnage ne peut exister que dans ces circonstances. 

Pour comprendre le phénomène, je suggère d’aller faire un tour sur Twitter @duchessgoldblat


Extrait :

« Tu pourrais me créer un compte anonyme ? demandai-je.

— Anonyme ? Tu veux dire bidon ?

— Non. Je ne veux pas mentir. Je ne veux surtout pas piéger qui que ce soit, répondis-je. J’imagine un compte clairement fictif. J’utiliserais un pseudonyme. Je ne publierais rien. J’écouterais simplement ce que les autres ont à dire. 

— Ce serait quoi, ton nom de plume ? » Je réfléchis un moment.

« Tu connais ce jeu de soirée qui te permet de découvrir ton nom de drag-queen ? Tu prends le nom de ton premier animal de compagnie en guise de prénom, et pour ton nom de famille, tu prends celui de jeune fille de ta mère.

— Je croyais que c’était le prénom de ton premier prof de sport et le nom de ta rue d’enfance.

— C’est une déformation du jeu, si tu veux mon avis, mais oui. Le principe est le même »


Comment je suis devenue Duchess Goldblatt. Anonyme. La Table Ronde, 272 p. (2022)


Commentaires

  1. Oh mais ça m'a l'air totalement réjouissant (mais comme je n'ai pas twitter - ou alors durant une minute, et j'ai oublié le mot de passe)
    En livre, pourquoi pas.

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  2. La partie sur Twitter (celle de Duchess) est plutôt "feel good". En revanche, le roman est un peu plus incisif même s'il prêche toujours la bienveillance.

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