Les enfants du rêve chinois. Luxi

Les enfants du rêve chinois. Luxi


 Sur les premières planches de ce roman graphique, le lecteur découvre une jeune femme recroquevillée dans une cellule capitonnée. Ses geôliers, dont on ne voit que les ombres, entrent dans la pièce et la soumettent à un interrogatoire serré. La jeune fille résiste car, dit-elle, elle n’a rien fait de mal.  Elle s’appelle Luxi et elle étudie le cinéma en France. C’est pour cette raison qu’elle a quitté son pays natal, trois ans plus tôt. Et non, elle ne fréquente pas d’opposants politiques en Europe. Elle est en Chine pour boucler son projet de fin d’année avec son petit ami Jean. Ils ont prévu d’interviewer Fanfan, une amie de Luxi qui est enseignante dans un petit village de campagne. Elle doit leur parler de son travail mais aussi de son homosexualité. Ludong, la technicienne qui assure la prise de son, les a rejoints sur-place à la fin d’un autre tournage. Ensemble, les cinéastes en herbe se sont rendus à Gansu, une ville située à 1543 kilomètres exactement de Pékin. Ensuite, ils ont poursuivi leur route jusqu’au district de Beidao et le village de Fanfan. Leur amie devait les héberger chez elle mais elle a changé d’avis à la dernière minute. D’ailleurs, son comportement est devenu de plus en plus bizarre au fil du temps. Elle ne semblait plus très enthousiaste à l’idée d’être filmée. Les évènements survenus quelques jours plus tard, puis l’arrestation de Luxi et Ludong, prouvent qu’elle avait raison de se méfier…


Les enfants du rêve chinois. Luxi - P6-7


Ce roman graphique, qui ne compte pas loin de 200 pages, nous apprend beaucoup sur la Chine contemporaine. Au fil de leurs pérégrinations et de leurs échanges avec la population, nos jeunes héros réalisent qu’il existe de grandes disparités entre citadins et ruraux. Les zones urbaines fleurissent comme des champignons, détruisant les paysages et chamboulant la vie quotidienne des Chinois. Par ailleurs, à cause des conséquences désastreuses de la politique de l’enfant unique mise en œuvre entre 1979 et 2015, il y a désormais, dans les campagnes, qu’une femme pour 3 hommes. Les jeunes agriculteurs doivent recourir à des transactions financières honteuses pour espérer trouver une épouse. En ville, c’est l’inverse. Les jeunes femmes qui font de longues études sont jugées trop vieilles pour se marier et avoir des enfants. L’homosexualité n’est guère tolérée. Dans son village, très excentré de Pékin, Fanfan subit de multiples représailles. La jeunesse chinoise et la communauté LGBT ne sont pas les seules à souffrir. Nos étudiants en cinéma découvrent que les minorités ethniques, comme celles des Ouïghours, sont victimes de discriminations et de violence diverses en dépit de la pression internationale. 


Les enfants du rêve chinois. Luxi. P18-19


Les enfants du rêve chinois n’a pas pour objectif de présenter une Chine de carte postale avec des paysages époustouflants et des couleurs vives. L’intérêt de cet album réside bien sûr dans la trame narrative. Les illustrations, en noir et blanc, permettent de se concentrer davantage sur le propos et de souligner son aspect dramatique. Ce one-shot est néanmoins un manhua de bonne facture avec une couverture rigide rouge plutôt réussie. Il se lit de droite à gauche comme les BD occidentales. L’album est lice pour le Prix Asie de la critique ACDB (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) 2023 qui sera remis au gagnant à l’occasion de la Japan expo à Paris le 16 juillet prochain. Ces concurrents sont Adieu Eri de Tatsuki Fujimoto (éd. Crunchyroll), Box de Daijirô Morohoshi (éd. Le Lézard noir), Darwin’s Incident de Shun Umezawa (éd. Kana) et Hirayasumi de Keigo Shinzô (éd. Le Lézard noir). Personnellement, j’ai déjà fait mon choix. 

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📌Les enfants du rêve chinois. Luxi. Sarbacane, 192 pages (2023)


Hmong. Vicky Lyfoung

Hmong. Vicky Lyfoung


 C’est après avoir vu un documentaire de Cyril Payen, consacré aux peuples d’Asie que Vicky Lyfoung a commencé à s’interroger sur ses origines. Ses parents sont des Hmongs. Ils sont arrivés en France dans les années 70 après un long périple qui les a conduits du Nord du Laos à la région parisienne, en passant par les camps de réfugiés thaïlandais. Le père de Vicky ne parle pas très bien le Français et la jeune femme a oublié sa langue maternelle. Elle s’appuie donc sur le témoignage de sa mère et fait des recherches sur l’histoire des Hmongs qui remonte à plus de 2 000 avant l’ère chrétienne. Elle apprend qu’il s’agit d’un peuple de montagnards, originaire du Nord de la Chine (la République Populaire reconnait à ce jour l’existence de 56 ethnies ou Miao). 

Selon la tradition orale, les Hmongs auraient d’abord porté le nom de Chiyou (littéralement Grand-père) en l’honneur d’un seigneur de guerre. Les multiples conflits avec les Hans les poussent toujours plus loin de leur berceau ancestral et au 18ème siècle, la majeure partie de la population Hmong a disparu. Les survivants s’installent dans les territoires situés au sud des frontières chinoises, au Myanmar (Birmanie), au Laos, en Thaïlande et au Vietnam. 


Hmong. Vicky Lyfoung - P24-25


Au 19ème siècle, avec la colonisation française, s’ouvre une nouvelle page de l’histoire de ce peuple. Pour payer leurs impôts, les paysans produisent de plus en plus d’opium. Ce trafic permettra aux occidentaux de financer les deux guerres mondiales puis les conflits qui ont suivi. Au milieu de ce bazar, plusieurs personnages emblématiques s’imposent. Pa Chay est le premier à se rebeller contre l’occupant français. Son assassinat en 1921 marquera la fin de "la Guerre du fou" et de l’insurrection Hmong.  La grande histoire a également retenu le nom de Vuong Chinh Duc, un Kaitong (chef de canton sous le protectorat français). Le château qu’il s’est fait construite dans la province de Hà Giang est aujourd’hui un haut lieu touristique du Nord Vietnam. Néanmoins c’est le Kaitong Louby Lyfoung, dans la province de Xieng Khouang au Laos, qui s’impose comme la grande figure de la période coloniale. 

Premier membre de la communauté Hmong à suivre des études secondaires, Louby Lyfoung est l’allié des Français et, à ce titre, participe activement au trafic d’opium. Pendant la guérilla antijaponaise et la première guerre d'Indochine, notre notable est toujours du côté des Occidentaux. Il s’oppose au Pathet Lao communiste pendant la guerre civile laotienne et joue un rôle primordial dans la formation d’un nouveau royaume indépendant. Après la victoire du régime communiste en 1975, Louby Lyfoung est envoyé en camp de rééducation où il mourra quatre 4 ans plus tard. 


Hmong. Vicky Lyfoung. P32-33


Dès le mois de mai 1975, de nombreux réfugiés politiques Hmongs quittent le Laos pour se réfugier en Thaïlande. Une bonne partie d’entre eux sont ensuite répartis dans des pays d'accueil comme les États-Unis, la France (notamment en Guyane) et l'Australie. La famille de Vicky est ainsi dispatchée aux quatre coins du monde. Ses parents et sa sœur aînée s’installent dans l’Hexagone tandis que les membres de la branche paternelle traverse l’Atlantique. Ses grands parents maternels vivent quelques années en France puis rejoignent le reste de la famille aux Etats-Unis. 

Les parents de notre narratrice parviennent à maintenir un lien avec la communauté Hmong de France mais leurs enfants adolescents sont peu réceptifs à la culture et aux traditions de leurs ancêtres. Vicky, cadette d’une fratrie de huit enfants, ne s’intéresse que tardivement à ses racines. Elle met 15 ans à réaliser son projet, alors qu’elle est elle-même devenue mère. Le fond et la forme de l’album témoignent d’ailleurs de sa volonté de transmettre un héritage familial à son enfant. 


Hmong. Vicky Lyfoung. P56-57


En dépit de l’histoire complexe et tragique de son peuple d’origine, l’autrice signe un album sans pathos ni lourdeur, ce qui le rend accessible à un large public. On sent une volonté pédagogique forte dans les textes et les illustrations. Les Chibis, ces petits personnages enfantins (qui rappellent le graphisme des mangas) permettent de réduire la tension dramatique engendré par le fil narratif. La rondeur du trait apporte beaucoup de douceur à cet album qui n’est d’ailleurs pas dénoué d’humour. 

💪Lecture dans le cadre de l’activité autour des Minorités ethniques

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📌Hmong. Vicky Lyfoung. Delcourt, 160 pages (2023)



La Malédiction de Satapur. Sujata Massey

La Malédiction de Satapur. Sujata Massey


💪 Je profite de ce début de saison estivale pour faire une nouvelle escale indienne, en compagnie de Maggie, Claudialucia et Rachel qui ont suggéré une lecture commune autour de La Malédiction de Satapur de Sujata Massey. Il s’agit d’un cosy Mystery, un genre idéal selon moi, pour inaugurer les lectures de vacances. Avec ce polar historique, le dépaysement est garanti. 

La romancière américaine d’origine indienne, nous invite dans la petite principauté fictive de Satapur, un territoire situé au cœur des Ghats occidentaux. La saison des pluies rend son accès d’autant plus difficile. Nous sommes en octobre 1921 et cet état princier du Raj britannique connait une grave crise de succession. Le Maharadjah est mort de la malaria puis son fils aîné a été tué par un tigre. Son dernier héritier mâle, le Maharadjah Jiva Rao, n’a que 10 ans. Il vit confiné dans son palais, entouré de sa jeune sœur et des deux maharanis. Sa mère, la Choti-rani (la jeune maharani) souhaite l’envoyer étudier en Angleterre où il pourra bénéficier d’une éducation digne de ses futures fonctions. Sa grand-mère, la Rajmata Putlabai (la maharani douairière), s’y oppose formellement. Les deux femmes réclament l’arbitrage de l’agence de Kolhapur qui représente la couronne britannique dans les états du Deccan.  Or, elles pratiquent la Purdah, la ségrégation entre hommes et femmes, et refusent de recevoir Colin Sandringham, le nouvel l’agent politique en place. Les Anglais trouvent néanmoins une parade en confiant la mission à une avocate indienne appelée Perveen Mistry. La jeune femme, adepte du zoroastrisme, travaille pour le cabinet familial. La proposition de l’agence Kolhapur est une formidable opportunité professionnelle qu’elle ne peut laisser passer malgré les problèmes logistiques qui lui compliquent la tâche. Par ailleurs, elle découvre rapidement que la vie du jeune Maharadjah est menacée. La sienne aussi puisqu’elle est devenue sa protectrice légale. 

La Malédiction de Satapur est le 2ème volet d’une série policière débutée avec Les veuves de Malabar Hill. L’intrigue se déroule à la même période que les célèbres polars d’Abir Mukherjee mais la comparaison s’arrête là. Le style d’écriture et le traitement romanesque des évènements sont très différents.  Le fait que l’héroïne récurrente soit une femme joue sans doute un rôle important. Il s’agit d’une détective amatrice, ex étudiante à Oxford. Du fait de son origine, elle subit les contraintes des règles religieuses et de la société de castes. Son univers est donc très éloigné de celui du capitaine Wyndham, ex-enquêteur de Scotland Yard et vétéran de la première guerre mondiale, qui s’illustre dans les romans d’Abir Mukherjee. Bref, les livres de Sujata Massey sont beaucoup plus légers et ne s’adressent peut-être pas au même public. 

Certes, l’intrigue de La Malédiction de Satapur pouvait se résoudre en moins de 500 pages et le titre français est plus accrocheur que le titre original (The Satapur Moonstone).Cela étant dit, je trouvé ce roman plutôt distrayant. La bluette entre Perveen Mistry et Colin Sandringham ne m’a pas dérangée et j’ai beaucoup apprécié la toile de fond historique.

Sujata Massey a reçu plusieurs prix de littérature policière pour cette série (surtout pour Les veuves de Malabar Hill) dont le Prix Agatha 2018 du meilleur roman historique et le Prix Mary Higgins Clark 2019. Le troisième volume, Le Prince de Bombay a été publié chez Charleston en 2022. Un quatrième épisode doit paraître en juillet prochain en version originale. Il est intitulé The Mistress of Bhatia House. Sujata Massey est l’autrice d’une autre série, The Rei Shimura (11 tomes), qui n’a pas encore été traduite en Français.

📌Les enquêtes de Perveen Mistry, tome 2 : La Malédiction de Satapur. Sujata Massey. Charleston Poche, 544 pages (2022)


Le fardeau tranquille des choses. Ruth Ozeki

 Le fardeau tranquille des choses. Ruth Ozeki


Kenjy Ôh est un musicien de jazz, d’origine nippo- coréenne. Il faudrait plutôt dire "était" puisque qu’il est mort en rentrant d’un concert. Allongé, totalement ivre (et sans doute drogué) sur la chaussée devant chez lui, il a été écrasé par un camion. Ironie du sort : le véhicule transportait des poulets destinés à l’abattoir.  Sa femme Annabelle et son fils Benny sont sous le choc. La première se sent responsable parce qu’elle s’était disputée avec son époux avant qu’il ne quitte la maison. Le temps passe et la jeune femme s’enferme à la maison, prend du poids et accumule les objets inutiles pour remplir le vide de son âme. Benny ne supporte plus la cohabitation avec le bazar de sa mère. L’adolescent est persuadé que les objets lui parlent et lui fond faire des choses qui lui portent préjudice. Pour échapper à la cacophonie domestique, il fuit l’école et la maison. Son refuge est la bibliothèque du quartier. C’est un lieu familier qu’il fréquente depuis qu’il est tout petit. Ici, personne ne le juge. Ni "Bottleman", un Clochard Céleste, ni "l’Aleph", une jeune artiste presque aussi déjantée que lui. 

Le fardeau tranquille des choses est une parabole convoquant Walter Benjamin pour dénoncer le consumérisme. Mais ce n’est pas tout ! Ruth Ozeki signe un magnifique roman sur le deuil et le sens de la vie. Le sujet est ambitieux mais il est traité avec beaucoup d’humilité. On croise dans ce livre des personnages généreux et anticonformistes. Certains d’entre eux vivent des moments tragiques mais parviennent se créer un univers propre, onirique et réconfortant. Cela ne suffit pas toujours. Annabelle et Benny vont devoir se prendre en main pour s’en sortir. Le chemin sera long, semé d’embûches mais ils finiront par trouver une voie originale grâce à une bande de SDF, une bibliothécaire et une nonne zen, adepte du rangement par le vide, qui fait furieusement penser à Marie Kondo. Et puis, il y a les livres… même s’ils ne sont pas toujours fiables. Car, dans cette histoire, l’objet livre est un personnage à part entière qui s’exprime et tente d’influencer les autres personnages. Cette mise en abîme est prétexte à réflexion sur le processus de création et l’expérience de lecture. Pour Ruth Ozeki, un roman est le résultat d’une collaboration étroite entre l’écrivain et ses lecteurs. L’imagination est un labyrinthe, nous dit-elle, et cette fois, c’est Jorge Luis Borges qui est convoqué.

La romancière aborde bien d’autres sujets difficiles mais jamais de manière abrupte. On sent chez cette autrice, une tendresse particulière pour les petites gens et de ceux issus des diasporas. Elle évoque le désarroi de cette tranche de la population après les élections. Elle ne dit pas lesquelles (ni ne précise l’année) mais le lecteur comprend qu’elle fait référence à l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. 

Le fardeau tranquille des choses (The book of form and emptiness en version originale) a été récompensé par Women's Prize for Fiction 2022.

💪Lecture dans le cadre du challenge des Pavés de l’été

📚D’autres avis que le mien via Bibliosurf

📌Le fardeau tranquille des choses. Ruth Ozeki. Belfond, 592 pages (2023)


La chambre silencieuse. Herbjørg Wassmo

La chambre silencieuse. Herbjørg Wassmo


📚La chambre silencieuse me permet de renouveler une lecture commune avec Ingannmic et Agnès autour de la Trilogie de Tora. Fortement ébranlée par La véranda aveugle, j’avais demandé un peu de répit à mes co-lectrices avant de poursuivre l’expérience. 

Ce second volet, nous ramène exactement à l’endroit où nous avions abandonné notre jeune héroïne, c’est-à-dire sur une île septentrionale de la Norvège dans les années 50. Après un incendie criminel et l’arrestation de son beau-père, Henrik, Tora relève lentement la tête et s’autorise même à croire qu’un avenir meilleur est possible. La communication avec Ingrid, sa mère, reste difficile mais la tendresse qui unit ces deux être taiseux est palpable. L’orgueilleuse Ingrid boude un temps sa sœur Rakel et son mari puis finit par céder au cri du cœur. Tora, elle, accepte que le couple finance ses études sur le continent. Malheureusement pour la jeune fille, Henrik est libéré de prison et rentre au bercail avant qu’elle ne puisse s’échapper de l’île. L’homme, marqué par l’infamie, est condamné au chômage.  Comme on pouvait s’y attendre, il renoue rapidement avec ses démons. Tora en sera de nouveau la victime muette et honteuse. 

Le style d’écriture très singulier d’Herbjørg Wassmo fait toujours mouche. J’ai retrouvé à la fois l’intériorité qui m’avait marquée dans le premier tome, et un réalisme surprenant dans la description des personnages et des lieux. Le lecteur est comme happé par le microcosme formé par cette communauté de pêcheurs. 

La chambre silencieuse est un roman poignant qui ne peut laisser indifférent. Tora, son héroïne, est une toute jeune fille solitaire, forcément très perturbée, mais tellement courageuse. Son statut de victime l’accule à des actes indicibles qu’elle surmonte avec une volonté incroyable pour son âge. Le troisième et dernier volet de la série, Ciel cruel, me fait craindre le pire pour elle. 

📌La chambre silencieuse. Herbjørg Wassmo. Babel, 336 pages (2000)

Le Parc aux roseaux. Thuân

Le Parc aux roseaux. Thuân


Thuân publie son 7ème roman en France et pourtant je n’avais jamais entendu parler de cette autrice d’origine vietnamienne. C’est un article très enthousiaste de la journaliste et romancière Doan Bui qui m’a donné envie de la lire. Selon elle, Thuân est, depuis un bout de temps, « LA voix de la littérature vietnamienne contemporaine à surveiller ». 

Pour ma part, j’ai d’abord été un peu déroutée par le style d’écriture de Thuân, tantôt humoristique et décapant, tantôt introspectif et pudique. Par exemple, on ne saura pas grand-chose de l’amoureux Français de son héroïne, si ce n’est qu’il porte un prénom commençant par P., occupe sans doute un bon job, et fait du jogging dans le bois le dimanche matin. Bref, il a le profil type du "Hipster". Nous sommes dans les années 2000. La narratrice, qui habite en France depuis 10 ans, semble vivre hors du monde, cloîtrée dans son petit appartement parisien, sous la garde (à distance) de son père. Il l’a poussée à étudier la littérature française et l’appelle quotidiennement (depuis le Vietnam) pour lui rappeler ses heures de cours et ses rendez-vous avec son encadrante de thèse. Le loyer et les frais annexes, en revanche, sont réglés par sa sœur ainée, mariée à un cadre du Parti à Saïgon (l’autrice utilise toujours l’ancien nom d’Hô Chi Minh-Ville). Notre héroïne prend subitement conscience que son avenir professionnel et amoureux en France est compromis puis décide de rentrer dans son pays natal.  Sa sœur lui trouve un emploi de professeur de Français dans un établissement privé et son père lui offre un appartement luxueux. Néanmoins, la jeune femme a du mal à oublier sa vie française et à trouver ses marques dans un pays qui s’est métamorphosé en l’espace d’une seule décennie. 

Thuân s’attarde sur le thème de l’exil et évoque longuement l’évolution de la société saïgonnaise, ainsi que les relations entre Asiatiques et Occidentaux. Néanmoins, ce sont ses digressions sur les Viêt kiêu (Vietnamiens résidant à l’étranger) qui m’ont le plus captivée. Je ne connaissais pas vraiment l’histoire de la diaspora vietnamienne, dont les membres ont émigré en France après la chute de l’empereur Bao Daï en 1955 ou à la fin de la guerre du Vietnam en 1975. Après la réunification du pays, en 1976, les Viêt kiêu ont été considérés comme traitres à la patrie et ostracisés pendant de longues années. Le père de la narratrice, lui, est rentré au pays au bon moment, l'espoir au cœur... Il a déchanté assez vite !

📌Le Parc aux roseaux. Thuân. Actes Sud, 208 pages (2023)


La mort de pharaon. Simonne Lacouture

La mort de pharaon. Simonne Lacouture


 A travers ce court récit, Françoise Lacouture s’empare de "l’affaire Ramsès III", un mystère que les sources archéologiques ne permettent pas d’éclaircir totalement. Le narrateur de cette novella est Prêemheb, le scribe de la Maison du roi. Il explique comment le pharaon a succombé à un complot fomenté par Taya, une épouse secondaire. Elle a bénéficié de l’aide des autres femmes du harem royal, des gardiens du gynécée, du Chambellan, des officiers, des prêtres et des scribes. Le but de la cabale était de porter son fils, le prince Pentaour, au pouvoir à la place du successeur désigné par le vieux pharaon. Les conjurés choisissent de frapper pendant les fêtes du couronnement, la 32ème année du règne de Ramsès III. Or, celui-ci ne meurt pas tout de suite et désigne un tribunal composé de 12 hommes fidèles pour juger les traîtres. Il revient donc à son héritier, Ramsès IV, le fils d’Isis, de faire toute la lumière sur ce crime de lèse-majesté et de punir les accusés, selon les dernières volontés de son père. 

J’ai découvert cet opus dans la boutique des musée nationaux, à la sortie de l’exposition sur Ramsès II, à la Grande Halle de la Villette. L’idée était de prolonger le voyage au cœur de l’Egypte antique, après une visite un peu gâchée par le nombre trop important de visiteurs. J’ai connu la même frustration lors de l’exposition dédiée à Toutankhamon en 2019 mais je considère que c’est le prix à payer pour admirer des pièces aussi exceptionnelles. 

Pour en revenir à la lecture, mon choix s’est porté sur une biographie romanesque plutôt qu’un essai dédié à l’égyptologie. Je sais que Christian Jacq a écrit plusieurs cycles de romans sur l'Égypte antique et notamment une pentalogie consacrée à Ramsès II mais je cherchais quelque chose de plus succinct et sortant un peu des sentiers battus. L’opus de Simone Lacouture répond à ces deux critères… peut-être même trop bien car on se prend à regretter la brièveté du texte. Elle cite de nombreux extraits d’archives qui plongent le lecteur au cœur même des évènements et son style, très poétique, apporte une aura de mystère supplémentaire à l’intrigue. Bref, c’est un régal !

La postface de l’Egyptologue Serge Sauneron apporte, sans être pontifiante, un éclairage intéressant sur le  "dossier Ramsès III". On découvre que des questions subsistent concernant l’enchaînement des faits et la conclusion du jugement de Taya, laissant la part belle à l’interprétation et à l’imagination romanesque. 

📌La mort de pharaon. Simonne Lacouture. Actes Sud, 62 pages (2022)


Hotaru. Aki Shimazaki

Hotaru. Aki Shimazaki


📝 Les romans d’Aki Shimazaki sont autant de pièces d’un puzzle, qui peuvent se lire dans le désordre. Ce premier cycle romanesque est composé de Tsubaki, Hamaguri, Tsubame, Wasurenagusa et Hotaru. Chaque volet offre un nouveau point de vue narratif, se joignant au chœur des protagonistes précédents et/ou suivants. Dans Hotaru (littéralement Luciole en Japonais), c’est une étudiante en archéologie qui prend la parole. Sa grand-mère Mariko est mourante. La jeune fille se penche à son chevet et recueille un secret de famille dévoilant l’origine de son père, Yukio. La confession de sa grand-mère arrive à un point nommé dans la vie de notre narratrice et l’empêchera sans doute de tomber dans un piège amoureux. Notre héroïne s’appelle Tsubaki. Ce mot, qui signifie Camélia, est aussi le titre du premier volet de cette fresque familiale. La boucle est ainsi bouclée, la narration circulaire rendant hommage au grand cycle de la vie. 

C’est avec un brin de nostalgie que je termine ma lecture de la pentalogie du Poids des secrets. J’ai été bluffée par la construction parfaitement maîtrisée de cette intrigue aux multiples facettes, ainsi que par le style écriture à la fois sobre et sensible de l’autrice. Sachant qu’Aki Shimazaki n’écrit pas dans son idiome maternel mais en Français, une langue apprise sur le tard, je suis d’autant plus admirative. Il n’y a rien de trop dans ses opus, chaque mot est pesé, aucune phrase n’est anodine. Les sujets abordés sont tous dérangeants (guerre, bombe atomique, tremblement de terre, poids des traditions, ostracisme de classes, mensonges, infidélité…) et pourtant la lecture de ses romans semble presque légère. Dans ce chaos, en effet, il y a de la poésie et de la beauté. Il y a la nature qui console et aussi de bonnes personnes qui redonnent confiance en l’humanité. 

Aki Shimazaki a reçu plusieurs prix littéraires pour la pentalogie du Poids des secrets dont le prix Canada Japon et prix littéraire du Gouverneur général du Canada. La romancière d’origine japonaise a publié trois autres cycles romanesques : Au cœur du Yamato (Mitsuba, Zakuro, Tonbo, Tsukushi et Yamabuki) et L’Ombre du chardon (Azami, Hôzuki, Suisen, Fuki-no-tô et Maïmaï). Son nouveau cycle, Une clochette sans battant, comprend à ce jour Suzuran (2020), Sémi (2021), No-no-yuri (2022) et Niré (2023). Il y a donc de bonnes chances pour que je me lance, un jour ou l’autre, dans une nouvelle expérience de lecture en compagnie d’Aki Shimazaki. 

📚Un autre avis que le mien : Cléanthe

Keisha a lu la pentalogie intitulée Au coeur du Yamato,  Sunalee a lu L'ombre du charbon et Maggie a commencé le cycle de La clochette sans battant.

📌Le Poids des secrets, tome 5 : Hotaru. Aki Shimazaki. Babel, 136 pages (2009)


Wasurenagusa. Aki Shimazaki

 Wasurenagusa. Aki Shimazaki


Wasurenagusa, qui est le nom des fleurs de myosotis, signifie "ne m’oubliez pas" en Japonais. C’est aussi le mot que Sono, la vieille nounou du narrateur, a fait graver sur sa tombe. Kenji Takahashi est le dernier représentant d’une riche et prestigieuse famille nippone. Sa stérilité a mis fin à son premier mariage avec une jeune femme de sa classe sociale. Il traverse une période de dépression, se consacrant uniquement à son travail de pharmacologue, avant de rencontrer Mariko. Cette femme très sensuelle est la mère d’un jeune garçon, Yukio. Elle gagne modestement sa vie en faisant des travaux de couture. Kenji tombe immédiatement sous son charme et la demande en mariage. Il souhaite aussi adopter son fils. Ses parents n’approuvent pas du tout cette union avec une femme « d’origine douteuse ». Un détective privé leur a appris que Mariko est orpheline. Son koseki (état civil) ne remonte pas plus loin que le tremblement de terre du Kantō en 1923, date à laquelle elle est arrivée dans l’orphelinat de la paroisse. Pour cette famille traditionnelle issue de la noblesse, il n’est pas acceptable que Kenji l’épouse. Or, le jeune décide de s’affranchir de l’avis de ses parents, renonçant ainsi à son héritage. Il demande sa mutation à Nagasaki, près du quartier où il est né, et s’y installe avec sa nouvelle famille. Il espère y retrouver Sono, son ancienne nounou, avec laquelle il a gardé des liens malgré les réticences de ses parents. 

📝Wasurenagusa est le 4ème volet du Poids des secrets, une pentalogie qui raconte l’histoire enchevêtrée de deux familles : les Horibe et les Takahashi. Chaque roman peut se lire indépendamment et donne la parole à un narrateur différent. Ils évoquent leurs souvenirs et des secrets de famille qui sont souvent liés à leurs origines. Dans Tsubame, le tome précédent, Aki Shimazaki mentionne Oyayubi-him. Il s’agit du titre japonais de La petite Poucette, le fameux conte de H.C. Andersen. Cette citation n’est pas innocente puisque le cycle romanesque de l’écrivaine reprend la symbolique du retour aux sources et s’inspire de la trame de fond circulaire de l’histoire. Les titres des romans, qui sont presque toujours des noms de fleurs, d’insectes ou d’animaux, nous renvoient chaque fois à ce conte. Aki Shimazaki interroge dans ce cycle romanesque les questions de l’origine, mais aussi du poids de la tradition et des mensonges. Les récits personnels des protagonistes sont des sortes de zoom qui s’inscrivent dans la grande histoire. Les fils narratifs enchevêtrés des héros traversent une bonne partie du 20ème siècle, revenant épisodiquement sur les évènements de la seconde guerre mondiale et notamment les bombardements des grandes villes japonaises par les Alliés, ainsi que la destruction de Nagasaki après le largage de la bombe A. Dans Tsubame, le troisième tome de la pentalogie, la narratrice remonte le temps jusqu’en 1909 puis évoque le tremblement de terre de Kantō. C’est l’autre marqueur temporel majeur du cycle. 

Ce qui frappe chez Aki Shimazaki, c’est sans doute son écriture. La romancière d’origine japonaise a choisi de s’exprimer dans la langue de sa terre d’accueil, le Québec. Son style épurée et ciselé sied très bien à son propos. Il se fait l’écho délicat de la pudeur des sentiments. 

Le volet qui clôt ce premier cycle romanesque d’Aki Shimazi est intitulé Hotaru. En dépit de quelques redites incontournables (parce que liées au fil narratif circulaire), j’ai hâte de découvrir le point final de cette captivante saga historique et familiale. 

📚Un autre avis que le mien : Cléanthe

📌Le poids des secrets, tome 4: Wasurenagusa. Aki Shimazaki, Babel, 128 pages (2009)


Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates. Shaffer & Barrows

 Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates. Shaffer & Barrows


💪En dépit du succès rencontré lors de sa parution, j’ai toujours repoussé la lecture de ce roman à plus tard. Je profite donc de l’idée conjointe d’Eva et Patrick et de de Madame lit d’organiser un week-end de lecture dédié au roman épistolaire pour m’y atteler. La forme de ce roman à l’avantage de le rendre fluide, dynamique et facile à lire. On peut le qualifier, et plus encore semble-t-il son adaptation cinématographique, de comédie romantique. Cela dit, il me semble que Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates est plus profond que cela. Une grande partie de l’intrigue est consacrée, comme on s’en doute, au plaisir de lire mais d’autres sujets moins plaisants sont longuement abordés. Il est question d’une période difficile de l’histoire des îles Anglo-normandes et notamment de l’occupation allemande de Guernesey pendant la seconde guerre mondiale. Au moins deux protagonistes de ce roman sont d’ailleurs déportés à Ravensbrück et une petite fille devient orpheline.

L’histoire est centrée autour de la personnalité pétillante d’une jeune écrivaine londonienne. Nous sommes en 1946. Juliet Ashton, une trentenaire célibataire échange une série de courriers avec son éditeur et ami Sidney Stark au sujet d’une tournée de promotion de son œuvre et de l’écriture d’un prochain roman dont le sujet reste à déterminer. Durant la guerre, elle a signé des articles humoristiques pour le compte du Spectator sous le pseudonyme d’Izzy Bickerstaff. La jeune femme aspire désormais à publier des livres plus sérieux en oubliant son ancien nom de plume. L’opportunité qu’elle cherche va lui être offerte sur un plateau grâce à la lettre d’un inconnu. Il s’appelle Dawsey Adams, il élève des porcs à Guernesey et vient d’acquérir un ouvrage de Charles Lamb ayant appartenu à Juliet. Enthousiasmé par la prose de l’essayiste, notre fermier sollicite l’aide de sa correspondante pour se procurer d’autres ouvrages de Charles Lamb. En cette période d’après-guerre, il n’est pas facile de dénicher de type de trésor. Ainsi débute les échanges épistolaires entre Dawsey Adams et Juliet Ashton qui est rapidement fascinée par l’histoire de Guernesey et de ses habitants. Sa correspondance s’étend bientôt aux proches de Dawsey et notamment aux membres de son étonnant club de lecture. Par ailleurs, les nombreuses lettres que Juliet échange avec Sophie, son amie d’enfance, ainsi qu’avec Mark, son trop charismatique soupirant américain, permettent au lecteur d’imaginer les sentiments qu’elle éprouve à l’égard de ses nouveaux amis, de leur vie quotidienne (qu’elle partagera bientôt) et l’histoire déchirante de Kit, une petite orpheline à laquelle elle s’attache de plus en plus.

Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates. Film

Si j’ai bien compris, l’histoire de la publication de ce livre est déjà un brin romanesque. Il a été écrit à quatre mains par l’Américaine Mary Ann Shaffer puis sa nièce Annie Barrows. La première a trouvé l’inspiration lors d’un voyage aux Iles Anglo-normandes mais a laissé passer de nombreuses années avant de coucher l’intrigue sur le papier. Le manuscrit est accepté par un éditeur en 2006 mais celui-ci réclame d’importantes corrections. La santé de l’autrice déclinant, elle fait appel à l’expérience de sa nièce, autrice de livres pour enfants. Cela explique sans doute l’originalité du titre dont le coté humoristique semble emprunter à la littérature enfantine. 

Je n’ai pas vu le film réalisé par Mike Newell mais les recensions que j’en ai lu indiquent que les scénaristes ont pris quelques libertés. La bande annonce me fait craindre une mise en scène un peu accrocheuse mais je peux me tromper. En tout cas, je mentirais si je disais que je n’ai pris plaisir à la lecture du roman de Mary Ann Shaffer & d’Annie Barrows. Les boutades de Juliet et de Sydney m’ont beaucoup amusée, tout comme les excentricités des membres de Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates. J’ai éprouvé de l’admiration pour la courageuse Elizabeth McKenna et de l’empathie pour Rémy, sa compagne d’infortune en camp de concentration. La petite Kit, enfin, est désarmante de clairvoyance et d’espièglerie. Oui, il y a beaucoup de bons sentiments dans ce livre… et alors ? Cela fait du bien de temps en temps, non ? 

📌Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates. Mary Ann Shaffer & Annie Barrows. Editions 10/18, 416 pages (2011)


Inconnu à cette adresse. Kathrine Kressmann Taylor

Inconnu à cette adresse. Kathrine Kressmann Taylor


💪Je profite de l’activité organisée autour du roman épistolaire par les auteurs des blogs Et si on bouquinait un peu et Madame lit pour lire enfin ce texte devenu un classique de la littérature mondiale. Bien que l’ouvrage existe en format de poche chez J’ai Lu, je recommande la version éditée par les éditions Autrement qui présente plusieurs documents complémentaires au texte (la novella elle-même ne compte qu’une soixantaine de pages). Une partie de ces éléments retracent l’histoire du manuscrit, depuis son écriture en 1935, puis sa première publication dans le magazine américain Story magazine en 1938 et, enfin, sa redécouverte en France à la fin des années 90. Il y a également une belle préface de Philippe Claudel que je suggère de lire après le roman pour conserver le mystère de l’intrigue. 

Max Eisenstein et Martin Schulse sont amis et associés. Ils possèdent une galerie d’art à San Francisco qui marche plutôt bien. En 1932, Martin décide de retourner vivre à Munich avec sa femme et ses enfants. Max, qui est célibataire, continuera de gérer seul leur affaire commune. Les deux hommes restent en contact et s’échangent des lettres. A travers ses courriers, le lecteur voit leur relation évoluer. Il faut dire que le contexte politique ne favorise pas les liens d’amitié entre juifs et Allemands. Ainsi, Martin se laisse-t-il séduire par l’idéologie nazie et fait savoir à son ex-camarade qu’il ne souhaite plus entretenir d’autres relations que professionnelles. Max est d’abord persuadé que son ami ment pour se préserver des repressions. Leur correspondance se poursuit néanmoins jusqu’en mars 1934 et prend une tournure de plus en plus dangereuse. 

Ce court roman, que je qualifie de novella, n’a pas usurpé son succès. Je comprends l’enthousiasme qu’il a suscité. L’intrigue est brillamment construite et s’inscrit très bien dans le genre épistolaire. On est surpris par la clairvoyance de l’autrice. Certes, certains éléments étaient forcément connus, comme la situation économique de l’Allemagne, l’incendie du Reichstag ou la nomination de Goebbels au ministère de la Propagande et de l’information. En revanche, on peut se demander comment une Américaine a pu être si précisément informée de la chasse aux sorcières contre les communistes et surtout des persécutions à l’encontre des juifs. Un début de réponse nous est fourni dans les textes complémentaires mais cela n’explique pas l’aveuglement européen sur les mêmes questions.

L’ouvrage de Kathrine Kressmann Taylor est désormais disponible dans la collection Etonnants Classiques chez Flammarion Jeunesse. L’éditeur le recommande aux jeunes lecteurs à partir de 14 ans. Pour ma part, je suggère de lire en parallèle L'ami retrouvé de Fred Uhlman (Folio Junior, 128 pages, rééd. 2014) qui s’adresse aux enfants de 11 à 14 ans. 

📌Inconnu à cette adresse. Kathrine Kressmann Taylor. Autrement, 192 pages (2018)



Tsubame. Aki Shimazaki

Tsubame. Aki Shimazaki


 On parle toujours de la délicatesse de la culture japonaise. Les romans d’Aki Shimazaki contredisent un tantinet cette image. Je ne parle pas ici du style d’écriture de l’autrice mais de l’histoire de son pays d’origine. Au fil de ses romans, la romancière n’a de cesse de mettre en avant la brutalité des régimes successifs et des populations endoctrinées. Des actes de barbarie, suscités par la colère du peuple, font écho aux malheurs engendrés par les guerres et catastrophes naturelles qui ont frappé le Japon au début du 20ème siècle. Au milieu de ce chaos, Aki Shimazaki explore les zones d’ombre d’une famille dont le lecteur peut suivre la destinée tortueuse au fil des pages. La saga est si bien construite que chaque volet peut se lire indépendamment des autres (peut-être même dans le désordre). L’ensemble forme une pentalogie intitulée Le poids des secrets. L’autrice aurait pu la présenter sous la forme d’un roman choral unique mais sa lecture aurait sans doute été plus fastidieuse. 

📝Dans ce troisième opus (après Tsubaki et Hamaguri), la parole est donnée à une femme. Elle est née Coréenne au Japon en 1911. Pendant les 12 premières années de sa vie, elle s’appelle Yonhi Kim. Sa mère est une refugiée politique. Elle s’est échappée de son pays natal à cause des persécutions menées contre les opposants au régime d’occupation nippon. Arrivée clandestinement au Japon, accompagnée de son frère, elle a toujours été considérée comme une Zaïnichi (étrangère). En dépit de sa bonne éducation, elle est réduite à faire le ménage chez une riche famille nipponne. Sa fille Yonhi ignore le nom de son père naturel. La vie s’écoule ainsi vaille que vaille, jusqu’au grand tremblement de terre du Kantō, le 1er septembre 1923. Ce jour-là, les trois membres de la famille sont séparés. Yonhi est confiée, sous une fausse identité, aux bons soins de l’Eglise chrétienne pendant que sa mère part à la recherche de son oncle. La fillette ne les reverra jamais. Son seul héritage est un journal intime écrit dans une langue qu’elle finit par oublier. Le prêtre, que les femmes de la paroisse surnomment Monsieur Tsubame (hirondelle), se débrouille pour lui obtenir la nationalité japonaise en falsifiant son koseki (état civil). Elle s’appellera désormais Mariko Kanazawa. Ceux qui ont lu la pentalogie dans l’ordre savent qu’il s’agit de la mère de Yukio, le narrateur d’Hamaguri

Après le bombardement dévastateur de Yokohama en mai 45, le traumatisme de Nagasaki et l’humiliante défaite contre les forces alliées, Aki Shimazaki aborde dans ce nouveau volet de la saga, la question de relations entre le Japon et la Corée puis celle des Chôsenjin (Coréens installés au pays du Soleil Levant). Il est très difficile d’obtenir la nationalité japonaise pour un étranger et la diaspora coréenne semble particulièrement mal perçue sur ce territoire. Après le séisme de 1923, entraînant la destruction de Tokyo et de Yokohama, les habitants se sont retournés contre les résidents coréens. Le gouvernement local les accusait de mettre le feu aux maisons. Cinq à six mille personnes ont été massacrées par l’armée, la police et les forces d’autodéfense. Le lynchage des Zaïnichi (y compris les Chinois) ainsi que des Ryukyuéens et des dissidents politiques s’est poursuivi pendant plusieurs jours après le tremblement de terre.

J’ignore quel personnage s’exprimera dans le tome 4 mais j’ai hâte de découvrir quel nouveau secret il ou elle cache. Le titre de ce prochain volet est Wasurenagusa

📚D’autres avis que le mien : Cléanthe, Maggie et Hilde

📌Le Poids des secrets, tome 3 : Tsubame. Aki Shimazaki. Babel, 128 pages (2008)


Hamaguri. Aki Shimazaki

Hamaguri. Aki Shimazaki


📝Après Tsubaki, Hamaguri est le second tome de la pentalogie du Poids des secrets. Les suivants sont Tsubane, Wasurenagusa et Hotaru. L’originalité de cette saga japonaise tient au fait que chaque volet donne la parole à un protagoniste différent. 

Dans cet opus, le narrateur est Yukio, demi-frère caché de Yukiko. Né à Tokyo d’une mère orpheline et d’un homme marié, il a longtemps subi les moqueries des autres enfants. Ils le traitaient de fils de Baïshunfu (prostituée), ou de Tetenashigo (bâtard). Heureusement pour lui, sa mère a épousé un brave homme qui l’a adopté en dépit du poids des traditions. La famille a ensuite déménagé à Nagasaki pour commencer une nouvelle vie. 

Si Yukio n’a pas connu son vrai père, il se souvient néanmoins d’un homme qu’il rencontrait au parc à Tokyo et qu’il devait appeler Ojisan (oncle ou monsieur). Celui-ci avait une fille pratiquement du même âge que Yukio. Avant qu’il ne quitte la ville, les deux enfants avaient conclu un serment de mariage en s’échangeant les 2 coques d’une palourde japonaise (Hamaguri). Yukio n’a jamais oublié sa promesse, même lorsqu’il a fait la connaissance de Yukiko, à l’adolescence, puis celle de sa future épouse Shizuko, 20 ans plus tard. 

Lorsque l’ouvrage débute, nous sommes le 7 août 1995, soit en pleine période de commémoration du cinquantenaire du largage de la bombe atomique sur Nagasaki par les Américains. C’est aussi la fête bouddhique des morts à Tokyo. Mariko, la mère du narrateur, est sur le point de mourir mais refuse toujours de lui confier le nom de son vrai père. Un détail va fortuit va cependant permettre à Yukio de réunir toutes les pièces du puzzle et d’éclaircir, non seulement le secret de sa naissance, mais aussi celui de la fuite de Yukiko. 

En dépit d’une relative économie d’écriture, cet opus est riche d’informations concernant l’histoire et la culture du japon. Aki Shimazaki montre bien la pression psychologique dont sont victimes les soldats (incités au suicide en cas de reddition) et la population civile. La possession de livres occidentaux est interdite et les étudiants doivent abandonner leurs études pour travailler dans les usines d’armement. Malgré la propagande officielle, les Japonais savent qu’ils ont déjà perdu la guerre. Yukio s’inquiète pour son père adoptif qui a été envoyé en Mandchourie car les colons japonais risquent de subir de mauvais traitements à la fin de l’occupation.

J’apprécie toujours le style épuré d’Aki Shimazuki et je suis curieuse de découvrir jusqu’où son intrigue va nous conduire. Or, cette fois-ci aucun n’indice ne nous permet de deviner qui sera le narrateur ou la narratrice du prochain volet. Les informations concernant l’histoire familiale des protagonistes sont révélées au compte-goutte. On découvre, par exemple, que Mariko est originaire de la plaine du Kantō et qu’elle est devenue orpheline suite au tremblement de terre de 1923. On peut imaginer que le 3ème volet de la série, Tsubane, nous en apprendra un peu plus à ce sujet… ou pas !

📚D’autres avis que le mien : Cléanthe, Maggie et Hilde

📌Le Poids des secrets, tome 2 : Hamaguri. Aki Shimazaki. Babel, 120 pages (2007)


Tsubaki. Aki Shimazaki

Tsubaki. Aki Shimazaki


Voici un ouvrage dégoté dans La bibliothèque de Cléanthe en mars dernier. En réalité, j’avais déjà repéré la pentalogie d’Aki Shimazaki sur d’autres blogs et j’attendais le bon moment pour me lancer dans la lecture de ce cycle. 

Le poids des secrets est donc constitué de 5 opus dont le titres font tous référence à la nature : végétaux, insectes, coquillages, etc. A travers ces courts romans, la romancière canadienne d’origine nippone traite la même intrigue vue selon le point de vue de 5 personnages différents. Néanmoins, chaque livre peut être lu indépendamment. Tsubaki, qui signifie camélia en Japonais, inaugure ce cycle romanesque en donnant la parole à Yukiko. Il s’agit de la mère de la narratrice. Avant de mourir, elle a laissé chez son notaire deux enveloppes kraft contenant des lettres. L’une est destinée à sa fille, Namiko ; l’autre est adressée à un certain Yukio. Il s’agit en réalité du demi-frère de Yukiko dont personne n’avait jamais entendu parler jusqu’ici. Dans la missive de sa mère, Hamiko découvre que ce silence est lié à un lourd secret de famille dont l’origine remonte à la période de la seconde guerre mondiale. Yukiko, qui est née au Japon, se trouvait à Nagasaki le 15 août 1945 lorsque la bombe nucléaire a été larguée sur la ville.  

Il faut savoir que l’autrice vit au Québec, qu’elle a appris le Français à l’âge de 40 ans et qu’elle écrit dans cette langue. Ceci explique sans doute un certain dépouillement dans l’écriture. En dépit de (ou grâce à) cette sobriété, le texte laisse transparaître une grande sensibilité. La fragilité des protagonistes (je pense en particulier à Hamiko) inspire immédiatement l’empathie du lecteur. Je dois dire que j’ai hâte de découvrir la version de Yukio sur les évènements racontés par sa sœur. Avait-il deviné leur lien familial ? Comment a-t-il échappé à la destruction de Nagasaki ? J’adore l’idée de suivre l’histoire singulière de cette famille à travers les yeux de différents protagonistes mais c’est la brièveté des textes qui a fini de me convaincre de me lancer dans l’aventure. Le titre du prochain volet est Hamaguri.

📚D’autres avis que le mien : chez Sunalee, Dasola, Aifelle, Keisha, Maggie et Ingannmic

📝Bibliographie dédiée à la littérature de la bombe atomique

📌Le Poids des secrets, tome 01 : Tsubaki. Aki Shimazaki. Babel, 120 pages (2005)


Le club des inadapté.e.s. Baur, Page & Bouchard

Le club des inadapté.e.s. Baur, Page & Bouchard


 Nous avons reçu cet ouvrage, en janvier dernier, grâce à notre abonnement à L’école des loisirs. Il s’adresse donc aux élèves de CM2 et au-delà. Le club des inadapté.e.s. est une bande dessinée adapté du roman éponyme de Martin Page qui, lui, s’adresse à une tranche d’âge supérieure (à partir de 13 ans). 

Martin, Edwige, Erwan et Fred forment un groupe d’amis très soudé. Au collège, ce n’est pas toujours la fête car leurs différences ne favorisent pas leur intégration. Edwige est l’intello du groupe, Fred se démarque par son look de métalleuse, Erwan est une sorte de MacGyver BCBG et Martin se fait tout le temps chambrer à cause de sa petite taille. En revanche, il est doué pour l’écriture et c’est donc lui le narrateur de cette histoire. 


Le club des inadapté.e.s. Baur, Page & Bouchard - P14-15


Jusqu’ici, nos héros s’accommodaient tant bien que mal de leur statut de parias mais un drame vient changer leur vision du monde. Erwan est victime d’une agression à la sortie du collège et doit être hospitalisé. L’évènement l’a si profondément perturbé qu’il semble, dans un premier temps, éviter ses amis. En réalité, il planche sur une machine égalisatrice de malheurs ! Ses copains pensent qu’il a carrément disjoncté mais décident de le soutenir quand même dans son projet farfelu. 

Plusieurs sujets viennent se greffer à l’intrigue principale. L’album permet ainsi d’aborder en douceur les problèmes de la différence, le chômage, du deuil, de la dépression, de l’alcoolisme, etc. Pour autant, le texte n’est pas trop pesant ni moralisateur. Je note, par ailleurs, que la nouvelle prof de math, Mme Benasera, ressemble à s’y méprendre à mon très temporaire enseignant de maths de 3ème. Martin Page aurait-il fréquenté incognito le même collège que moi ? 

 

Le club des inadapté.e.s. Baur, Page & Bouchard - P62-63

Pour ma part, j’avais déjà lu les romans pour adultes de Martin Page (Comment je suis devenu stupide et Une parfaite journée parfaite) et je m’attendais à une histoire très originale. Finalement, l’intrigue est moins rocambolesque que prévue mais conserve ce petit grain de folie qui est la signature du romancier. 

J’imagine qu’il n’est pas facile d’adapter un scénario comme celui-ci aux exigences de la bande dessinée mais Cati Baur s’en sort bien, tout en conservant sa propre patte. Ainsi, le titre adopte-t-il les codes de l’écriture inclusive, par exemple. Les illustrations correspondent, selon moi, à la cible visée : ni trop enfantines ni trop sobres. J’ai apprécié le format A5 de l’album et sa couverture souple, qui permettent de le glisser facilement dans un sac et de le lire dans les transports en commun. En revanche, l’illustration de couverture et le résumé en quatrième n’ont pas convaincu les plus jeunes d’entre nous. C’est dommage ! Moi, je trouvais le résumé plutôt bien tourné pour séduire les pré-ados.


Le club des inadaptés. Martin Page

A priori, il s’agit d’un one-shot mais on pourrait parfaitement imaginer de retrouver nos héro.ïne.s dans d’autres aventures.  Ceci est un appel du pied aux auteurs évidement. 

📌Le club des inadapté.e.s. Cati Baur (d’après le roman de Martin Page) & Christophe Bouchard (couleurs). Rue de Sèvres, 97 pages (2021)