Le fardeau tranquille des choses. Ruth Ozeki
Kenjy Ôh est un musicien de jazz, d’origine nippo- coréenne. Il faudrait plutôt dire "était" puisque qu’il est mort en rentrant d’un concert. Allongé, totalement ivre (et sans doute drogué) sur la chaussée devant chez lui, il a été écrasé par un camion. Ironie du sort : le véhicule transportait des poulets destinés à l’abattoir. Sa femme Annabelle et son fils Benny sont sous le choc. La première se sent responsable parce qu’elle s’était disputée avec son époux avant qu’il ne quitte la maison. Le temps passe et la jeune femme s’enferme à la maison, prend du poids et accumule les objets inutiles pour remplir le vide de son âme. Benny ne supporte plus la cohabitation avec le bazar de sa mère. L’adolescent est persuadé que les objets lui parlent et lui fond faire des choses qui lui portent préjudice. Pour échapper à la cacophonie domestique, il fuit l’école et la maison. Son refuge est la bibliothèque du quartier. C’est un lieu familier qu’il fréquente depuis qu’il est tout petit. Ici, personne ne le juge. Ni "Bottleman", un Clochard Céleste, ni "l’Aleph", une jeune artiste presque aussi déjantée que lui.
Le fardeau tranquille des choses est une parabole convoquant Walter Benjamin pour dénoncer le consumérisme. Mais ce n’est pas tout ! Ruth Ozeki signe un magnifique roman sur le deuil et le sens de la vie. Le sujet est ambitieux mais il est traité avec beaucoup d’humilité. On croise dans ce livre des personnages généreux et anticonformistes. Certains d’entre eux vivent des moments tragiques mais parviennent se créer un univers propre, onirique et réconfortant. Cela ne suffit pas toujours. Annabelle et Benny vont devoir se prendre en main pour s’en sortir. Le chemin sera long, semé d’embûches mais ils finiront par trouver une voie originale grâce à une bande de SDF, une bibliothécaire et une nonne zen, adepte du rangement par le vide, qui fait furieusement penser à Marie Kondo. Et puis, il y a les livres… même s’ils ne sont pas toujours fiables. Car, dans cette histoire, l’objet livre est un personnage à part entière qui s’exprime et tente d’influencer les autres personnages. Cette mise en abîme est prétexte à réflexion sur le processus de création et l’expérience de lecture. Pour Ruth Ozeki, un roman est le résultat d’une collaboration étroite entre l’écrivain et ses lecteurs. L’imagination est un labyrinthe, nous dit-elle, et cette fois, c’est Jorge Luis Borges qui est convoqué.
La romancière aborde bien d’autres sujets difficiles mais jamais de manière abrupte. On sent chez cette autrice, une tendresse particulière pour les petites gens et de ceux issus des diasporas. Elle évoque le désarroi de cette tranche de la population après les élections. Elle ne dit pas lesquelles (ni ne précise l’année) mais le lecteur comprend qu’elle fait référence à l’arrivée de Donald Trump au pouvoir.
Le fardeau tranquille des choses (The book of form and emptiness en version originale) a été récompensé par Women's Prize for Fiction 2022.
💪Lecture dans le cadre du challenge des Pavés de l’été
📚D’autres avis que le mien via Bibliosurf
📌Le fardeau tranquille des choses. Ruth Ozeki. Belfond, 592 pages (2023)
Bravo pour ton pavé! Ton billet est assez tentant. Des sujets graves mais pas forcément tristes...
RépondreSupprimerEn effet, c'est un beau roman, très riche et émouvant.
SupprimerBravo pour le pavé.
RépondreSupprimerSinon, le roman, pourquoi pas?
Je ne connais pas encore très bien tes goûts donc je ne peux pas t'assurer que tu vas aimer. C'est un roman "japonisant", onirique et poétique, que j'ai trouvé très agréable à lire en dépit des thèmes abordés.
Supprimerbravo pour ce pavé... pas assez "épais" pour le challenge homonyme, puisque moins de 600 pages ;-/
RépondreSupprimerOui, je suis en mode rodage... A bientôt !
SupprimerJe l'avais repéré depuis sa parution en anglais car j'avais adoré "En même temps toute la terre et tout le ciel" d'Ozeki. C'est un roman que je me garde sous le coude pour mieux le savourer, mais je suis ravie de voir que je ne devrais pas être déçue.
RépondreSupprimerje découvre seulement cette romancière. Je n'ai pas lu ses autres romans mais je pense que ça ne va pas tarder. J'ai été subjuguée par "Le fardeau tranquille des choses". C'est un roman labyrinthique avec des personnages attachants. On a parfois envie de secouer la mère mais on comprend aussi son apathie.
SupprimerWalter Benjamin et Borges, rien que cela dans un seul livre ... Le côté parabole et japonisant me retient quelque peu cependant. Mais je note ton enthousiasme !
RépondreSupprimerL'intrigue se déroule sur la cote ouest des Etats-Unis mais il y a beaucoup de références à la culture japonaise. Il est aussi question de livres, de jazz, de surconsommation, de conformisme...
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