La Brigade des cauchemars, T.01. Thilliez, Dumont & Drac

La Brigade des cauchemars, tome 1


 Je connaissais le Franck Thilliez auteur de polars mais j’ignorais qu’il écrivait aussi des scénarios de BD pour la jeunesse. Or, ce premier volet de La brigade des cauchemars est une très belle découverte. La série s’adresse aux jeunes lecteurs à partir de 10 ans qui aiment frissonner un peu de temps en temps.


La Brigade des cauchemars, T.01. P4-5


Les membres de cette mystérieuse brigade des cauchemars sont Tristan et Esteban, deux adolescents âgés de 14 ans. Le père du premier, le professeur Angus, est un médecin spécialisé dans les troubles du sommeil. Il dirige une étrange clinique où les patients sont soumis à un traitement révolutionnaire. Grâce à un procédé qu’il a inventé, Tristan et Estaban s’introduisent dans les cauchemars des jeunes endormis où ils acquièrent des super pouvoirs. Le temps de cette escapade dans le cerveau humain, Tritan retrouve l’usage de ses jambes et Estaban est capable de traverser les murs. Le but est de trouver la racine du mal et d’aider les patients à chasser les parasites qui troublent leur sommeil. Cette mission n’est pas sans danger et les garçons doivent absolument quitter le rêve avant que le patient ne soit réveillé. Dans ce premier tome, le professeur Angus leur demande d’entrer dans l’esprit de Sarah, une jeune fille amnésique dont les parents adoptifs sont en instance de divorce. Esteban, qui a été recueilli par le père de Tristan et qui a également perdu la mémoire, a la sensation de l’avoir déjà rencontrée quelque part. La question reste néanmoins en suspens car la priorité est de guérir Sarah de ses terreurs nocturnes. Pour nos jeunes protagonistes, c’est le début d’une étrange et périlleuse odyssée aux pays des rêves. 


La Brigade des cauchemars, T.01. P10


Franck Thilliez mène son intrigue avec une efficacité remarquable. Le lecteur entre immédiatement dans son univers et dans l’action. Les illustrations de Yomgui Dumont créent une ambiance un peu anxiogène mais pas trop perturbante non plus pour les jeunes lecteurs. Les faciès des adultes semblent taillés à la serpe tandis que les visages des enfants sont plus ronds et plus doux. Cela est d’autant plus frappant durant l’expérience onirique des protagonistes. Les couleurs utilisées par Drac renforcent le sentiment d’oppression. Les auteurs ont, par ailleurs, trouvés un système ingénieux pour mettre en avant les interventions du professeur Angus durant le voyage chimérique de ses protégés. Des illustrations sur fond noir s’intercalent entre les cases, permettant de faire la différence entre réalité et cauchemars. 


La Brigade des cauchemars, T.01. P37


Si cet album clos une première aventure, de nombreuses zones d’ombre concernant les personnages récurrents restent en suspens. Evidement, on meurt d’envie d’en savoir plus. Vivement le second tome ! La série en compte 6 à ce jour. Tous les titres de ces volumes sont des prénoms. On imagine qu’il s’agit des patients successifs de la brigade des cauchemars. Il y a également un escape book pour les jeunes lecteurs qui souhaiteraient se glisser dans la peau d’un membre de la brigade. 

📌La Brigade des cauchemars, T.01 : Sarah. Franck Thilliez (scénario), Yomgui Dumont (dessins) & Drac (couleurs). Editions Jungle, 48 pages (2021)


Les Enquêtes de Philippine Lomar, T.02. Zay, Blondin& Dawid

Les Enquêtes de Philippine Lomar, T.02. Zay, Blondin& Dawid

📝L’une des plus célèbres Amiénoise de la BD est sans doute la jeune Philippine Lomar, une adolescente qui n’a pas froid aux yeux. Après le premier volume intitulé Scélérats qui rackettent, voici une nouvelle aventure de notre détective préférée. Cette fois-ci, Philippine est missionnée par la sœur d’une certaine Géraldine. Cette dernière, âgée de 14 ans, a eu le cœur brisé par un beau parleur et a tenté de se suicider. Frank est surtout le chef de bande d’une cité de Roubaix qui a profité de la naïveté de la jeune fille pour obtenir les codes d’accès à un entrepôt des Restos du cœur. Avec l’aide discrète de Mok, le délinquant poète, et du fidèle Gégé, Philippine va remettre les compteurs à zéro et sortir Géraldine des griffes du goujat.


Les Enquêtes de Philippine Lomar, T.02 - P8-9


C’est avec un plaisir renouvelé que nous avons retrouvé notre héroïne et ses amis. Les couleurs sont toujours aussi pétillantes et le découpage "aléatoire" des cases renforce la sensation d’énergie qui émane des personnages. A l’exception des plans consacrés à la ville, les décors sont relativement sobres. Il y a peu de détails en arrière-plan. Il faut dire que les cadrages ne favorisent pas toujours le foisonnement mais c’est au profit du dynamisme sans doute recherché par les auteurs. Les représentations des monuments, avec des angles de vue parfois originaux, sont très réalistes. Il faut quand même être attentifs (ou connaître un peu les lieux) pour apercevoir le cirque d’Amiens, le Coliseum, la maison de la culture ou le monument Leclerc.


Les Enquêtes de Philippine Lomar, T.02 - P12-13


Nous allons évidemment poursuivre la série qui compte encore 4 tomes. Les auteurs seront présents les 3 et 4 juin prochains aux fameux Rendez-Vous de la Bande Dessinée d’Amiens. Nous aurons peut-être la chance de les croiser à cette occasion. 


Les Enquêtes de Philippine Lomar, T.02 - P44-45

NB: Avez-vous vu le sosie de Jules Verne qui se cache dans les pages de cet album ?

📌Les Enquêtes de Philippine Lomar, Tome 2: Le braqueur des coeurs. Dominique Zay (scénario), Greg Blondin (dessins) & Dawid (couleurs). Editions de la Gouttière, 48 Pages (2017, rééd. 2022)


Thanatea. Sonja Delzongle

Thanatea. Sonja Delzongle


 Sonja Delzongle a imaginé trois personnages de femmes fortes aux parcours très difficiles. Elles se connaissent depuis l’enfance et ont grandi dans la même cité à Auxerre, se jurant loyauté et soutient jusqu’à la mort. Ester Azoulay, la plus déterminée d’entre elles, est devenu lieutenante de police à 31 ans. Mutée à Lyon, elle a connu une première année difficile sur son nouveau poste. Layla Bennani, sa sœur de cœur, a décidé de la suivre et intègre la même brigade. Puis c’est au tour d’Hélène Gorce, le troisième membre de notre triade, d’intégrer le commissariat lyonnais. Le métier n’est pas facile, surtout pour des jeunes femmes issues de milieux populaires et cosmopolites. Ester craque et décide de tout laisser tomber pour s’installer en Suisse. Elle a, dit-elle, trouvé un boulot de préposée au café dans une entreprise appelée Thanatea. Son départ est surtout motivé par la nécessité de fuir un quotidien rendu douloureux par le décès de sa petite fille atteinte d’une maladie orpheline. Ses deux amies ne se sont pas plus gâtées dans leurs vies personnelles. L’ex conjoint de Layla est un homme violent qui lui dispute la garde exclusive de leur fille. Hélène, quant à elle, apprend simultanément que son mari la trompe et qu’elle fait une récidive du cancer du sein. Pourtant, lorsqu’elles apprennent la disparition d’Ester, ses deux amies d’enfance n’hésitent pas à s’investir à fond dans les recherches, quitte à se mettre elles-mêmes en danger. 

Il était temps, je crois, que je m’intéresse à une autrice de polars aussi populaire que Sonja Delzongle. Thanatea est son 13ème roman. Jusqu’ici, je n’ai lu que des chroniques enthousiastes à son sujet. Il faut dire que la construction de l’intrigue est parfaitement maîtrisée. Le lecteur se laisse volontiers promener, à conditions d’accepter le lâcher prise. Il y a un déséquilibre apparent entre la première et la seconde moitié de ce roman. Les 200 premières pages sont consacrées à la mise en place de l’intrigue. Elle peut sembler un peu longue de prime abord mais la suite prouve qu’il était nécessaire de s’attarder sur le contexte du drame et la psychologie des personnages. A partir du chapitre 43, l’action s’accélère à une vitesse ahurissante et les rebondissements tombent en cascades. J’avoue que j’ai préféré celle-ci. 

Sonja Delzongle brosse les portraits de femmes intelligentes et courageuse mais bizarrement peu clairvoyantes concernant le choix de leurs partenaires. On est surpris aussi par la naïveté d’Ester qui se laisse piéger sur une île au milieu du lac Léman. Le lecteur comprend dès le départ que son employeur n’est pas clair et s’interroge sur la naïveté déconcertante de l’enquêtrice aguerrie. D’accord, elle traverse une période difficile et elle est mentalement fragile… mais quand même !  L’ambiance sur-place est très spéciale. A un moment donné, je me suis demandée si le roman allait déraper vers la science-fiction. Finalement, chaque pièce du puzzle trouve sa place dans la redoutable mécanique imaginée par Sonja Delzongle.

📌Thanatea. Sonja Delzongle. Fleuve Noir, 416 pages (2023)


Meurtres à la cathédrale. Martine Pouchain

Meurtres à la cathédrale. Martine Pouchain


 Le point de départ de ce roman pour la jeunesse est une anecdote réelle au sujet d’une statue de la cathédrale Notre-Dame d’Amiens. Elle concerne l’inconnu qui, au 13ème siècle, a servi de modèle pour la réalisation du Beau Dieu. Il s’agit d’une sculpture qui, orne le portail central de la façade occidentale. Selon Wikipédia, son appellation se justifie par « par l'attitude du Christ en majesté, la noblesse et la gravité du visage, la sérénité du regard ainsi que par l'élégance des plis de la draperie ». La légende raconte que l’homme aurait disparu à la fin du travail, aussi mystérieusement qu’il était d’abord apparu et sans même réclamer de rémunération. A partir de là, Martine Pouchain, qui est d’origine amiénoise, a imaginé une histoire pleine de suspense et de rebondissements. Elle nous renvoie donc en 1244 alors que la cathédrale est encore en construction, sous la direction de Thomas de Cormont, le maître d’œuvre qui succéda à l’architecte Robert de Luzarches. 

Le héros de cette histoire est Amaury Lasnier, un jeune sculpteur talentueux qui, poussé par la curiosité, se trouve mêlé à une sale affaire. En effet, plusieurs crimes ont été commis alors qu’une troupe de forains arrivait en ville. Les deux premières victimes sont d’ailleurs des saltimbanques. Amaury lui-même a été témoin d’un incident impliquant un ladre sur le chantier même de la cathédrale. Les indices l’ont conduit jusqu’à la boutique d’un apothicaire dont l’attitude est pour le moins suspecte. Le jeune homme décide de faire part de ses découvertes à l’échevin Grégoire de Croy. Celui-ci est prêt à lui faire confiance mais ce n’est pas le cas du chanoine Clari qui mène les investigations avec lui. 


Meurtres à la cathédrale. Martine Pouchain. P10-11


Parallèlement à l’enquête se joue un drame amoureux dont l’un des protagonistes est le trouvère Eustache, grand ami d’Amaury. Le jeune homme est follement épris d’Adèle Picquet, qu’il connait depuis l’enfance. Malheureusement pour lui, la belle s’apprête, avec la bénédiction de ses parents, à accorder sa main à Hugues de Cressy, un riche notable récemment installé à Amiens. L’homme n’est guère apprécié des habitants, à l’exception de ceux qui ont bénéficié de ses largesses. 

Le roman de Martine Pouchain s’adresse aux enfants à partir de 11 ans. C’est une excellente façon d’aborder l’histoire médiévale avec les jeunes lecteurs. On y découvre l’organisation sociale et religieuse de la société au milieu du 13ème siècle, différents métiers emblématiques de l’époque et la vie quotidienne des Amiénois, rythmée par les heures canoniales (matines, laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres, complies). L’autrice évoque aussi la culture de la waide, ou guède, à l’origine du fameux bleu d’Amiens, et celle de la vigne qui a été attestée dans la région dès le haut Moyen-Age.  En dépit des crimes de sang, il n’y a pas de scènes de violences intempestives et l’histoire ne risque pas de traumatiser les âmes sensibles. 

Meurtres à la cathédrale est le premier roman de Martine Pouchain et inaugure un triptyque dont Amaury est le héros. Les deux autres volets de cette série (La fête des fous et Le Monstre des marais) sont aujourd’hui épuisés chez l’éditeur. La romancière a publier depuis de nombreux ouvrages pour la jeunesse, parmi lesquels Chevalier B. (Prix des lycéens allemands en 2009) ou La Ballade de Sean Hopper (Prix Sésame, Prix Les Dévoreurs de livres et Prix Gragnotte en 2012). Ses derniers ouvrages parus sont Sous-sol (Sarbacane, 2022) et Il était un petit navire (Thierry Magnier, 2022).

📌Meurtres à la cathédrale. Martine Pouchain (texte) et Gilbert Maurel (illustrations). Folio Junior, 224 pages (2008)


Jusqu'ici tout allait bien. Ersin Karabulut

Jusqu'ici tout allait bien. Ersin Karabulut


📝Cet album est paru avant le fameux Journal inquiet d’Istanbul. Cette fois, il ne s’agit pas d’une autobiographie mais d’un recueil de contes fantastiques en bande dessinée. L’anthologie tourne autour de quelques thèmes forts comme l’uniformisation des individus, la marchandisation du monde ou la radicalisation politique et religieuse. 

Dans le premier texte, intitulé L’âge de pierre, nous découvrons une société prisonnière des croyances dominantes. Chaque être humain doit porter une pierre rouge, qui grandit avec lui, depuis le berceau jusqu’au cercueil. En aucun cas, il ne doit lâcher ou poser son boulet sous peine d’attirer une myriade de malheurs sur sa personne et ses proches. Il y a néanmoins quelques réfractaires remettent en cause les règles établies. Une petite fille refuse, comme son père avant elle, de se laisser enfermée dans les superstitions liées à la fameuse pierre. 


Jusqu'ici tout allait bien. Ersin Karabulut. P11


La seconde histoire, La chambre secrète, est une sorte d’Allégorie sur la mémoire ou l’inconscient. Le troisième conte, Deux en un, est encore plus dérangeant puisqu’il met en scène un couple dont l’enfant se développe dans le ventre de sa mère sans jamais en sortir et finit même par prendre le pouvoir sur l’esprit et le corps de sa mère éternellement enceinte de lui. 

Dans la série « les monstres que nous engendrons », il y a deux autres histoires. L’une, intitulée Le fils de son père, concerne un enfant qui ressemble tellement à son géniteur qu’il finit par se substituer à lui. L’autre (Histoire pour enfants) raconte l’évolution de trois amis, depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte avec un passage franchement ingrat voire même très agressif. Leur mauvais esprit transparait sur leur aspect physique monstrueux au point qu’ils sont incapables d’évoluer en 3D. Bref, ils ont des œillères mais elles ne sont pas définitives. L’un d’entre eux fait une rencontre fondamentale qui va changer radicalement sa vision du monde. D’abord confronté à la résistance de ses anciens amis, il finira par avoir une bonne influence sur eux. 


Jusqu'ici tout allait bien. Ersin Karabulut. P30-31


Parmi ces récits d’anticipation, il y a deux contes qui en disent long sur les possibilités d’évolution de nos sociétés. Le premier, .Dot, interroge sur les nouvelles technologies, la consommation de masse et la standardisation. Dans Sans gravité, nous découvrons par ailleurs un monde où tout est monnayable, y compris l’air que nous respirons. 

Neuf contes se succèdent ainsi pour nous interroger sur des thèmes finalement existentiels. On retrouve, dans les illustrations, le style si caractéristique d’Ersin Karabulut. Les faciès des personnages et même les couleurs choisies dans les dessins me rappellent ceux que j’ai découvert dans le Journal inquiet d’Istanbul. Il faut quand même noter le tour de force du conte intitulé Le monde d’Ali où un virus frappe les individus trop réactionnaires et modifie les traits de leurs visages au point de les rendre tous semblables. Le héros se trouve bientôt face à une armée de sosies dont les têtes trahissent littéralement les opinions. Un jour, se regardant dans un miroir, il constate qu’il n’est lui-même pas aussi tolérant qu’il le pensait.


Jusqu'ici tout allait bien. Ersin Karabulut. P42-43


J’en ai beaucoup dit sur cette bande dessinée originale mais il ne me semble pas avoir trahie son auteur pour autant. Il faut vraiment la lire, et voir les dessins, pour en saisir toute la richesse. Chacun peut, selon son expérience ou sa sensibilité, en tirer ses propres interprétations ou ses leçons de vie.  

📌Jusqu'ici tout allait bien. Ersin Karabulut. Fluide Glacial, 72 pages (2020)


Plus heureuse que moi, tu meurs. Joo Youngha

Plus heureuse que moi, tu meurs. Joo Younngha


 Jang Mi-ho est responsable des réseaux sociaux au sein de l’équipe de marketing de la compagnie L’s Electronics. Dans le cadre d’un concours organisé par son entreprise, elle tombe sur une photo de famille dont l’un des membres ressemble à s’y méprendre à Oh Yoo-jin, une ancienne amie de lycée. Le cliché a été sélectionné pour le 3ème prix mais son équipe ne parvient pas à joindre les lauréats. Et pour cause !  Quelques jours plus tôt, Yoo-jin et son époux se sont battus à coup de couteaux dans leur luxueux appartement de la très chic résidence High Prestige. La jeune femme est décédée tandis que son époux a été grièvement blessé. Mi-ho décide de se rendre aux funérailles de la victime et d’interroger ses proches. On comprend assez vite qu’elle éprouve un sentiment de culpabilité envers son ex-camarade de classe et que sa quête est une forme de rédemption. Notre enquêtrice amatrice découvre à cette occasion que Mi-ho fréquentait un cercle restreint de mères de famille appartenant à la même classe privilégiée. Celles-ci s’étaient même lancé un défi absurde par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Puisqu’il était trop simple d’étaler leurs richesses, il faudrait montrer à quel point elles étaient comblées de bonheur. Un jeu qui ne pouvait distraire que des garces oisives et superficielles, certes, mais qui devait surtout s’avérer dangereux. Comment prouver qu’on est la plus heureuse si ce n’est en détruisant la vie de ses concurrentes ? 

📝Depuis quelques années le polar coréen semble jouir d’un beau succès sous nos latitudes. Cet engouement s’est traduit notamment par la naissance d’une maison d’édition spécialement dédiée. Matin Calme a publié, par exemple, les romans de Seo Mi-ae (Bonne nuit maman, Chut, c'est un secret et Les 30 meilleures façons d'assassiner son mari) que l’on peut classer dans un sous-genre appelé Domestic Noir. Dans la lignée du thriller domestique, je connaissais déjà Été, quelque part, des cadavres de Park Yeon-seon, un polar à la fois original et bourré d’humour. C’est donc plutôt confiante que j’ai entamé la lecture de Plus heureuse que moi, tu meurs de Joo Younngha, même si apriori je n’ai pas d’affinités particulières avec les bourgeoises superficielles qui se balancent des vacheries sur les réseaux sociaux. Je reconnais que j’ai eu un peu de mal à entrer dans le livre mais j’ai fini par me laisser prendre au jeu. J’ai été déstabilisée par des brides de dialogues qui me sont d’abord apparu comme des maladresses de style ou de traduction, alors qu’il s’agit souvent d’informations ou de lapsus qui échappent aux protagonistes. Joo Younngha se joue des apparences encore bien plus qu’on l’imagine. Alors que je pensais avoir dénoué toutes les ficelles de l’intrigue, l’autrice est parvenue à me surprendre à la fin du roman.  

💪J’ai hâte de découvrir les avis des autres lectrices qui ont bien voulu partager cette lecture avec moi,  Maggie, Audrey et Rachel, dans le cadre du Challenge de Littérature coréenne organisée par Céline. 

📌Plus heureuse que moi, tu meurs. Joo Younngha. Matin Calme, 222 pages (2022)


La Fille renard. Maria Grund

La Fille renard. Maria Grund


 L’intrigue se déroule sur un territoire insulaire au large de la Suède, qu’on imagine plutôt austère à cause de l’ambiance plombée voulue par l’autrice. Le lieu exact n’est jamais mentionné mais on suppose qu’il s’agit de l’île de Gotland, la terre d’adoption de Maria Grund. 

Mia Askar, une adolescente de 14 ans, est retrouvée morte dans l’eau d’une doline du côté de l’ancienne carrière de calcaire. Les policiers concluent rapidement à un suicide, malgré les doutes de l’inspectrice Sanna Berling. Ils n’ont de toute façon pas le temps de se poser plus de questions puisqu’ils sont appelés dans les quartiers chics, de l’autre côté de l’île. Cette fois, il s’agit clairement d’une scène de crime. Marie-Louise Roos, une ancienne antiquaire spécialisée dans les livres rares et précieux, a été sauvagement assassinée à coups de couteaux. Son mari, Frank Roos, géologue à la retraite, a disparu. L’affaire se complique lorsque les flics découvrent que le suicide de Mia et le meurtre de la bouquiniste sont peut-être liés. Par ailleurs, l’enquête est perturbée par le prochain départ de Bernard Hellkvist, le coéquipier de Sanna, et son remplacement par Eir Pedersen, une enquêtrice venue du continent. Les nouvelles partenaires vont devoir trouver rapidement leurs marques et cela ne se fera pas sans heurts. 

La Fille renard est le premier roman de Maria Grund. Il inaugure une série policière qui compte à ce jour trois volets. Les deux derniers sont parus en Suède en 2022 et 2023 mais n’ont pas encore traduits en Français. Dans ce premier volume, le personnage de Sanna Berling est bien développé et on n’ignore pas grand-chose de son passé familial douloureux. Son mari et de son jeune fils sont morts dans un incendie criminel, la laissant totalement dévastée par le chagrin et la colère. Le personnage d’Eir Pedersen, en revanche, est plus énigmatique. On sait que c’est une jeune femme torturée qui a été évincée de son ancienne équipe. De plus, elle doit prendre soin de sa sœur, une ex-toxicomane convalescente. Il reste néanmoins de nombreuses zones d’ombres la concernant.

Maria Grund accorde beaucoup d’importance à ses deux héroïnes au détriment, selon moi, des victimes (que j’ai eu du mal à considérer comme de vraies personnes) et de l’enquête elle-même (dont une bonne partie est résolue grâce à l’intervention d’une tierce personne venue du continent). Les histoires de radicalisme religieux, combinées à celles de déviances physiques et morales, conduisent à une surenchère qui m’a semblée un peu trop accrocheuse. En dépit de ses bémols, j’ai eu envie de connaître le dénouement de l’intrigue et la romancière suédoise est parvenue à retenir mon attention jusqu’à la fin du livre. J’ai lu quelque part que ce premier roman était perfectible et, en effet, c’est le mot qui me vient à l’esprit pour en parler. J’attends donc la parution des prochains volets en Français pour me prononcer plus franchement sur cette série. 

📌La Fille renard. Maria Grund. Robert Laffont, 448 pages (2023)


La Plume est plus forte que l’Epée. B-Gnet

La Plume est plus forte que l’Epée. B-Gnet


  « Robin des Bois, Long John Silver, Richard III, Cyrano de Bergerac, le Cid, Macbeth... ils ont tous péri par l'épée, mais ont survécu par la plume des écrivains. Et comme c'est libre de droits, voici l'histoire revisitée de ces mâles blancs cisgenres. »

 

La Plume est plus forte que l’Epée. B-Gnet. P16-17


Le ton est donné dès la quatrième de couverture ! B-Gnet, seul aux commandes de cet album, nous propose un pastiche complètement déjanté qui se joue du wokisme et de la bien-pensance. Si vous êtes allergique à l’absurde et aux blagues potaches, fuyez immédiatement. Sinon, délectez-vous de l’humour 1er degré de ce One-shot parodique. 


La Plume est plus forte que l’Epée. B-Gnet. P22-23

L’album est divisé en plusieurs histoires qui se présentent comme des contes ou des fables comiques, des saynètes dont les personnages récurrents s’inspirent du théâtre et de la littérature. Les héros dramatiques de Shakespeare côtoient des personnages de dessins animés tandis que Cyrano de Bergerac se métamorphose en Tyrano-de -Bergerac, un boute-en-train en peu lourd (au propre comme au figuré).   Ainsi donc, tandis que MacBeth et Scooby-doo tentent d’échapper à un fantôme, le shérif de Nottingham (rebaptisé inspecteur Nottingham pour la circonstance) essaie de capturer Robin des Bois, à moins qu’il ne s’agisse de Robin des Marais ou de Robin des Tours. Malheureusement, les sujets de Richard Cœur de Lion semblent plus enclins à critiquer l’esthétisme des portraits robots qu’à pister des hors-la-loi. Qu’importe ! En dépit et/ou à cause de la mauvaise foi de la populace concernant la véritable apparence du fugitif, un certain nombre de malheureux seront pendus haut et court. Plus loin, ce sont les menus concoctés par le chef Long John Silver Spoon qui font les frais des préjugés de la piraterie. Une délicieuse mutinerie aux morilles et quelques autres plats succulents sont ainsi sabotés un équipage pour le moins méfiant. 


La Plume est plus forte que l’Epée. B-Gnet. P34


Il est clair que B-Gnet s’amuse comme un petit fou dans cet album et il faut reconnaître que son plaisir est communicatif. On passe un bon moment en sa compagnie, ce qui n’est déjà pas si mal. Dans la même veine, le scénariste et illustrateur lyonnais a commis un album intitulé Lutin Spirix et publié par les éditions Vroum. Il y convoque d’autres personnages, moins littéraires, mais aussi célèbres comme Tintin, Lucky Luke, Spirou et Astérix. On ne sera pas trop surpris d’apprendre qu’il publie aussi des BD à destination de la jeunesse comme la série Glouton chez BD-Kids (groupe Bayard) dont le sixième tome paraîtra en juin 2023. 

📌La Plume est plus forte que l’Epée. B-Gnet. Fluide Glacial, 56 pages (2022)


Crépuscule. Philippe Claudel

 Crépuscule. Philippe Claudel


Nous sommes sans doute au tournant du 20ème siècle, dans une bourgade aux confins de l’Empire (supposément austro-hongrois), oubliée des hommes et peut-être même de dieu. Les habitants sont rustres, souvent bas de plafond. Ceux qui ne sont pas déjà idiots, s’abrutissent d’alcool dans l’auberge du coin. Les notables sont des êtres vils et vénaux, toujours plus intéressés par le maintien de leurs positions privilégiées, que par l’intérêt de la population dont ils ont la charge. C’est l’hiver. Il fait un froid de gueux, la neige tombe en continu et la nuit s’invite de bonne heure. D’ailleurs même le fond de l’air sent la fin de vie, le déclin, la chute.  Dans cette région ballotée par l’histoire, Chrétiens et Musulmans cohabitent dans une apparente entente cordiale.  Mais un évènement va perturber le fragile équilibre de ce microcosme.  Il s’agit du meurtre du curé, dont le corps a été découvert par deux enfants, Lémia et Douri Pakmur. « Le mort s’appelait Pernieg. Jan Igor Seïd Pernieg. Il était né soixante-six années plus tôt. Entre la maison de sa naissance et le lieu de sa mort, il y avait à peine quarante pas. (…) Lui-même alors devait enfin savoir s’il avait eu raison de consacrer son existence à Dieu, ou s’il avait gâché ses jours pour des fariboles.» 

Le capitaine Nourio, qui assure la fonction de police avec son seul adjoint, arrive très vite sur les lieux du crime.  « Le Policier s’appelait Nourio. Il était de taille médiocre, de visage olivâtre, et tout en os. Il portait un uniforme d’on ne savait quelle armée, que les ans et l’usure avaient fini par faire ressembler à un accoutrement de chasse. (….) Il était un peu plus jeune que son Adjoint, par bien des points plus intelligent aussi, mais dans l’univers des hommes, il n’est pas certain que cela soit une qualité. » La dernière phrase résonne un peu comme une prophétie et semble faire écho au portrait, guère plus indulgent, de l’adjoint Baraj. « Baraj était un homme au milieu de l’existence, qu’il suivait comme un chemin incommode. (…) Par sa timidité pataude et sa masse, l’Adjoint évoquait un bœuf ou un cheval de trait. Ne lui manquait que le piquet auquel l’attacher pour le temps de sa vie, et le merlin pour la finir. » Philippe Claudel nous présente ainsi une galerie de personnages (presque tous des notables comme l’Imam, le Maire, le Médecin ou le rapporteur de l’administration) qui, pour la plupart, sont déjà des actes d’accusation.

Non seulement Philippe Claudel esquisse des portraits remarquablement parlant en quelques lignes concises mais surtout il réalise l’autopsie précoce d’une société à l’agonie. L’auteur nous régale ainsi d’une vision très cynique des hommes et du monde. Son roman n’a pas besoin d’être lu pour l’intrigue policière ou la toile de fond historique. D’ailleurs, ni lieux précis ni dates exactes ne sont jamais cités et l’enquête progresse presque en coulisse du récit. Le fameux Empire déclinant n’est jamais nommé mais quelques indices (les toponymes, l’utilisation du Samovar ou encore la mention du Margrave) nous conduisent en direction de l’Est et de la Mitteleuropa. Le village appartient-il à une terre du côté des Balkans ? Ce n’est pas ce qui importe le plus ici. Ce qui compte dans ce texte, c’est la puissance de l’écriture au service de thèmes universels comme l’ordre social, la religion, la morale, etc.  Et puis, au cœur de l’intrigue, il y a le questionnement à propos de la fabrique de la vérité au profit de la majorité et/ou de la classe dirigeante. Crépuscule est un roman d’une redoutable efficacité narrative et d’une troublante résonnance intemporelle !

📚D'autres avis que le mien : Sandrine, Athalie, La petite liste

📌Crépuscule. Philippe Claudel. Stock, 505 pages (2023)


Mamma Roma. Luca Di Fulvio

Mamma Roma. Luca Di Fulvio


Cette palpitante fresque historique fait rimer Aventure et Risorgimento. Bien qu’il s’agisse d’un pavé, l’intrigue ne se déroule que sur quelques mois, entre mars et septembre 1870. Elle se concentre sur la dernière étape du processus d'unification de l’Italie qui se conclut par la fin de l'existence des États pontificaux et l’annexion de Rome au royaume de Victor-Emmanuel II. Une poignée de héros orphelins nous font vivre cet évènement depuis l’intérieur de la Cité éternelle. Parmi eux, il y a la flamboyante Nella Beltrami, dite la comtesse, et Pietro, son fils adoptif. Celle qui se faisait auparavant appeler comtesse Silvia di Boccamara s’est réfugiée à Rome, sa ville natale, après la ruine puis le suicide de son époux. Ippolito Odin avait sacrifié sa fortune pour soutenir sa patrie. La mère et le fils sont poursuivis par un émissaire du gouvernement, le nauséabond Leone Pompéï, qu’ils ont roulé dans la farine en subtilisant nuitamment quelques bijoux à leur créancier. Tandis que Pietro tombe dans les chausse-trappes de la ville éternelle, Nella se débat pour lui offrir une vie meilleure. Au même moment, une jeune fille appelée Marta découvre qu’elle n’est pas une enfant de la balle comme elle l’a toujours pensé. Melo, son protecteur au sein du cirque Callari, l’a recueillie sur la route lorsqu’elle était enfant. Enhardie par cette révélation, Marta décide de trouver sa propre voie puis, avec la bénédiction de Melo, de s’engager auprès de jeunes patriotes romains. Ses frères d’armes deviendront sa famille, pense-t-elle. Les principaux protagonistes sont entourés de nombreux autres personnages hauts en couleur : un séduisant militaire français, des princes de sang, des canailles de la pire espèce, des artistes de cirque courageux et bienveillants, des idéalistes de tous âges et de toutes conditions…

Dans la grande tradition du roman populaire, Mamma Roma est une invitation au dépaysement et à la rêverie. Je n’ai pas été surprise d’apprendre que l’auteur a également écrit un roman d’aventures pour la jeunesse (Les Aventuriers de l'Autre Monde, Pocket, 2023). Son style est fluide et plein d’allant. Le passage dédié à la bataille de la Porta Pia est particulièrement réussi et on ne peut s’empêcher de penser qu’il ferait une belle séquence de cinéma.  Dans une note à la fin de l’ouvrage, Luca Di Fulvio admet avoir pris parfois ses aises avec la réalité (notamment au sujet de l’évolution technique de la photographie qui passionne tant Pietro) mais on lui pardonne d’autant plus que c’est pour mieux servir son histoire. Entre nous, je n’avais pas éprouvé un tel plaisir de lecture depuis longtemps. Je suis donc ravie à l’idée qu’il me reste encore l’essentiel de son œuvre à découvrir : Le Gang des rêves, Les enfants de Venise, Les prisonniers de la liberté et Le Soleil des rebelles

NB : Bien que l’ouvrage soit disponible en format de poche, j’ai choisi de présenter la couverture de l’édition Slatkine dont l’illustration correspond mieux au contenu du roman. Celle de Pocket (édition 2023) n’est pas sans rappeler l’affiche du film éponyme de Pier Paolo Pasolini. J’ignore si les éditeurs ont voulu faire un clin d’œil à l’œuvre cinématographique de 1962 en changeant le titre du livre. En version originale, le roman de Luca Di Fulvio est intitulé La Ballata della città eterna (littéralement La ballade de la cité éternelle). 

📌Mamma Roma. Luca Di Fulvio. Pocket, 816 pages (2023)


Les carnets de Cerise, T.02. Chamblain & Neyret

Les carnets de Cerise, T.02. Chamblain & Neyret


Nous retrouvons Cerise dans une nouvelle aventure pleine de suspense et de péripéties… enfin, pas tout de suite ! Au début de ce second volet, notre jeune héroïne profite des dernières vacances d’été avant l’entrée au collège. En réalité, elle s’ennuie terriblement. Au bout de 15 jours, sa mère a repris le boulot et ses deux meilleures amies ont quitté le village. Line est en visite dans sa famille à Londres tandis qu’Erica est partie en colonie de vacances. Les copines s’échangent des cartes postales en attendant de se retrouver mais cela ne suffit pas à notre détective en herbe. 


Les carnets de Cerise tomes 1 et 2


D’ailleurs, elle est déjà sur une nouvelle piste. Elle a remarqué qu’une vieille dame du quartier s’adonne à un étrange manège. Chaque mardi à la même heure, elle quitte son domicile avec un livre sous le bras, se dirige vers l’arrêt de bus en direction du centre-ville et ne rentre jamais avant 18h05 pile ! Cerise fait part de ses observations à ses deux amies dès leur retour de vacances. Or, Erica et Line ne semblent pas partager ses impressions ni décidées à mener une enquête. D’ailleurs, elles n’apprécient guère l’attitude de Cerise qui ne les contacte, pensent-t-elles, que par intérêt. 


Les carnets de Cerise, T.02. Chamblain & Neyret. P10-11


📝Quel plaisir de retrouver les protagonistes du Zoo pétrifié ! Elles sont toutes là : Cerise et sa maman, Erica, Line et même Annabelle Desjardins. Cette nouvelle aventure, exclusivement féminine, nous parle d’amour, d’amitié, de respect d’autrui et de confiance réciproque. C’est encore une belle histoire, pleine de poésie et de bienveillance, que sert admirablement l’inventivité de la dessinatrice. J’adore la liberté qu’elle s’accorde dans les illustrations, mélangeant les planches avec des bulles et des extraits du journal de Cerise. Les dessins sont à la fois pétillants et plein de douceur. Pour moi, c’est une réussite.


Les carnets de Cerise, T.02. Chamblain & Neyret. P12-13

Il nous reste encore 3 épisodes à découvrir (Le Dernier des Cinq Trésors, La Déesse sans visage et Des premières neiges aux perséides) sans compter l’album hors-série (Les Carnets de Cerise et Valentin). 

📌Les carnets de Cerise, Tome 2 : Le livre d’Hector. Joris Chamblain & Aurélie Neyret. Editions Soleil, 80 pages (2013)


Celle qui parle aux morts. A.K. Turner

Celle qui parle aux morts. A.K. Turner

 Après Tess Gerritsen, Patricia Cornwell et Kathy Reichs, les maîtresses du thriller médico-légal, la romancière britannique A.K. Turner renouvelle le genre. Bienvenue dans la morgue du district de Camden à Londres ! C’est ici qu’officie son héroïne, la technicienne Cassandre (Cassie) Raven, 25 ans à peine. Derrière l’apparence physique atypique de la jeune femme, un mélange de Lisbeth Salander dans la trilogie Millénium, et d’Abigail Sciuto, l’experte scientifique dans NCIS, il y a anatomopathologiste compétente et une personnalité ultra-sensible à découvrir. 

Cassie a toujours cru que ses parents étaient décédés dans un accident de voiture. Or Weronika, sa grand-mère qui l’a élevée depuis le drame, lui apprend qu’elle lui a menti pour la protéger. En réalité, Katherine, sa mère, a été sauvagement assassinée par son mari jaloux et alcoolique. Il est sorti de prison après avoir purgé une peine de 17 ans. Lorsque Callum tente de renouer avec sa fille, Cassie est sur la défensive. Il prétend qu’il n’aurait jamais fait de mal à Katherine et que le meurtrier de son épouse court toujours. Notre héroïne décide de faire appel à la lieutenante Phyllida Flyte qui l’a déjà aidée (avec un peu de réticence) par le passé et pour laquelle elle a ressenti un troublant crush amoureux. Au boulot, ce n’est pas la joie non plus. Cassie est focalisée sur une suspicion de suicide. La victime est un adolescent de 15 ans et ses parents sont dévastés. Son nouveau chef, le médecin légiste Philip Curzon, est un quinquagénaire condescendant et perpétuellement énervé. Son collègue Jason, un fayot qui affectionne les blagues douteuses sur les morts, ne lui apporte aucun soutien. Et pour arranger le tout, sa grand-mère est en convalescence après avoir été victime d’un AVC. Cassie a dû abandonner son appartement pour prendre soin d’elle et confier son rancunier de chat, Macavity, a son voisin. 

📝Waouh ! Entre les virées dans les bars du quartier emblématique de Camden, les pensionnaires de la morgue qu’il faut faire parler et le cold case parental, on n’a vraiment pas le temps de s’ennuyer avec Cassandra Raven ! Mais attention, âmes sensibles s’abstenir ! Ce polar underground s’adresse à un public averti. J’ai d’ailleurs été surprise de voir que l’éditeur recommande le recommande aux lecteurs à partir de 15 ans. C’est le cas aussi du Club des mamans mortes qui est paru dans la même collection. Je comprends que les personnages récurrents puissent fasciner les jeunes adultes mais ces deux thrillers me semblent un peu perturbants pour des adolescents. Cette remarque étant faite, j’ai apprécié le réalisme de l’intrigue dans Celle qui parle aux morts, et notamment toute la partie sur l’éthique médico-légale et judiciaire, la description précise des procédures et, contre toute attente, les digressions scientifiques sur la pratique des autopsies. Le personnage de Cassie suscite suffisamment d’empathie en dépit de ses préjugés vis-à-vis des "vieux" (les quadragénaires - et au-delà - sont souvent des gens aigris ou pathétiques). 

Celle qui parle aux morts est le second volet d’un triptyque, après Body Language (Alibi, 2022), mais chaque tome correspond à une nouvelle enquête. Le troisième volume, Case Sensitive en V.O, n’a pas encore été traduit en français. A.K. Turner a publié une autre trilogie sous le pseudonyme d’Anya Lipska (qui est peut-être son vrai nom). Il s’agit de la série Kiszka & Kershaw, publiée au Royaume-Uni entre 2011 et 2015. 

📌Celle qui parle aux morts. A.K. Turner. Alibi, 330 pages (2023)



Les Enquêtes de Philippine Lomar, T.01. Zay, Blondin& Dawid

Les Enquêtes de Philippine Lomar, T.01. Zay, Blondin& Dawid


Voici une recommandation de notre libraire : une bande dessinée policière qui s’adresse aux jeunes lecteurs à partir de 9 ans. Cerise sur le gâteau, elle est publiée par la maison d’édition locale. Il s’agit du premier tome d’une série qui en compte 6 à ce jour et dont l’héroïne, Philippine Lomar est une adolescente plutôt dégourdie. Sur le site de l’éditeur, on apprend également qu’elle a treize ans et demi et qu’elle rêve de devenir (non, pardon, elle est déjà) détective privée. Elle a aussi un signe particulier : elle n’a pas la langue dans sa poche ! 

L’histoire commence par une scène d’action digne des plus grands films d’action. Un malfrat braque une jeune fille avec un pistolet et écrase le visage de la malheureuse contre la paroi d’un aquarium dans un restaurant asiatique. Comment notre héroïne va-t-elle se sortir de cette situation délicate ? Pour le savoir, il faut d’abord remonter le fil des évènements depuis le début, c’est-à-dire au mois d’Avril, alors que l’hiver joue les prolongations. 


Philippine Lomar, tomes 1,2,3 et 4

Ce jour-là, Philippine manque de se casser une jambe sur le pavé rendu glissant par la neige (une mésaventure courante à cause du revêtement inadapté) avant d’être abordée par une collégienne appelée Swong. Celle-ci prétend être la victime de deux crapules qui la rackettent à la sortie des cours. Elle ne veut pas en parler à ses parents et n’a pas de preuves suffisantes pour s’adresser à la police. Philippine accepte finalement de lui donner un coup de main en échange de deux places pour le match de hockey des Gothiques (l’équipe locale). L’adolescente a déjà un plan mais elle aura besoin de l’aide de Gégé, son oncle d’adoption, et de Mok, un voleur « honnête, brute et poète, effrayant et rassurant, il est capable de tout et de son contraire. » 

Cette bande dessinée ne m’était pas destinée au départ mais j’aime bien partager des lectures en famille. Pour moi, c’est un coup de foudre. L’héroïne a un bagout extraordinaire et ses proches sont plutôt sympathiques. Sa maman est formidable, à la fois attentive sans être intrusive, douce et clairvoyante. Gégé, le tonton de cœur, est aussi à l’aise en débardeur (façon Marcel) dans une casse automobile qu’avec un nœud papillon dans une boutique d’antiquités. Mok, enfin, la canaille au grand cœur (du moins c’est ce qu’on suppose) complète la galerie de personnages. 


Les Enquêtes de Philippine Lomar, T.01. Zay, Blondin& Dawid P9


Les dessins sont adaptés au lectorat avec une belle rondeur dans le trait et des couleurs chatoyantes. Il arrive que les faciès rappellent ceux des mangas lorsque les yeux sortent de la tête, par exemple, où que la mâchoire tombe de surprise au point de se décrocher. Et puis, petit un d’œil à Gaston Lagaffe : l’infirmière du collège est le sosie de Mademoiselle Jeanne. 

Les illustrations représentant le paysage urbain sont très réalistes. On reconnait parfaitement les monuments et les différents quartiers de la ville. 


Les Enquêtes de Philippine Lomar, T.01. Zay, Blondin& Dawid P20-21


📌Les Enquêtes de Philippine Lomar, Tome 1: Scélérats qui rackettent. Dominique Zay (scénario), Greg Blondin (dessins) & Dawid (couleurs). Editions de la Gouttière, 48 Pages (2016, rééd. 2022)


Les Démons de Berlin. Fabiano Massimi

Les Démons de Berlin. Fabiano Massimi


Sigfried Sauer, ancien commissaire de la police de Munich s’est réfugié à Vienne où occupe le poste de gardien d’immeuble. Comment en est-il arrivé là ? Sa précédente enquête, L’Ange de Munich (Albin Michel, 2021) a dégénéré. Pour autant, il semblerait que sa carrière en tant qu’investigateur ne soit pas encore terminée. Surgissant de son passé munichois, l’inspecteur Julian, débarque chez lui et lui annonce que Rosa, son ex-compagne, a disparu. La jeune femme, engagée dans la résistance contre les nazis, tentait d’empêcher un complot à Berlin. Sans réfléchir davantage, Sauer suit son ex-collègue jusque dans la capitale allemande.  Après les assassinats sauvages de deux jeunes femmes ressemblant fortement à Rosa, il comprend que son ancienne petite amie s’est vraiment mise dans un sale pétrin. Les Innocentes, ainsi que les surnomment les enquêteurs, ont été battues à mort et défigurées à l’acide. Toute les deux s’étaient rendues à une réception à l’ambassade de Russie quelques jours plus tôt. Nous sommes le 23 février 1933, soit 4 jours avant l’incendie du Reichstag qui va changer le cours de l’histoire…

Fabiano Massimi nous entraîne dans un polar haletant sur fond de montée du nazisme. Nous vivons avec les lui les derniers jours de la République de Weimar, croisant des figures tristement connues comme Hemann Göring, Rheinhard Heydrich ou Rudolf Diels. On remarque tout de suite que le romancier italien a réalisé un important travail de recherche dans les archives historiques. Son thriller, mêlant histoire et fiction, est parfaitement convaincant. Les protagonistes sont conscients que leur monde s’effondre. Les uns tentent de sauver la démocratie en lambeaux tandis que les autres cherchent les meilleures alliances. Sauer doit se méfier de tous, y compris de ses anciens frères d’armes, Sandor Baraly et Bernhard Gross (Bernie). Pour moi, c’est le point faible du roman (s'il en faut). Les personnages retournent si souvent leurs vestes que j’ai fini par m’embrouiller un peu. En revanche, Fabiano Massimi restitue à merveille l’atmosphère et la vie quotidienne à Berlin au début des années 30.  Le romancier fait quelques références à l’épisode précédent, L’Ange de Munich mais, comme pour la plupart des séries policières, ce second volet peut parfaitement être lu indépendamment. 

Fabiano Massimi a parfois été comparé à Philip Kerr (et sa Trilogie berlinoise), On pense aussi un peu au dernier polar de son compatriote Carlo Lucarelli, Péché mortel, dont l’action se déroule dans l’Italie fasciste en guerre. 

📌Les Démons de Berlin. Fabiano Massimi. Albin Michel, 480 pages (2023)