Sans passer par la case départ. Camilla Läckberg

 Sans passer par la case départ. Camilla Läckberg


« La maison s’élève sur trois étages. C’est l’une des plus grandes et luxueuses de Skuru. Au rez-de-chaussée, une gigantesque pièce avec vue sur les eaux sombres du détroit. C’est ici qu’ils vont réveillonner. Une partie de la pièce est aménagée en cuisine avec un énorme îlot central et une table pour au moins douze convives, tandis que l’autre partie est dotée de deux volumineux canapés Svenskt Tenn recouverts d’une étoffe au design si caractéristique de Josef Frank. Décorée de meubles estampillés parmi les plus prestigieux, ainsi que d’antiquités à faire verdir de jalousie l’hôtel des ventes Bukowskis, cette immense salle est de toute évidence destinée à impressionner les convives. »

C’est le soir de la Saint-Sylvestre. Un groupe de jeune nantis se réunit dans une villa de Skurusundet, un détroit dans l’archipel de Stockholm accueillant le quartier le plus huppé de la capitale suédoise. Leurs parents font la fête juste en face, dans une demeure tout aussi somptueuse. Ils sont quatre (deux filles et deux garçons) et se connaissent depuis l’enfance. Ils préfèrent rester entre eux, dans leur microcosme de lycéens blasés et nombrilistes. En réalité, cette jeunesse dorée est très abîmée et s’anesthésie dans tous les excès. Liv, la première arrivée sur place, exhume un jeu de Monopoly. Quelqu’un, peut-être son copain Max (l’inévitable bellâtre du clan), suggère de modifier les règles du jeu pour pimenter la soirée. Martina, sa petite-amie instagrameuse, et Anton, son faire-valoir, sont de la partie. On flirte, on s’enivre, on s’envoie des vacheries à la figure, on se console dans les vapeurs d’alcool, on commence à vandaliser les lieux…  et le lecteur a compris depuis longtemps qu’un drame va se produire. Les secrets les plus sordides vont être révélés et les blessures exiger réparation. 

J’ai lu beaucoup de polars de Camilla Läckberg (presque toute la série des Erica Falck) sans jamais être déçue. Il fallait bien une exception. La romancière scandinave veut nous dire qu’il faut aller au-delà des apparences mais le trait est trop forcé pour être crédible. Au lieu de personnages complexes, elle brosse des portraits caricaturaux. Je n’ai pas éprouvé beaucoup d’empathie pour ses jeunes gens arrogants même lorsque les masques sont tombés. Et leurs géniteurs sont encore pires évidemment. Dans la série des clichés, ce livre permet au moins d’en dénoncer un : En suède, il n’y a pas qu’une seule marque de meubles.


Petites Histoires cruelles


Cette novella, d’abord parue indépendamment, a été rééditée avec une autre nouvelle (Femmes sans merci) dans un recueil intitulé Petites Histoires cruelles (Actes Sud, 2023).

📚D'autres avis que le mien via Babelio et Bibliosurf

📌Sans passer par la case départ. Camilla Läckberg, traduit par Susanne Juul. Actes Sud, 112 pages (2021)


Le Médecin de Cape Town. E. J. Levy

Le Médecin de Cape Town. E. J. Levy


L’idée de ce roman est née, il y a plus de 10 ans, dans un avion à destination de l’Afrique du Sud. E. J. Levy découvre un entrefilet consacré à la biographie d’un chirurgien militaire de la couronne britannique ayant séjourné au Cap. Ce médecin a exercé son métier au 19ème siècle, sous le pseudonyme de James Barry, mais son nom de naissance était Margaret Bulkley. Son secret fut révélé en 1865, lors de son autopsie, alors que le testament prévoyait que son corps serait incinéré sans examen préalable.  La romancière américaine est fascinée par cette histoire au point d’être persuadée d’entendre la voix du médecin… pas au sens pathologique du terme, bien sûr, mais elle pense comprendre la psyché de cette personne singulière et décide qu’elle sera le personnage principal de son prochain livre. Il faudra néanmoins plusieurs années de recherche et d’écriture pour ressusciter ce fantôme d’un autre temps. Dans ses mémoires fictives, Margaret Bulkley / James Miranda Barry, devient Margaret Barckley / Jonathan Mirandus Perry. Certains éléments de sa vie restent flous mais peu importe puisque E. J. Levy a fait le choix du romanesque pour nous les restituer. Elle bouscule un peu la chronologie et comble quelques vides. 

Selon l’intrigue, Margaret Barckley est née vers 1795 à Cork en Irlande dans une famille de commerçants endettés. Après la banqueroute familiale, elle part à Londres avec sa mère où elles espèrent obtenir le soutien financier d’un oncle, James Barry, avec lequel elles n’ont plus de rapport depuis longtemps. C’est un artiste renommé mais elles découvrent qu’il a perdu tous crédits auprès de ses pairs.  Il meurt sans avoir intercédé en leur faveur pour modifier l’héritage familial ni arrangé leur situation pécuniaire. Heureusement, un ami de James Barry, le général vénézuélien, Francisco de Miranda, est subjugué par les capacités intellectuelles de Margaret. Il la prend sous sa protection, lui donne accès à sa formidable bibliothèque puis à des mécènes potentiels… mais pas sous son vrai nom car les femmes ne sont pas acceptées à l’Université et n’ont pas le droit d’exercer la médecine. Il faudra attendre encore quelques années et l’acharnement de deux femmes d’exception : Elizabeth Blackwell (1821-1910) et Elizabeth Garrett Anderson (1836-1917). Margaret Barckley emprunte le nom de feu son oncle James Barry et y accole, en deuxième prénom, celui de son bienfaiteur (Miranda). En 1809, grâce à ce pseudonyme, elle est admise à la faculté d’Édimbourg. Elle en sortira, 3 ans plus tard, avec son diplôme de médecine. Après quelques mois de pratique, le docteur James Miranda Barry est envoyé au Cap et devient le médecin personnel du gouverneur, lord Charles Somerset.

Le roman d’E. J. Levy se focalise en grande partie sur les 12 années passées au Cap. Il évoque non seulement la vie personnelle de James Barry mais aussi les débuts de sa carrière professionnelle. L’ex jeune fille découvre le pouvoir dont bénéficient les hommes de se comporter et de s’exprimer plus librement. Le médecin se forge une réputation de dandy et de séducteur auprès des femmes puis choque la bonne société qui suspecte une relation homosexuelle avec le gouverneur. Le médecin surprend par ses méthodes avant-gardistes, réclame des réformes sanitaires, défend les esclaves, s’intéresse au sort des lépreux et réussit même une césarienne sans tuer la mère ni le bébé. 

Le Médecin de Cape Town est d’abord un roman historique. E. J. Levy s’est attachée à recréer non seulement le décor mais aussi l’ambiance des lieux. Elle a relu Jane Austen, Mary Shelley, Charles Dickens, Mary Wollstonecraft et William Godwin pour s’imprégner du mode de pensée et de la façon de s’exprimer au 19ème siècle. Elle a même feuilleté de vieux manuels scientifiques et s’est renseignée sur les pratiques médicales de l’époque. Le résultat me semble plutôt crédible et le fil narratif n’en est pas alourdi pour autant. A travers le portrait romanesque de Margaret Anne Bulkley, la romancière américaine aborde de nombreuses questions comme celles de la condition féminine au 19ème siècle, le patriarcat, le colonialisme, l’esclavage, les rapports entre riches et pauvres, etc.

J’ai eu grand plaisir à lire l’histoire fictive de ce Médecin de Cape Town. En ce qui concerne son modèle, il existe des controverses, notamment au sujet de son sexe et de son éventuelle maternité. Margaret était-elle hermaphrodite ou transgenre ? Ses biographes, Michael du Preez et Jeremy Dronfield, (James Barry, A Woman Ahead of Her Time, Oneworld Publications, 2016) ont tranché. La sage-femme qui a ausculté le docteur Barry après sa mort a affirmé qu’elle possédait des organes génitaux féminins. Le mystère de sa date de naissance, que les biographes placent plutôt vers 1790, s’explique par la nécessité de cacher la féminité de l’élève en médecine par un aspect juvénile liée à sa précocité intellectuelle. Je regrette que la biographie de Michael du Preez et Jeremy Dronfield ne soit pas disponible en Français car il est intéressant de la lire parallèlement au livre d’ E. J. Levy

📚J’ai partagé cette lecture avec A Girl From Earth et ClaudiaLucia après avoir découvert le roman chez Keisha. Anne-yes l'a lu aussi

📌Le Médecin de Cape Town. E. J. Levy, Traduit par Céline Leroy. Editions de l’Olivier, 416 pages (2023)


Qui a tué Lucy Davis ? Christos Markogiannakis

Qui a tué Lucy Davis ? Christos Markogiannakis


Je suis ravie de pouvoir ajouter enfin un écrivain grec à la liste des auteurs chroniqués sur le blog.  Avocat pénaliste, Christos Markogiannakis s’est fait connaître en France grâce à ses essais (Scènes de crime au Louvre et Scènes de crime à Orsay) et ses polars (Au 5e étage de la faculté de droit, Mourir en scène, …).

Qui a tué Lucy Davis ? est un Whodunit assez dépaysant puisqu’il nous conduit sur l’île fictive de Nissos en Grèce. Le village de pêcheurs des années 60, s’est métamorphosé en quelques décennies pour devenir un lieu de villégiature presque aussi prisé que Mykonos. Parmi les touristes les plus aisés, un petit groupe se retrouve chaque année à la période estivale où les mondanités vont bon train. C’est lors d’une des dernières fêtes de la saison, qu’une fillette découvre le corps sans vie de Lucy Davis, une journaliste anglaise bien connue du cercle d’amis. Le capitaine Markou, de la police d’Athènes, est déjà sur-place puisqu’il fait partie des convives. Selon une liste établie par la maîtresse de maison, 10 personnes avaient la possibilité d’assassiner la jeune femme ce soir-là. Reste à découvrir le mobile du meurtre. En l’absence du chef de police locale, bloqué sur le continent à cause d’une tempête sévissant sur l’île, Markou doit mettre ses congés entre parenthèses et prendre la tête de l’enquête. Il sera épaulé par Valandis Maroulas, un stagiaire en poste à Nissos. Le huis clos forcé va permettre d’élucider, non pas un, mais trois assassinats, dont un crime passionnel vieux d’une bonne quarantaine d’années.

A travers une intrigue relativement classique mais finement construite, Christos Markogiannakis rend hommage à l’œuvre Agatha Christie à laquelle il fait plusieurs fois référence. Le lecteur se laisse d’autant plus facilement embarquer dans cette enquête que les chapitres sont courts et rythmés. Il y a néanmoins des petits bémols. Le style, sans fioriture, est un peu trop sobre à mon goût. J’aurais aimé que les personnages aient plus de profondeur. L’auteur s’attarde un peu sur le paysage et l’atmosphère du lieu, ce qui me convient très bien, mais j’ai eu le sentiment d’une image superficielle, manquant là aussi de consistance.  Je suis donc un peu déçue de cette première lecture mais pas vaincue par l’expérience. Le second volet de cette série (Auteur de crimes, Plon, 2023), semble avoir cumulé d’excellentes critiques (cf Bibliosurf), de même que le dernier roman de l’auteur Omero, le fils caché (Plon, 2023).

📌Qui a tué Lucy Davis ? Christos Markogiannakis, traduit par Hélène Zervas. Editions Plon, 368 pages (2023).


Noël à Versailles. Christophe Bataille

Noël à Versailles. Christophe Bataille


 J’ai découvert cet opus de circonstance en cherchant un récit de Noël qui ne soit pas trop mièvre. C’est un vrai petit bijou, une caresse ouatée comme le manteau blanc habillant les rues versaillaises à Noël, un écho d’enfance rendu un peu moins audible par le temps, tel le bruit de nos pas étouffés par la neige. 

Christophe bataille raconte, à la manière d’un conte, les Noël en famille avec sa sœur aînée et ses parents. Tous les ans à Versailles, sauf une fois, dans le Jura.  Et chaque année, il neige (c’était avant le réchauffement climatique) !  

La mémoire de l’auteur est lapidaire. Il évoque quelques scènes, par brides et petites touches qui tourbillonnent dans ses souvenirs puis dans son texte. Et la magie est au rendez-vous. Des images et des odeurs oubliées se rappellent à nous. 

Noël à Versailles ! On imagine les rues vidées de leurs habitants le soir du réveillon, le château illuminé, le parc sous la neige et le lac gelé. On y a croisé une improbable et gracieuse patineuse, un fantôme ? Avant, il y a eu les promenades en famille, dans le centre-ville, quelques gestes d’amour discrètement esquissés entre papa et maman, les escapades avec sa sœur Anne dans des tenues de princesse… 

Il y a un peu de nostalgie dans ces évocations mais aucune tristesse. C’est un album photos en mots, les réminiscences d’un bonheur enfantin. 

« Cette année-là il a neigé, neigé comme jamais sur mon enfance. C’était il y a longtemps. On dit toujours ça, non, qu’autrefois les hivers étaient rudes ? C’est d’avoir lu tant de contes. Vivre à Versailles est magique, même si les gens se font une fasse idée de la ville avec son palais, ses grilles dorées dans la nuit, ses avenues qui sentent la terre et l’eau. Si chacun consignait les jours où il a vu la neige tomber, est-ce qu’elle tomberait de nouveau ? Est-ce que l’enfance gagnerait sur nous ? »

📚D'autres avis que le mien via Babelio 

📌Noël à Versailles. Christophe Bataille. Grasset, 64 pages (2022)


Les mémoires d'un chat. Hiro Arikawa

Les mémoires d'un chat. Hiro Arikawa


« “Je suis un chat. Je n’ai pas encore de nom.” Il paraît que dans ce pays, un chat de génie a prononcé ces mots. Je ne sais pas s’il était génial, mais moi, au moins, j’ai un nom. Sur ce point, le chat de génie, je le mets à l’amende. Quant à savoir si mon nom me va bien, c’est une autre histoire. Parce que celui qu’on m’a donné pose tout de même un problème d’adéquation au niveau du genre. Ça fait environ cinq ans que je le porte, ce nom. »

Notre narrateur, à l’inverse du chat gouailleur de Sōseki, a donc un nom. Un nom aux consonances féminines, ce qui ne lui plait guère. Il s’appelle Nana parce que sa queue prend la forme du chiffre 7. C’est du moins ainsi que son nouveau maître, Satoru Miyawaki, explique son choix. Et puis Nana ressemble tellement à Hachi, le chaton qu’il a adopté lorsqu’il était enfant…

« La seule différence, c’est que le crochet de sa queue était tourné dans l’autre sens. Mais les taches sur la tête étaient pareilles. Ses taches formaient une sorte d’accent circonflexe ouvert, comme le chiffre 8 en japonais, alors on l’avait appelé Hachi, qui veut dire “huit” »

Nana ne sait pas lire mais il est polyglotte. Cette compétence lui permet de nous raconter son histoire et celle du jeune homme qui l’a recueilli dans son foyer. Ces ceux-là se sont rencontrés dans un parking où le chat de gouttière aimait se réfugier, confortablement installé sur le monospace de Satoru. Un peu farouche, au début, le matou s’était finalement laissé amadouer par l’humain.

 « Nos relations s’étaient donc établies sur la base du maintien d’une distance convenable entre les deux parties, quand un changement radical est intervenu, qui devait bouleverser notre vie à tous les deux. Un changement, qui, pour ma part, s’est produit dans la douleur. »

Après un accident de voiture qui lui blesse sévèrement la patte, Nana accepte de s’installer chez Satoru le temps de la sa convalescence. Cette cohabitation temporaire va se prolonger pendant cinq ans, cinq ans de respect mutuel et de tendresse réciproque. Et puis un jour Satoru explique à Nana qu’il ne pourra bientôt plus s’occuper de lui. Soucieux de lui trouver un foyer de substitution, il organise un voyage qui doit les amener jusqu’au maître idéal. Ce road-trip va conduire les deux amis à traverser pratiquement tout le Japon, depuis Tokyo jusqu’à l’île d’Hokkaido, en passant par le mont Fudji. Chaque arrêt est un crève-cœur, pour l’humain comme pour le félin, puisqu’il est peut-être le dernier, le lieu où ils devront se dire adieux. Il s’agit également d’une sorte de voyage à rebours dans la vie de Satoru. Chaque étape lui permet de renouer avec une personne chère à son cœur. Et, à chaque fois, Nana trouve le moyen de faire capoter son adoption, obligeant le tandem à reprendre la route vers un nouveau refuge potentiel. Le lecteur sait que leur quête doit nécessairement aboutir, car il comprend que Satoru n’abandonnerais jamais son compagnon sans une raison valable. Si le mystère n’est officiellement dévoilé que dans la dernière partie du récit (la plus émouvante), tout le monde l’aura deviné depuis le début. 

Les mémoires d'un chat semblent faire l’unanimité en France comme dans les autres pays où il a été publié. Certains adjectifs reviennent souvent dans les critiques comme humoristique, poétique ou touchant. J’ai même trouvé une recension très positive dans The Guardian et une chronique de l’écrivain irlandais John Boyne pour l’Irish Times. Par ailleurs, le roman a été adapté au cinéma (sous le titre de Tabineko ripôto) par le réalisateur japonais Kôichirô Miki en 2018. 


Tabineko ripôto


Je dois avoir l’esprit chafouin car je ne partage pas complètement cet engouement. J’avais pourtant apprécié le second ouvrage d’Hiro Arikawa, Au prochain arrêt (2021) et même prévu de lire Au revoir les chats ! (2023), la suite des Mémoires. Je ne suis plus si sûre d’en avoir envie. J’ai trouvé l’histoire et la construction de l’intrigue intéressantes. En revanche, les dialogues m’ont paru lourds et l’expression des sentiments un peu maladroite. Sachant que l’autrice publie des "Light Novels" pour adolescents, je me suis demandée s’il ne s’agissait pas d’une sorte de déformation professionnelle consistant à s’assurer que le lecteur a bien compris les intentions de l’autrice. Ces circonvolutions m’ont beaucoup agacée. J’ai sauté de nombreuses pages et j’ai même songé à refermer le livre sans l’avoir terminé. Aux amoureux des chats, je préfère recommander Je suis un chat de Natsume Sōseki. 

La relation homme / chat est un sujet souvent traité dans la littérature japonaise comme en témoigne les romans de Junichirô Tanizaki, Kosuke Mukai, Akiyuki Nosaka ou, plus récemment, Sosuke Natsukawa (Le chat qui voulait sauver les livres).

📚D’autres avis que le mien : Aifelle, Luocine, Keisha et Alex-mot-à-mots. Allez voir aussi les billets de FanjaKeisha et Sunalee sur Au revoir les chats, des "gaiden", c'est à dire des histoires parallèles à l'histoire principale ou en complément de celle-ci.

📌Les mémoires d'un chat. Hiro Arikawa, traduit par Jean-Louis de la Couronne. Actes Sud Babel, 336 pages (2021)


Le loup. Jean-Marc Rochette

Le loup. Jean-Marc Rochette


C’est une histoire entre l’homme, la nature et les animaux. C’est une histoire de survie dans un environnement sauvage et magnifique de rudesse. 

Le vieux Gaspard élève des brebis dans le massif des écrins avec l’aide de Max, son fidèle chien. Un jour, excédé par la perte de ses bêtes, il tire sur une louve affamée et la tue. Elle laisse un orphelin, un louveteau blanc que le berger a préféré épargner parce qu’il est trop jeune pour mourir. L’hiver suivant, notre animal a grandi et pris de la vigueur. Il doit se nourrir mais surtout il veut se venger. Gaspard, lui, défend son gagne-pain. Il n’hésitera pas, si nécessaire, à tirer en dépit des recommandations des gardes du parc naturel. Pendant plusieurs saisons, l’homme et l’animal s’observent, se jaugent et attendent l’heure de la confrontation finale.


Le loup. Jean-Marc Rochette. P 14-15


Il y a des saisons que je trouve propices à la redécouverte de la Montagne. Je voulais une bande dessinée dont elle serait le décor principal et je suis tombée sur cet album de Jean-Marc Rochette. Je ne me souvenais plus du titre de son dernier album (en fait il s’agit de La Dernière Reine) mais tant pis car cette histoire de loup m’intriguait. Le personnage de Gaspard s’inspire du grand-père de l’auteur mais l’intrigue est fictive. 

Jean-Marc Rochette garde une certaine distance vis-à-vis des deux rivaux et on sent bien qu’il ne veut prendre parti ni pour l’un ni pour l’autre. Un compromis est-il possible ? Cette question est le cœur de l’ouvrage et permet à son auteur d’aborder des sujets qui lui tiennent à cœur, tels que le pastoralisme, le paysage montagnard, l’environnement, la réintroduction du loup en France, la dualité entre humains et animaux, etc. 


Le loup. Jean-Marc Rochette. P22-23


Le trait est classique et les planches sont magnifiques de réalisme. Le dessinateur alterne les zooms sur les visages et les plans panoramiques du paysage. En réalité, la montagne s’impose comme un personnage à part entière. Le rendu est très cinématographique. Les dialogues sont rares et brefs, témoignant de la rudesse des hommes, du terrain et du climat.

📌Le loup. Jean-Marc Rochette. Casterman, 112 pages (2019)


Ici n’est plus ici. Tommy Orange

Ici n’est plus ici. Tommy Orange


Lorsqu’on évoque les Indiens, plusieurs images d’Epinal s’imposent : les plumes, les tipis, les chevaux, les grandes plaines, etc. Or, on sait bien que le visage et les mœurs des peuples autochtones ont changé depuis l’arrivée des premiers colons en Amérique, la persécution des Amérindiens par les Européens, la spoliation de leurs terres et l’acculturation forcée des nombreuses tribus indigènes. Une partie de la population autochtone a migré dans les villes, par obligation ou par choix, abandonnant ses traditions et se fondant peu à peu dans la culture urbaine cosmopolite des Etats-Unis. Les terres ancestrales sont devenues un mirage. « There is no there, there » ce leitmotiv qui donne son titre au roman est une citation empruntée à Gertrud Stein (Autobiographie d’Alice Toklas). Certains ignorent jusqu’aux noms de leurs tribus d’origine voire ceux de leurs parents (l’administration américaine en imposant une traduction approximative et des patronymes faisant plus ou moins couleur locale). Le désœuvrement de ces "Indiens urbains", à l’alcoolisme et l’addiction aux drogues, ont fait de terribles ravages, engendrant une légion d’orphelins et d’enfants sans racines. Le roman de Tommy Orange s’inscrit dans ce contexte.

Ce roman choral donne la parole à une bonne douzaine de personnages liés par l’organisation du premier Grand pow-wow d’Oakland en Californie. Cet évènement festif cristallise l’attention de chacun d’entre eux pour des raisons très différentes. Le premier à s’exprimer est Tony Loneman dont le physique raconte déjà la triste histoire familiale puisqu’il est atteint du syndrome d'alcoolisation fœtale. Viennent ensuite, dans le désordre de ma mémoire, les membres de la famille Red Feather (dont certains ne se connaissent pas encore et vont être réunis par le hasard des évènements), un jeune homme en surpoids appelé Edwin Black avec son beau-père Bill Davis, un groupe de jeunes branleurs composé d’Octavio Gomez, de Daniel Gonzales et de Calvin Johnson, etc. L’un après l’autre, ces personnages nous racontent leurs histoires personnelles puis leurs rôles respectifs dans le drame qui se prépare. Les circonstances conduisent à évoquer des faits remontant jusque dans les années 1970. Ceux-ci nous sont rapportés par Opale Viola Victoria Bear Shield qui, dans son enfance, a connu l’occupation d'Alcatraz par les activistes du l’American Indian Movement dont sa mère faisait partie avant de mourir précocement. Parmi toutes les voix qui nous sont données d’entendre, s’élève également celle de Blue, une quadragénaire travaillant pour le comité d’organisation du pow-wow. Elle a été adoptée à la naissance par un couple de Blancs de la classe moyenne et n’a découvert ses racines indiennes qu’à l’adolescence, avant de se marié à un Amérindien et de s’immerger dans la culture de celui-ci.  On pourrait encore mentionner Thomas Frank, le joueur de tambour alcoolique qui vient de perdre son boulot ou Harvey, membre du jury pour les danses tribales. A travers cette galerie de portrait, Tommy Orange évoque les nombreux maux qui gangrènent les communautés amérindiennes, telles que le chômage, la pauvreté, les addictions, la délinquance, la violence, la prison, l’obésité, la maladie, le suicide… après avoir été persécutés et rabaissés pendant des décennies, les peuples autochtones terminent eux-mêmes le boulot. Ce fait, mis en lumière à l’échelle individuelle, marque au moins autant le lecteur, que la série de massacres sans visages évoquée au début du livre. 

Pour plusieurs raisons, il m’a fallu un peu de temps pour entrer dans ce roman. Je ne comprenais pas, au départ, s’il s’agissait d’un roman ou d’un essai, ni qui était le narrateur et où tout il allait nous emmener. En effet, l’auteur prend son temps, posant un à un les jalons qui vont former les fondations et l’ossature de son intrigue. Cela vaut le coup d’être patient car, une fois l’histoire mise bien en place sur les rails du fil narratif, le roman s’avère captivant. Tommy Orange signe une première œuvre d’une grande puissance évocatrice et qui invite le lecteur à une réflexion de fond sur l’histoire générale des Amérindiens ainsi que le statut particulier des "Indiens urbains".

💪Je dois cette intéressante découverte à Ingannmic et Livr'escapades qui ont proposé une lecture commune de cet ouvrage dans le cadre de l’activité Lire (sur) les minorités ethniques.  

📌Ici n’est plus ici. Tommy Orange. Albin Michel, 352 pages (2019) / Le Livre de Poche, 352 pages (2021)



Straight Man. Richard Russo

 Straight Man. Richard Russo

📚Après une lecture commune d’Empire Falls (Le Déclin de l'empire Whiting), Keisha m’a proposé de lire d’autres ouvrages de Richard Russo. Ce roman, intitulé Straight Man (Un rôle qui me convient) est paru avant le Prix Pulitzer de la Fiction qui a fait la notoriété de l’écrivain américain. En mars 2023, il a été librement adapté en série télévisée, avec Bob Odenkirk dans le rôle principal, et diffusé sur la chaîne américaine AMC sous le titre de Lucky Hank

Je n’avais pas prévu de lire Un rôle qui me convient en Anglais mais la version française est actuellement épuisée chez l’éditeur et aucun exemplaire n’était disponible à la bibliothèque municipale. Straight Man, le titre en V.O. fait référence à un personnage de comédie récurrent, un acolyte, souvent pince-sans-rire, qui sert de faire-valoir au héros. Le narrateur, William Henry Devereaux, Jr. Alias Lucky Hank, se voit comme cet homme-là. Il faut dire qu’il est l’un des principaux protagonistes d’une série d’évènements rocambolesques qui surviennent tous la même semaine.

Lucky Hank

Hank dirige le département d’Anglais d’une université de seconde zone à Railton en Pennsylvanie. Il est le fils unique d’un couple d’universitaires (divorcés). Son épouse Lily (également enseignante) est partie passer un entretien d’embauche à Philadelphie tandis que son père, William Henry Devereaux sénior, dont la notoriété académique dépasse largement celle de Junior, est de retour en Pennsylvanie. L’une des filles de Hank lui apprend qu’elle va divorcer et qu’elle va devoir revendre la dispendieuse maison qu’elle n’a pas fini de construire. Parallèlement à ses soucis familiaux, Hank est confronté à un imbroglio professionnel qui se traduit, d’un point de vue collectif, par un nez démoli, quelques accidents urinaires, des menaces de mort contre des oies et plusieurs nuitées en prison.

Je connaissais déjà l’habilité de Richard Russo à portraiturer la société américaine. J’avais également goûté à son humour mordant mais ce Straight Man m’a quand même surprise. Nous sommes dans un registre plus burlesque que Le Déclin de l'empire Whiting. Si le romancier américain fait mouche lorsqu’il s’agit de parodier le microcosme universitaire, c’est d’abord parce qu’il le connaît bien et surtout parce qu’il a un grand talent pour l’ironie vaudevillesque. J’ai lu quelque part une chronique qui comparait ce roman à ceux de David Lodge (Un tout petit monde) et de John Irving (L'épopée du buveur d'eau). Ces parallèles me sont aussi venus à l’esprit.

En préparant ce billet, j’ai appris que Richard Russo avait publié un nouvel ouvrage en juillet dernier. Il s’agit de Somebody's Fool, le troisième volet de la série "North Bath". Les deux premiers volumes, Nobody’s Fool (Un homme presque parfait) et Everybody’s Fool (À malin, malin et demi), sont parus en français respectivement en 1995 et 2017.

📌Straight Man. Richard Russo. Vintage, 416 pages (1998)




Un silence brutal. Ron Rash

Un silence brutal. Ron Rash


Ce polar est porté par deux personnages encombrés de lourds fardeaux. Becky est la gardienne du Locust Creek Park, le parc régional. Lorsqu’elle était enfant, elle a été témoin d’une fusillade dans une école primaire au cours de laquelle son institutrice et deux enfants sont morts. Le traumatisme l’a rendue muette assez longtemps pour que ses parents décident de l’envoyer à la campagne. Plus tard, son petit ami à succombé au travers du terrorisme écologique, poussant Becky à se réfugier à nouveau dans la nature en Caroline du Nord. "Les" est le shérif du comté depuis plus de 30 ans. Sa femme l’a quitté 10 ans plus tôt après une sévère dépression à laquelle il n’a rien compris. A 51 ans, il s’apprête à prendre sa retraite et sera remplacé par Jarvis et son adjoint Barry. L’essentiel de leur boulot consiste à lutter contre des problèmes de drogue récurrents, avec toute l’horreur que cela suppose, et à régler des querelles de voisinage de plus en plus fréquentes. 

Lorsque C.J. Gant, un ancien camarade de classe revenu au pays pour se mettre au service du riche Harold Tucker, vient lui signaler une violation de propriété, Les doit faire preuve d’une grande diplomatie. Le vieux Gérald Blackwelder, le voisin du luxueux relais de pêche, ne comprend pas pourquoi il ne peut plus se balader librement sur la propriété de Tucker et prélever quelques truites mouchetées dans la rivière. Or, ce vieux grincheux fait peur aux touristes. Le ton monte entre les deux voisins au point qu’ils en viennent aux mains. Peu de temps après, Tucker découvre que du Kérosène a été versé dans le torrent, tuant des dizaines de poissons. Becky est persuadée que Gerald n’y est pour rien mais C.J Gant fait pression sur Les, prétendant qu’il risque son job dans l’histoire.

Je n’ai pas compris immédiatement que la narration était partagée entre Becky et Les mais, une fois ce détail réglé, j’ai n’ai pu qu’apprécier le style de l’auteur.  Ron Rash n’est pas du genre à se satisfaire de lieux communs ou de personnages caricaturaux. Le shérif s’adonne à la peinture tandis que la garde forestière écrit des poèmes. Le personnage le plus ambivalent est sans doute Les. Lors d’une interview, l’écrivain américain a d’ailleurs expliqué que le shérif est fasciné par le côté obscur de la vie à cause de son histoire personnelle. A l’inverse, Becky cherche la lumière. Ses deux personnages s’attirent en dépit (ou à cause) de cette dichotomie. La nature réparatrice est omniprésente de ce polar où les hommes semblent déterminés à se déchirer ou s’autodétruire de toutes les manières possibles. J’ai lu plusieurs critiques dans lesquelles les auteurs comparaient les Appalaches de Ron Rash à la Provence de Jean Giono. La comparaison ne m’est pas venue spontanément mais je ne la trouve pas non plus insensée. 

📚J’ai profité d’une lecture commune avec Livrescapade pour découvrir enfin l’œuvre de Ron Rash. Je m’attendais à un écrivain puissant, ancré dans son territoire et soucieux de son environnement. Je ne suis pas déçue et j’ai hâte de lire ses autres livres. Ron Rash est l’auteur de 8 romans à ce jour mais aussi de recueils de nouvelles et de poésie.

📌Un silence brutal. Ron Rash. Folio, 288 pages (2020)



Et l'île s'embrasa. John Vasquez Mejías

 Et l'île s'embrasa. John Vasquez Mejías


Cet album est une petite pépite qui m’a littéralement bluffée. Plus qu’une simple bande dessinée, il s’agit d’un véritable objet d’art. Les illustrations sont des gravures qui ont nécessité un travail minutieux puisque chaque planche de l’album correspond à un morceau de bois. On imagine également la difficulté pour réaliser un lettrage lisible. John Vasquez Mejías a mis plus de 6 ans à réaliser cette œuvre parallèlement à son métier de professeur d’art. Ne trouvant pas de distributeur aux Etats-Unis, il a dû opter pour l’autoédition. En France, le roman graphique est édité par un éditeur collectif d’origine toulousaine. 


Et l'île s'embrasa. John Vasquez Mejías - Prologue


Les racines familiales de John Vasquez Mejías sont portoricaines. L’île natale de ses parents est toujours un territoire organisé non incorporé (à l’Union) des États-Unis, ce qui fait de Porto Rico, la plus vieille colonie du monde. A travers son œuvre singulière, l’auteur a voulu mettre en lumière un pan méconnu de son l’histoire. Il s’agit de l’Insurrection des indépendantistes portoricains dont le leader était Pedro Albizu Campos. Le 30 octobre 1950, plusieurs villes s’embrasèrent simultanément dans l’île des Grandes-Antilles. La révolte fut réprimée dans le sang et de nombreux militants furent condamnés à de fortes peines de prison. Cependant, l’auteur n’oublie pas de signaler qu’il y a eu aussi des victimes dans l’autre camp. 


Et l'île s'embrasa. John Vasquez Mejías. Chap 4


Il n’est pas si facile de résumer l’intrigue puisque la narration n’est pas linéaire. Par ailleurs, elle est interrompue par un interlude de quatre pages. C’est une sorte de pause zen destinée à alléger un peu le scénario très lourd émotionnellement. La fantaisie de John Vasquez Mejías est imprégnée de ce réalisme magique si emblématique des auteurs latinos. On ne sera donc pas surpris de croiser les fantômes du Mahatma Gandhi et du révolutionnaire républicain irlandais Michael Collins. L’humour et l’esthétisme sont les remèdes de notre illustrateur à la pesanteur du propos. 


Et l'île s'embrasa. John Vasquez Mejías. Persos


L’ouvrage est complété par qu’une série de portraits des principaux protagonistes de la révolte de 1950 ainsi qu’un texte du professeur Edwin A. Sierra González sur l’histoire de Porto Rico. Une interview de John Vasquez Mejías, au sujet de son travail d’auteur et d’artiste, clôture l’album. 

📌Et l'île s'embrasa. John Vasquez Mejías. Editions Ici-Bas, 128 pages (2023)


Le Secret des Bonbons pamplemousse. Monceaux & Blancher

Le Secret des Bonbons pamplemousse. Monceaux & Blancher


J’ai découvert ce petit bijou par hasard en furetant dans ma librairie préférée. Il s’agit d’un roman graphique japonisant, c’est-à-dire un Manfra. L’intrigue nous conduit dans une bourgade de bord de mer, entre Tokyo et Atami, dans la partie centrale d’Honshū, l'île principale du Japon. On y trouve la confiserie traditionnelle Itô Konpeitô. Ses propriétaires sont particulièrement attachants mais chaque membre de la famille porte un triste secret qu’il craint de divulguer aux autres. 

Nous faisons d’abord la connaissance de Suzu et de ses deux garçons. Elle a quitté un mari violent pour se réfugier chez sa tante Chikako et son oncle Yasuo qui l’ont toujours soutenue. Malheureusement, le bonheur des retrouvailles est gâché par la disparition de Yasuo, emporté par un cancer, puis l’incompréhensible absence de Mayumi, sa fille, depuis les funérailles. L’année suivante, tandis que la petite famille prépare les célébrations d’O bon, la fête des morts et des fantômes, les cœurs s’ouvrent et, petit à petit, chacun dévoile ce qui le mine. Le chat Shiro, quant à lui, veille sur la boutique comme sur ses maîtres.


Le Secret des Bonbons pamplemousse. Monceaux & Blancher - P12-13


Les illustrations de Virginie Blancher habillent avec justesse le scénario de Camille Monceaux. Le trait est rond et doux, presque enfantin, exprimant bien les sentiments de tendresse qui unissent cette émouvante famille. Les couleurs créent beaucoup de légèreté alors que l’intrigue aborde des sujets aussi compliqués que la maternité, la vieillesse, le deuil ou les relations familiales et conjugales. Je précise ici qu’il s’agit bien d’une BD pour adultes et non d’un album pour enfants.

Le texte et les planches fourmillent d’éléments qui apportent un supplément d’âme à cet album. Par exemple, les titres des chapitres sont en Japonais, sous titrés en Français. Les planches fourmillent de détails parmi lesquels des portraits miniatures dans les bulles de dialogue. Ces icônes permettent de savoir qui parle lorsque les personnages sont au second plan ou trop éloignés pour que le lecteur puisse distinguer leurs visages. 


Le Secret des Bonbons pamplemousse. Monceaux & Blancher. P185


Camille Monceaux connait bien la culture nippone puisqu’elle y a séjourné après ses études. Elle est, par ailleurs, l’auteur de la série Les chroniques de l'érable et du cerisier chez Gallimard Jeunesse (à partir de 13 ans). Virginie Blancher, qui est également fascinée par le Japon, a notamment collaboré avec la librairie Le Renard Doré, à Paris, sur des univers japonais et poétiques. 

Vous l’aurez compris, je recommande vivement ce roman graphique, véritable coup de cœur de cette fin d’année. 

📌Le Secret des Bonbons pamplemousse. Camille Monceaux (scénario) et Virginie Blancher (illustrations). Robert Laffont, 192 pages (2023)


Veiller sur elle. Jean-Baptiste Andrea

Veiller sur elle. Jean-Baptiste Andrea


C’est un peu difficile d’évoquer un ouvrage qui vient de recevoir le prix Goncourt. Il a déjà été décortiqué par des critiques professionnels et chroniqué par de nombreux bloggeurs. J’en parlerai moins bien et n’ajouterai rien de transcendant mais j’ai beaucoup aimé ce livre et c’est largement assez pour partager mon plaisir. C’est le quatrième roman de Jean-Baptiste Andrea, après Ma reine, Cent millions d'années et un jour et Des diables et des saints. Le Goncourt n’est pas son premier prix. 

Veiller sur elle est une fresque historique qui conduit le lecteur dans l’Italie du 20ème siècle au moment où elle bascule dans le fascisme. L’intrigue débute néanmoins en 1916, dans une bourgade savoyarde, et s’achève à l’automne 1986, de l’autre côté des Alpes. Michelangelo Vitaliani, dit Mimo, est né en 1904. Fils de modestes émigrés italiens, il est renvoyé dans le berceau familial après la disparition de son père, mort pour la France sur le champ d’Honneur. Il doit devenir l’apprenti de son « oncle » Zio Alberto, un sculpteur à la fois brutal et médiocre, installé à Pietra d'Alba. Mimo est un petit génie (le jeune artiste, atteint Achondroplasie, ne dépassera jamais les 1,40 m) qui doit son prénom à l’autre Michel-Ange. Il fait la connaissance de Viola Orsini, fille unique d’une fratrie de quatre enfants.  C’est le début d’une longue amitié amoureuse. D’abord snobé par la puissante famille Orsini, Mimo leur devra bientôt toute sa fortune. Après de nombreuses péripéties à Florence et à Rome où son destin l’a conduit, il devient un artiste renommé, au service de l’Eglise puis du régime fasciste. Notre homme ne s’intéresse pourtant ni à la religion ni à la politique mais ses commanditaires le paient bien. Viola, quant à elle, est victime de sa trop grande intelligence et des règles patriarcales de son temps. Après avoir frôlé la mort pour réaliser son rêve de voler, elle s’étiole à petit feu dans un mariage imposé par sa famille. Nos deux héros se retrouvent par intermittences, toujours liées dans une relation forte mais tourmentée. Quelques décennies plus tard, Mimo se meurt dans un obscur monastère piémontais, gardien d’une Pietà captive du lieu, que le Vatican n’ose ni détruire ni exposer. Son secret ne nous sera dévoilé qu’à la toute fin du roman.

Veiller sur elle est un roman picaresque rythmé et peuplés de personnages dangereux ou juste tourmentés, souvent manipulateurs, mais aussi capables de noblesse. A cause du lieu de l’intrigue et, en dépit de la période évoquée, j’ai parfois pensé au roman de Luca Di Fulvio, Mamma Roma. J’y ai ressenti le même plaisir d’écriture de l’auteur. Un plaisir communicatif, selon moi. 

📚D'autres avis que le mien via Babelio et Bibliosurf

📌Veiller sur elle. Jean-Baptiste Andrea. L’Iconoclaste, 592 pages (2023)


Kia Ora. Jouvray, Ollagnier & Efa

 Kia Ora. Jouvray, Ollagnier & Efa. T01


💪Je ne voulais pas terminer le challenge Lire (sur) les minorités ethniques, organisé par Ingannmic, sans avoir lu au moins un livre consacré aux Maoris. J’ai opté pour une bande dessinée, Kia Ora, qui compte trois tomes : Le départ (T.01), Zoo humain (T.02) et Coney Island (T.03). Il ne s’agit pas d’une BD reportage mais d’une fiction. Le titre vient d’une expression en langue maorie qui signifie littéralement « portez vous bien » mais qu’on peut traduire de manière plus informelle par « salut ». 


Kia Ora. Jouvray, Ollagnier & Efa. T01 - P16-17


L’intrigue débute en 1930 et nous conduit dans un village autochtone de Nouvelle-Zélande, alors dominion de l’Empire britannique. Nyree, la narratrice, est institutrice. Une bagarre entre ses élèves réveille de vieux souvenirs et ramène notre héroïne plusieurs années en arrière lorsqu’elle n’était elle-même qu’une enfant. Ses parents, Maaka, Awhina, avaient alors bien du mal à joindre les deux bouts. Une énième période de chômage avait incité son père, et d’autres membres de la communauté, à accepter de participer à une tournée artistique internationale. Le spectacle, organisé par un émissaire britannique avec la bénédiction du YMA (Young Maori Party), prévoyait une exhibition de danses traditionnelles, les fameux Hakas. Nyree devait rester au pays avec ses grands-parents jusqu’au retour de la troupe, 6 mois plus tard. Mais la fillette, très fâchée d’être mise à l’écart, s’était échappée à la faveur de la nuit et embarquée clandestinement sur le bateau affrété par Monsieur Hartman, l’organisateur de l’évènement. Malheureusement pour les protagonistes, le spectacle de danse ne rencontra pas le succès escompté à Londres. Cet échec incita Hartman à renier les promesses faites aux Maoris, les poussant à accepter un contrat humiliant avec le parc d’acclimatation de Paris. Certains décideront finalement de rentrer au pays mais Nyree et sa famille poursuivront le voyage jusqu’aux Etats-Unis, engagés par un homme peu scrupuleux, directeur d’un cirque à Brooklyn. 


Kia Ora. Jouvray, Ollagnier & Efa. T01 - Cahier final


J’ai été touchée par le destin dramatique des protagonistes et bluffée par le courage dont ils font preuve face à l’adversité. L’histoire est finalement assez dense pour une série qui ne compte que 3 albums. C’est le dessinateur, Efa (de son vrai nom Ricard Fernandez), qui a résolu le problème en proposant des pages de 12 à 15 cases. Le graphisme est relativement classique ce qui me convient parfaitement. Je connaissais l’existence des fameux zoos humains mais je ne savais pas grand-chose de l’histoire et de la culture des Maoris. J’ignorais, par exemple, que les Maoris avaient pratiquement abandonné le Moko (tatouage traditionnel) au 19ème siècle pour le remplacer par du maquillage. Sa renaissance date des années 1970-1980. La bande dessinée est complétée par un bref cahier documentaire, à la fin du premier album. 


Kia Ora. Jouvray, Ollagnier & Efa. 3 vol


Les trois volets de Kia Ora sont désormais épuisés chez l’éditeur mais j’imagine que certaines bibliothèques ont encore des exemplaires à disposition de leurs lecteurs. Pour ma part, je l’ai trouvé dans une librairie qui l’avait encore en stock.

📌Kia Ora. Olivier Jouvray et Virginie Ollagnier-Jouvray (scénario) & Ricard Efa (dessins). Vent d’Ouest, 3 tomes (2007-2009)