Paris-Briançon. Philippe Besson

 Paris-Briançon. Philippe Besson


Philippe Besson nous propose ici un huis clos dans le train de nuit qui relie Paris à Briançon. Certes, il ne s’agit pas d’un polar à la manière d’Agatha Christie, mais il y a quand même une bonne dose de suspense. C’est d’ailleurs l’une des forces de ce roman puisque le lecteur sait qu’il y aura des morts. L’auteur nous en informe d’entrée de jeu : « Pour le moment, les passagers montent à bord, joyeux, épuisés, préoccupés ou rien de tout cela. Parmi eux, certains seront morts au lever du jour. » 

Et voilà, le piège se referme, le lecteur ne peut plus s’extraire de sa lecture, il veut savoir qui seront les victimes de la tragédie ! Il se surprend à chercher des indices. Evidemment, Philippe Besson ne laisse rien filtrer, même face à François Busnel, lors de son interview sur le plateau de La grande librairie, le 19 janvier dernier !

L’un des passagers mérite-t-il de mourir ? Bah non, justement. Voilà l’autre force du roman : le lecteur s’attache aux personnages que Philippe Besson a su rendre si humains. Car, à la faveur de la nuit et des rencontres que l’on sait éphémères, chacun laisse tomber le masque. C’est tellement plus facile de se confier à un(e) inconnu(e). A priori, sans conséquence…

Quelles sont les points communs entre un couple de retraités et un groupe d’étudiants, un médecin généraliste parisien et un jeune montagnard sportif, un représentant de commerce et une mère de famille débordée ? Philippe Besson les a trouvés. Et il incite tous ces inconnus à l’échange, l’empathie, la solidarité… voire plus, si affinités. 

A l’instar d’une enquête criminelle, la catastrophe ferroviaire nécessite de designer un coupable. Cette partie-là, Philippe Besson ne l’aime pas, ça se sent bien. L’auteur évoque rapidement les conséquences de l’accident, ceux qui s’en emparent, l’annoncent brutalement via les réseaux sociaux… et puis l’acharnement médiatique et judiciaire qui suivra sans doute parce qu’il faut bien que quelqu’un paie pour les morts. 

Paris-Briançon est un roman qui nous questionne avant tout sur le destin, les hasards et les injustices de la vie. Que faire de cela ? Chacun a sa propre réponse. 

📌Paris-Briançon. Philippe Besson. Julliard, 208 p. (2022)


Haruki Murakami, Le septième homme et autres récits. Deveney & Pmgl

 Haruki Murakami, Le septième homme et autres récits. Deveney & Pmgl

Adapter les textes d’Haruki Murakami en bande-dessinée était sans doute une idée bien audacieuse. En ce qui me concerne, je ne vais pas en faire mystère, je trouve le pari parfaitement réussi. Les illustrations servent le texte à merveille. Non seulement, elles restituent l’ambiance des nouvelles mais elles apportent un éclairage supplémentaire. Je trouve que c’est un excellent moyen d’aborder l’œuvre du grand écrivain japonais. Pour ma part, en tout cas, je me suis souvent demander par quel livre commencer. Plutôt un recueil de nouvelles ? C’est souvent le choix que je fais lorsque je crains de ne pas apprécier l’œuvre à sa juste valeur. Les textes courts permettent de s’imprégner de l’univers de l’auteur, tout doucement, sans s’écœurer. Cette adaptation est justement un florilège de nouvelles tirées de plusieurs recueils :  L'éléphant s'évapore (Sommeil et La seconde attaque de la boulangerie), Des hommes sans femmes (Samsa amoureux et Shéhérazade), Après le tremblement de terre (Crapaudin sauve Tokyo et Thaïlande) & Saules aveugles, femme endormie (Où le trouverai-je, Le Jour de ses vingt ans et Le septième homme). 

Il se trouve que le projet de Jean-Christophe Deveney et de Pierre-Marie Grille-Liou (aka Pmgl) a mis une bonne dizaine d’années à se concrétiser. Il leur a fallu contourner bien des obstacles avant qu’Haruki Murakami ne donne sa bénédiction pour l’adaptation de la nouvelle intitulée Crapaudin sauve Tokyo et les autres à venir. C’est d’ailleurs l’écrivain lui-même qui a convaincu son éditeur au Japon de publier la BD. De fait, l’album de Jean-Christophe Deveney et Pmgl est d’abord paru au Pays du Soleil Levant avant d’arriver en France. C’est un épais volume qui regroupe les adaptations de 9 nouvelles, complétées par un petit dossier d’informations et de croquis. A chaque histoire correspondant un univers différent mis en valeur par le graphisme ou les couleurs. Par exemple, la nouvelle intitulée Où le trouverai-je se différencie visuellement des autres par le choix d’une illustration en noir et blanc. Cela saute immédiatement aux yeux grâce aux pages bordées de noir au milieu du recueil. 


Le septième homme et autres récits. Deveney & Pmgl. P10


Les dessins, d’une manière générale, sont un régal d’humour et de détails. Dans Crapaudin sauve Tokyo, les auteurs jouent avec l’absurde et créent des scènes absolument hilarantes. Je pense, par exemple, à celle du crapaud buvant tranquillement sa tasse de thé, petit doigt levé, tout en devisant avec M. Katagiri sur l’imminente fin du monde. Le dialogue qui s’instaure entre les deux protagonistes est tout aussi croustillant. Les auteurs utilisent le même ressort humoristique dans Où le trouverai-je. Le personnage principal est extraordinaire. Dans une ambiance de films noirs des années 50, le détective privé nippon prend des postures à la Sam Spade tandis que sa cliente fait crisser ses talons aiguilles. Et, pendant qu’elle lui expose les tristes raisons pour lesquelles elle est venue le consulter, le type passe tout son temps à tailler consciencieusement la mine de son crayon (spéciale dédicace à Philip Marlowe dans Le crayon ?).  L’interrogatoire qui suit est tout aussi surréaliste (pour le plus grand plaisir du lecteur évidemment).  Même constat dans La seconde attaque de la boulangerie : l’absurdité de la situation se reflète dans les illustrations. Il s’agit ici couple de trentenaires qui décident de cambrioler une boulangerie parce qu’ils sont affamés et ont pour principe de ne pas sortir au restaurant après minuit. Faute d’en trouver une ouverte la nuit, ils finissent par braquer un McDo. Le gérant du restaurant s’inquiète des erreurs que ledit braquage va engendrer dans sa comptabilité ! Pendant ce temps, en arrière-plan, le cambrioleur tente maladroitement d’ajuster sa cagoule. 

Les autres nouvelles appartiennent à un registre un peu différent, souvent teinté d’onirisme. Dans la Sommeil, une ménagère japonaise croit noyer son ennuie et trouver un sens à sa vie grâce aux insomnies qui la rendent fébrile. Le facétieux écrivains japonais multiplie les clins d’œil à la littérature et à la musique, des thématiques qui lui sont chères. Outre les références aux polars de Dashiell Hammett et Raymond Chandler ou à Anna karénine de Léon Tolstoï, Haruki Murakami rend hommage, à sa façon, à La Métamorphose de Kafka (Samsa amoureux) ou aux Contes des Mille et Une Nuits (Shéhérazade). Enfin, dans la nouvelle intitulée Thaïlande, il nous offre une véritable playlist de jazz.

 

Le septième homme et autres récits. Deveney & Pmgl . P192-193


Conclusion : Jean-Christophe Deveney & Pmgl ont fait du bon boulot. Leur adaptation en bande dessinée donne furieusement envie de se plonger davantage dans l’œuvre du grand maître de la littérature japonaise contemporaine. Or, il se trouve que les hasards (ou non) du calendrier nous gâte puisque deux livres d’Haruki Murakami viennent de paraître chez Belfond : Abandonner un chat & Première personne du singulier

📌Haruki Murakami, Le septième homme et autres récits. Jean-Christophe Deveney & Pmgl (Pierre-Marie Grille-Liou). Delcourt, 424 p. (2021)


Alpinistes de Staline. Cédric Gras

Alpinistes de Staline.


 Vitali Abalakov (1906-1986) et Evgueni (1907-1948) sont deux alpinistes soviétiques dont les exploits sportifs ont défrayés la chronique en ex-URSS. Dans le reste du monde, les deux frères sont surtout connus pour une technique d’escalade glaciaire (installation d’un point de protection sur une paroi de glace) qui porte leur nom. Cédric Gras a voulu leur rendre la place qui leur est due sur la scène internationale de l’alpinisme. Russophone, reporter et voyageur spécialiste de la Russie, l’écrivain s’est rendu sur place pour suivre les traces de ses héros, depuis Krasnoïarsk, leur Sibérie natale, en passant par Moscou et le Kirghizistan où il a remonté le glacier de l’Inyltchek jusqu’au pied du Khan Tengri et du pic Pobedy ou pic de la Victoire (aujourd’hui Jengish Chokusu). Là, il a tenté de l’ascension du mont Lénine (aujourd’hui pic Abu Ali Ibn Sina).

Cédric Gras a mené une enquête minutieuse, consulté les archives devenues accessibles des purges staliniennes, étudié les écrits propagandistes et parfois contradictoires des différents témoins, les carnets et journaux des frères Abalakov, les vieilles gazettes locales… et fait beaucoup de tri. Il brosse ainsi un portrait le plus juste possible mais forcément un peu lapidaire des frères Abalakov. De nombreux points restent obscurs comme leurs relations fraternelles ambiguës, leur adhésion réelle ou non à l’idéal soviétique ou la mort absurde d’Evgueni dans un incident domestique controversé par sa femme et son fils. 

Rappelons que dans les années 1930, Vitali et Evgueni Abalakov étaient le symbole d’une ère nouvelle, les représentants d’un alpinisme soviétique conquérant qui a donné, par la suite, son nom à de nombreux sommets comme le pic Staline ou pic du communisme (aujourd’hui Pic Ismail Samani), le pic de la Corée libre, le pic des commissaires rouges, le chaînon des communards, le col de la Presse soviétique et même le pic Maurice Thorez ! C’est l’époque des fameuses « alpiniades », des ascensions de masse qui voient des centaines d’hommes, pratiquant souvent l’escalade pour la première fois, partir à l’assaut de sommets comme l’Elbrouz (5 642 m) ou le Kazbek (5 047 m).

Il ne s’agissait pas d’un alpinisme de loisir (jugé « petit bourgeois ») mais d’une pratique militaire de l’escalade, avec une discipline stricte mais des moyens dérisoires comparés à leurs concurrents étrangers tel le baron John Hunt (1910-1998). Vitali Abalakov, qui était ingénieur de formation, a tenté d’améliorer l’équipement des alpinistes. Les russes lui doivent, par exemple, le sac à dos Abalakov, qui a a été le compagnon de route de plusieurs générations de randonneurs. Vitali Abalakov est également l’auteur de nombreux ouvrages techniques dédiés à l’escalade.

Cédric Gras évoque tour à tour, la période pionnière des années 1930, les exploits d’Evgueni Abalakov dans le Caucase puis le Pamir, le drame du Khan Tengri qui a coûté plusieurs phalanges et orteils à son frère, la seconde guerre mondiale, l’arrestation de Vitali par le NKVD puis ses deux années emprisonnement dans les geôles soviétiques, la mort absurde d’Evgueni un soir de beuverie, la résurrection de Vitali et l’enchaînement de ses succès au sein du cercle sportif du Spartak, les tentatives de coopérations avec la Chine de Mao, la « frustration himalayenne »… En effet, pour diverses raisons, les frères Abalakov n’auront jamais la possibilité de partir eux-mêmes à l’assaut de l’Everest… Si Vitali, alors âgé de 75 ans, participe à l’expédition de 1982, c’est en tant que chargé de la logistique. Il suit donc de loin (depuis Moscou) la progression de Balyberdine et Myslovski vers le toit du monde.

A travers ses héros, Cédric Gras, évoque toute l’idéologie de l’alpinisme soviétique et les principales caractéristiques de « l’homo sovieticus alpinisticus » (ainsi qu’il nomme ses représentants). On y apprend beaucoup. La troisième partie, qui s’attache à retracer les exploits de Vitali, est de fait un peu monotone puisqu’il s’agit d’une série d’exploits sans faits marquants. L’homme était particulièrement attaché aux respects des règles et à la sécurité en particulier.  Les soviétiques ont d’ailleurs perdus beaucoup moins d’alpinistes dans les montagnes que dans les goulags et les champs de batailles de la seconde guerre mondiale. Cédric Gras évoque néanmoins un drame survenu au pic Lénine en août 1974. Une cordée de 8 féministes menée par la célèbre alpiniste Elvira Shatayeva est prise dans une tempête mémorable juste après avoir atteint le sommet. En dépit de leur incroyable endurance et des efforts acharnés des secouristes, il n’y a eu aucune survivante.

Cédric Gras a publié plusieurs ouvrages, parmi lesquels Vladivostok (Phébus, 2011), Le Nord c’est l’Est (Phébus, 2013), Le Coeur et les confins (Phébus, 2014), L’Hiver aux trousses (Stock, 2015), Anthracite (Stock, 2016) et Saisons du voyage (Stock, 2018).

Extrait :

« J’y étais. Huit mois que je suivais la piste de ces hommes-là. Les frères Abalakov. J’ai ouvert. J’ai jeté un coup d’œil à la liste de ceux qui m’avaient précédé. Deux noms solitaires, il y a une dizaine d’années, déjà aperçus au bas d’articles consacrés à la montagne sous l’URSS. À part eux, personne, du moins depuis le versement du dossier aux archives fédérales. Alors je me suis plongé dans les trois cent cinquante pages d’instruction. J’avais cent questions. Pour quelles raisons Vitali Abalakov, le plus fameux des alpinistes soviétiques, avait-il été victime de la Grande Terreur ? Avait-il dénoncé sous la torture ses compagnons de cordée ? Et surtout, avait-il livré son propre frère, Evgueni Abalakov, l’étoile des cimes, le conquérant héroïque du vertigineux pic Staline ? Depuis le temps que j’aspirais à élucider cette affaire.»

📌Alpinistes de Staline. Cédric Gras. Stock, 342 p. (2020)


Les carnets de Cerise, T.01. Chamblain & Neyret

Les carnets de cerise - Tome 01


 Nous avons découvert les Carnets de Cerise cet été, grâce à une exposition à l’Abbaye de Caunes-Minervois (Aude), en partenariat avec le centre belge de la B.D. La bande dessinée de Joris Chamblain (scénariste) & d’Aurélie Neyret (illustratrice) était mise à l’honneur grâce à de nombreux présentoirs et posters. Les enfants, comme leurs parents, pouvaient ainsi admirer les illustrations en format géant et découvrir l’histoire de cette merveilleuse bande dessinée.  

La série compte à ce jour 5 volumes. Le dernier tome, intitulé Premières neiges aux perséides, est paru en 2017. Les personnages sont récurrents mais chaque album correspond à une nouvelle aventure. Cerise est une fillette de 10 ans et demi qui vit seule avec sa maman. Elle souhaite devenir romancière comme sa voisine, Madame Desjardins. En attendant de réaliser ce rêve, notre héroïne travaille durement. Elle tient un journal et joue les détectives avec ses deux amies pour trouver l’inspiration. Line et Erica sont de vraies copines, toujours disponibles et solidaires. La première est une photographe en herbe. La seconde est un peu râleuse ce qui amuse beaucoup ses amies. 


Les carnets de Cerise, T.01. Chamblain & Neyret. P6-7


Dans ce premier tome, Cerise a remarqué un étrange bonhomme. Celui-ci se rend régulièrement dans la forêt, accompagné d’un perroquet en cage et équipé de pinceaux. Il disparait pendant des heures dans la nature. Mais que peut-il bien trafiquer ? Cerise doit mener l’enquête sans alerter sa maman qui ne verrait pas cela d’un très bon œil. Direction la cabane, pour mieux observer les allées et venues de ce « Monsieur Mystère » !

Cerise est une héroïne à laquelle il très facile de s’identifier. Elle n’est ni trop chochotte ni trop téméraire. De plus, cette première aventure est extrêmement prenante. Les enfants sont tenus en haleine par l’intrigue et ont hâte de découvrir le fin mot de l’histoire. Ce passionnant scénario est très bien servi par les illustrations. Les tonalités de brun, d’orange, de beige et de jaune créent une atmosphère à la Indiana Jones. D’ailleurs Cerise porte un chapeau qui n’est pas sans rappeler celui du célèbre archéologue. 


Les carnets de Cerise, T.01. Chamblain & Neyret. P56-57


Il existe un spin-off de cette série, intitulé Les Carnets de Cerise et Valentin. Il a été publié en 2018. A partir de 2019, Aurélie Neyret s’est associée à Charlotte Girard et Jean-Marie Omont pour réaliser la série Lulu et Nelson. Celle-ci compte deux volumes à ce jour. Elle était également présentée à l’exposition de l’abbaye de Caunes-Minervois et figure en bonne place sur notre liste de lectures à venir. 

📌Les carnets de Cerise. Tome 1, Le zoo pétrifié. Joris Chamblain & Aurélie Neyret. Soleil, 80 p. (2012)


14 jours en mode survie. Sophie Rigal-Goulard

14 jours en mode survie


 Ils sont trois : Amaury, Ahé et Alanis. Leurs parents viennent de divorcer et les grandes vacances s’annoncent sous de très mauvais auspices. Marc, leur père, professeur d’histoire-géographie de son état, a décidé de leur faire vivre une grande aventure. Pour ces premières vacances à quatre, ils partiront donc faire de la randonnée dans le Queyras. Il faut alléger les sacs à dos au maximum et oublier tous les gadgets connectés. Stupeur et horreur du côté des enfants. L’aîné, Amaury, est un pré-adolescent légèrement psychorigide, hyper à cheval sur l’hygiène et les horaires. Ahé, sa cadette d’un an, est une véritable geek complètement accro à son téléphone portable. Alanis, la benjamine, est la seule à se réjouir. Elle est persuadée que le Queyras est un grand parc d’attractions. Elle déchante un peu quand son papa lui explique qu’on ne randonne pas déguisée en reine des neiges. Marco l’aventurier, ainsi que le surnomme désormais ses enfants, insiste. Il faudra se débrouiller avec les moyens du bord. Au menu ? Cueillette de mûres sauvages pour le petit déj et poissons pêchés à mains nus ! Et les réjouissances ne s’arrêtent pas là ! Douches et vaisselle dans les eaux gelées de haute-montagne, excursions en mode koh-Lanta, nuits à la belle étoile, rencontres avec les animaux « sauvages » … Bref, des vacances en mode survie. Et contre toute attente, la fratrie va en redemander ! 

14 jours en mode survie est vraiment le roman idéal à lire pendant les vacances… surtout si elles sont déconnectées et loin des consoles de jeux. Franchement, nous avons adoré suivre les périphéries de cette petite famille. Les dialogues sont extrêmement drôles et certaines situations sentent le vécu. Les enfants, comme les pré-adolescents, n’auront pas de mal à s’identifier aux jeunes héros. Il y a de nombreuses références à l’univers de chacun d’entre eux.  Amaury et Ahé sont les deux narrateurs du roman. Ainsi, le lecteur les voit d’autant mieux évoluer dans leur manière d’appréhender cette aventure en famille où tolérance et entraide les sauveront de bien des situations. Les trois enfants se transforment en super baroudeurs, et deviennent encore plus calés en techniques de survie qu’un groupe de scouts au grand complet. Marco l’aventurier, quant à lui, pourrait bien retrouver l’amour au sommet des montagnes.

Sophie Rigal-Goulard est l’autrice de nombreux livres pour enfants. Chez Rageot, elle a publié une série de romans qui sont autant de défis dont Dix jours sans écrans, 15 jours sans réseau, 30 jours sans déchets ou 24 heures sans jeu vidéo. Elle a également écrit la série des Quatre sœurs : Quatre sœurs à Tokyo, Quatre sœurs en vacances, Quatre sœurs à l'atelier pâtisserie, etc.  En ce qui nous concerne, nous sommes déjà fans ! 

Si vous voulez profitez de l’été pour déconnecter, voici une liste de livres à emporter dans vos sacs à dos :

  • Rififi sous la tente de Katia Humbert chez Le Verger des Hespérides (dès 8 ans)
  • Entre hommes de Yann Coridian à L’école des loisirs (à partir de 8 ans)
  • Encore un orage de Matthieu Sylvander à L’école des loisirs (à partir de 9 ans)
  • Un été en liberté de Mélanie Edwards chez Bayard (à partir de 12 ans)
  • Mon père des montagnes de Madeline Roth aux éditions Le Rouergue (dès 13 ans)
  • La semaine qui a changé ma vie de Elsa Devernois à L’école des loisirs (dès 13 ans)
  • Amour, Vengeance et tentes Quechua de Estelle Billon-Spagnol chez Sarbacane (dès 13 ans)

📌14 jours en mode survie. Sophie Rigal-Goulard. Rageot, 165 p. (2021)


Les cahiers japonais, T.03. Igort

Les cahiers japonais, T.03. Igort


 Moga, Mobo, Monstres, voilà un titre bien ésotérique pour un carnet de voyage ! En ce qui concerne la définition des deux premiers termes, nous y reviendrons plus tard. Néanmoins, sachez que ce troisième volet des Cahiers japonais d’Igor Tuveri (alias Igort) est bien une nouvelle invitation au voyage. 

📝Le dessinateur italien nous conduit dans un Japon Interlope qui devait donner naissance à un mouvement artistique et littéraire particulier dans l’univers du manga : l’Ero-guro. Comme dans les précédents volumes de cette somptueuse série initiatique (Un voyage dans l’empire des signes et Le vagabond du manga), Igort rend hommage aux grands maîtres du genre. Parmi eux, il y a le mangaka  Suehiro Maruo (Prix Asie ACBD 2021 pour Tomino la maudite).


Les cahiers japonais, T.03. Igort. P16-17


L’inspiration de Suehiro Maruo n’est pas tombée du ciel. Elle lui vient, nous explique Igort, de Tsukioka Yoshitoshi, le dernier grand maître des estampes japonaises ukiyo-e et le père des muzan-e (gravures sur bois de nature violente). Aujourd’hui considéré comme un génie innovateur, il est l’auteur de plusieurs séries d’estampes dont Vingt-huit meurtres célèbres en vers (1866-1869), les Cent aspects de la lune (1885-1892) ou les Nouvelles formes de trente-six fantômes (1889-1892). 

Tel est le fil conducteur d’Igort dans ce troisième tome : partir à la rencontre des auteurs maudits ou décadents, pionniers de l’underground nippon. Cette quête traverse les siècles puisqu’elle débute sous l’ère d’Edo, avec l’apparition des Kibyoshi. Ces brochures, produites entre 1775 et 1806, sont considérées comme les ancêtres des mangas pour adultes. Santō Kyōden, que l’on connait sous divers pseudonymes, a écrit et illustré un grand nombre de kibyoshi satiriques. Condamné à 50 jours d’assignation à domicile, fers aux pieds, il a décidé d’abandonner ce style pour se consacrer à des romans historiques. Néanmoins, il avait ouvert la porte au Modanizumo (le modernisme). Ce terme est utilisé pour les œuvres littéraires publiées entre 1912 et 1937.  


Les cahiers japonais, T.03. Igort. P34-35


« Mais la littérature n’était que le miroir d’une époque de bouleversement sociaux. Le modernisme apporta les MOGA. Les Modan Garu, c’est-à-dire Modern Girls selon la prononciation japonaise d’alors, étaient les jeunes Japonaises des années vingt qui, sous l’influence des coutumes occidentales, abandonnèrent le style de vie traditionnel. ». Leur pendant sont les MOBO, les Modern Boys. Ici, je suppose que vous vous posez la même question que moi : quel rapport avec la bande dessinée japonaise?  C’est tout le propos de l’auteur en vérité puisqu’il s’agit de montrer comment l’évolution de la société japonaise a donné naissance à un mouvement artistique combinant l'érotisme à des éléments macabres et grotesques. 

Cette nouvelle plongée dans l’univers japonais est aussi riche que les précédentes. L’iconographie est à l’envi, constituée de bande dessinée, de photos, de dessins en double-page, etc. L’album est à la fois structuré et labyrinthique, permettent au lecteur de mieux s’y perdre. Igort prétend que, dans sa vie antérieure, il était japonais. Je pense qu’il est parvenu à en convaincre ses éditeurs nippons. D’ailleurs, sa série des Carnets japonais reflète si bien la complexité du Pays du Soleil Levant que je veux bien le croire aussi !   


Les cahiers japonais, T.03. Igort. 3 couv


📌Les cahiers japonais, tome 3 : Moga, Mobo, Monstres. Igort. Futuropolis, 176 p. (2021)


Le Libraire de Wigtown. Shaun Bythell

 Le Libraire de Wigtown. Shaun Bythell


Wigtown est un village du Galloway au sud de l’Ecosse dont la population ne dépasse guère 1 000 habitants. Pourtant, on n’y trouve pas moins de 30 bouquinistes et libraires. Parmi eux, il y a Shaun Bythell, le propriétaire de The Book Shop, depuis 20 ans. De février 2014 à février 2015, il a tenu un journal dans lequel il décrit le quotidien d’un bouquiniste. 

Loin de l’image fantasmée du libraire, lisant toute la journée derrière son comptoir et devisant avec de charmants clients érudits, le tableau brossé par Shaun Bythell fait bien moins rêver. Si le métier de bouquiniste nécessite un minimum de patience et de culture générale, il faut aussi avoir des compétences en gestion et une bonne condition physique (pour porter les kilos de livres qui entrent et sortent du magasin journellement). Il va sans dire aussi qu’il ne faut pas être allergique à la poussière ou aux mouches qui viennent systématiquement mourir sur les tranches des livres.

Il faut rappeler ici que le Royaume-Uni ne bénéficie pas de l’avantage du prix unique sur les livres comme c’est le cas en France (loi Lang de 1981). Le Net Price System (prix fixe) a été abandonné en 1995 soit 100 ans après sa mise en place. Du coup, les librairies indépendantes ont bien du mal à faire face aux géants comme Amazon. Cette concurrence relativement récente mais particulièrement agressive a même fragilisé les grandes chaînes de librairies comme Waterstones. Pour survivre, les libraires doivent déployer des trésors d’inventivité. A Wigtown justement, on ne manque pas d’idées. La ville a obtenu le statut de village du livre en 1997 et organise chaque année, fin septembre-début octobre, un festival très prisé. Parmi les initiatives originales, il y a l’Open Book. Le concept est à mi-chemin entre le Pop-up store et la chambre d’hôtes. Vous pouvez même essayer si ça vous chante puisque la location du magasin éphémère (et de son logement associé) est ouverte à l’international. 

L’autre aspect non négligeable du métier est celui des relations humaines. Celles avec les clients et celles avec le personnel. Ici, Shaun Bythell nous régale d’une longue série d’anecdotes sur le comportement étrange ou irrespectueux des protagonistes. Parmi ses employées (exclusivement des femmes), la principale et non la moins excentrique, est Nicky. Embauchée à mi-temps pour permettre à son patron de se rendre chez des particuliers désireux de vendre leurs bibliothèques, Nicky n’en fait qu’à sa tête. Elle vient affublée d’une combinaison de ski en hiver (dont elle ne se départie pas de la journée), range les livres en fonction de ses convictions religieuses (un manuel sur la théorie de l’évolution sera donc classé parmi les fictions), repeint la devanture de la librairie en pleine période festivalière,  instaure un vendredi gourmand où elle apporte des mets peu ragoutants à son patron, embarque tout ce qui se trouve dans son champ de vision (livres, aliments, alcools…)… Inutile de lui confier des tâches précises, comme préparer l’envoi des livres du Club de lecture aléatoire ou les commandes reçues via Internet, elle ne le fera pas. Evidemment, il n’est pas toujours facile d’honorer les commandes sur Amazon ou Abebooks quand on ne retrouve pas les livres dans les rayons. Les extras employées ponctuellement par Shaun sont généralement désagréables avec lui comme avec les clients. 

Les clients, justement, sont rarement de charmants petits vieux se régalant de précieux livres reliés en vélin (ainsi que le souligne George Orwell dans ses mémoires). Non, les lecteurs qui fréquentent les librairies d’occasion sont souvent pingres et passent leur temps à négocier les prix (déjà assez bas pour coller au marché). Parmi eux, il y a une catégorie de promeneurs, qui retournent presque entièrement les rayons, s’y installent des heures livres en mains et repartent sans rien n’acheter ni ranger. Il y a aussi les Book Lovers, qui arborent des t-shirts ou des Tote bags proclamant leurs penchants livresques. En général, cette catégorie de clients repart également les mains vides. Il y a encore les bavards, les bizarres, les furibards, … et quelques clients fidèles discrets. 

En dépit de tout cela, Shaun Bythell nous assure qu’il ne changerait de métier pour rien au monde. D’abord, il y a les copains du coin (Wigtown est le village natal du bouquiniste) avec qui on part à la pêche pour se détendre ou s’envoyer une bonne bière dans le pub du coin. Bien-sûr, il ne faut pas oublier les collègues libraires, les auteurs, les bénévoles, les bibliophiles et mêmes quelques clients réguliers du magasin. Une chose est sûre, Shaun Bythell n’a rien perdu de son amour pour les incunables et apprécie toujours le simple plaisir de lire un bon bouquin. Au fil des pages, il nous distille d’ailleurs quelques conseils de lectures et cite également de nombreux ouvrages (soit parce qu’ils sont épuisés soit, à l’inverse, parce qu’il s’agit de bestsellers). Parmi les auteurs mentionnés  (la liste est non exhaustive), il y a : George Orwell, John Buchan, P. G. Wodehouse, E. F. Benson, Aldous Huxley, J.D. Salinger, Evelyn Waugh, José Saramago, Antonio Tabucchi, Magnus Mills, Harper Lee…

Shaun Bythell a publié cette année un second livre intitulé Petit traité du lecteur (Ed. Autrement 2021).

Extrait :

« La réticence d’Orwell à s’engager dans le métier de libraire n’a rien d’étonnant. Le stéréotype du propriétaire impatient, intolérant et asocial – incarné avec tant de justesse par Dylan Moran dans la série Black Books – paraît (dans l’ensemble) conforme à la réalité. Bien sûr, il y a des exceptions, et nombre de libraires sont loin de ce cliché. Malheureusement, pas moi. Cela n’a pas toujours été le cas, cependant, et j’ai souvenir d’avoir été, avant d’acheter la boutique, quelqu’un de plutôt souple et chaleureux. La pluie de questions assommantes dont on m’accable, la situation financière alarmante de mon commerce, mes continuelles prises de bec avec le personnel et les incessants et épuisants marchandages des clients ont fini par me rendre tel. Y changerais-je quoi que ce soit ? Pas le moins du monde »

📌Le Libraire de Wigtown. Shaun Bythell. Autrement, 408 p. (2018)


Les cahiers japonais, T.02. Igort

Les cahiers japonais, T.02. Igort


📝Après un premier tome des Carnets japonais (Voyage dans l’empire des signes) inspiré par Roland Barthes, Igort nous présente un second album intitulé Le Vagabond du manga. Ce volume est en quelque sorte placé sous le patronage du poète pèlerin Bashō (1644-1694), le premier grand maître du haïku.

En novembre 2015, le dessinateur italien se rend une nouvelle fois au Japon sur invitation de l’Institut culturel italien à Tokyo. Il s’agit d’un séjour court dans le cadre d’une exposition conjointe avec magaka Jirō Taniguchi. L’évènement est intitulé « Uomini che Camminano » soit « Des hommes qui marchent » (une référence à l’œuvre de Jirō Taniguchi, L’homme qui marche chez Casterman). Quoi qu’il en soit, les deux dessinateurs exposaient des œuvres dans lesquelles chacun présentait sa vision du pays natal de son acolyte. Or, c’est bien de voyage qu’il s’agit ici. Pour Igort, il va durer une dizaine de jours.


Les cahiers japonais, T.02. Igort. P42-43


Hébergé dans un immeuble moderne du quartier de Chiyoda, Igort, nostalgique, décide de faire un petit pèlerinage sur les lieux où il a jadis vécu. Hélas, son ancien logement et l’hôtel dans lequel il descendait régulièrement ont été rasés, laissant place à des constructions contemporaines.  C’est ainsi que nait l’idée d’un voyage singulier à travers le Japon millénaire, entrainé par son ami le photographe Giovanni Piliarvu. Après une escale à Toyama, les deux hommes font routes vers les Alpes japonaises. Ils s’arrêtent dans le village traditionnel de Gokayama (littéralement « la montagne aux cinq parties »), puis dans celui de Shirakawa-gō (le village de la rivière blanche), tous deux inscrits au patrimoine mondial de l'humanité. Igort poursuit son voyage spirituel, depuis Kanazawa (« marécage de l'or »), en passant par les temples bouddhistes du mont Kōya sur l'île de Honshū, le fameux cimetière d’Okuno-in, les chemins de pèlerinage dans les monts Kii ou le Sanctuaire shinto d'Ise au bord de l'océan Pacifique. Les Yōkai, ces esprits maléfiques, s’invitent dans ses rêves.

Chemin faisant, Igort évoque ses sources d’inspiration (Bashō bien-sûr, Mishima encore ou Kawabata auquel il consacre plusieurs pages). Le Traité des cinq roues, le manuel de Miyamoto Musashi (1584-1645) est son guide. Une partie de son album en suit d’ailleurs la trame, chaque partie étant dédiée à un élément (terre, eau, feu, air et vide).  Ainsi, par exemple, dans la partie intitulée Le livre de feu, l’illustrateur évoque le drame d’Hiroshima et Nagasaki. 


Les cahiers japonais, T.02. Igort. P52-53


Lorsque son périple s’achève, Igort retrouve Tokyo, la mégalopole « des grandes solitudes ». En effet, la capitale nipponne compte plus d’un million d’Hikikomori, ces personnes (souvent des lycéens et des étudiants) qui refusent tout contact avec l’extérieur et s’enferment chez eux. Ils s’opposent à la société de compétition qui incitent leurs aînés à se tuer littéralement à la tâche. Igort constate lui-même des cas de burn-out chez Kodansha, son éditeur. Certains Japonais renoncent même à fonder une famille tant la pression est forte dans le monde du travail. En dépit de sa fascination pour le Japon, l’illustrateur italien n’est pas complaisant pour autant. 

Avant de rentrer chez lui, Igort rend une dernière visite à son ami Jirō Taniguchi. Il ignore alors que c’est la dernière fois qu’il le voit. Le célèbre mangaka disparait le 11 février 2017, à l’âge de 68 ans. Dans son épilogue, Igort lui dédicace ce second tome des Cahiers japonais. 


Les cahiers japonais, T.02. Igort. 3 tomes


On retrouve dans cet album les caractéristiques qui ont fait le succès du précédent. Des illustrations en pleine page alternent avec les planches à vignettes multiples, des photos, des notes de voyage, des réflexions philosophiques ou des informations historiques. La chronologie est souvent sacrifiée au profit du propos. De fait, il n’est pas toujours facile de suivre Igort à la trace mais n’est-ce pas ce qui fait le charme de son œuvre ? Pour ma part, je ne m’en lasse pas, bien au contraire. Vivement le troisième tome ! 

📌Les cahiers japonais, tome 2 : Le Vagabond du manga. Igort. Futuropolis, 184 p. (2018) 


Dans les rues de Taïwan. Cheng Kai-Hsiang

 Dans les rues de Taïwan


Entre 2017 et 2018, Cheng Kai-Hsiang a sillonné les villes, les villages et rues de son île natale pour réaliser des croquis urbains. Il a ainsi dessiné plusieurs dizaines de boutiques et maisons traditionnelles taïwanaises et en a sélectionné 100 pour son livre. Ces aquarelles sont autant de témoins d’un passé qui cède à la modernité et à la pression immobilière. Les anciens marchés couverts disparaissent au profit des galeries marchandes contemporaines, les stands de nouilles font place aux restaurants flambants neufs, les épiceries traditionnelles ferment leurs portent et les vieilles maisons sont remplacées par des immeubles modernes. Certaines constructions immortalisées par Cheng Kai-Hsiang ont déjà été détruites. 

L’ouvrage se présente comme un catalogue. L’auteur l’a divisé en quatre grandes parties qui s’appuient sur un découpage géographique (Sud, Centre, Nord, Est de Taïwan et îles périphériques). Pour chaque dessin, il précise le type de construction (maison inhabitée, boutique, stand de cuisine de rue…), son emplacement et la date à laquelle l’aquarelle a été réalisée. Il y a aussi une notice explicative. Celle-ci peut contenir des informations historiques et architecturales ou des réflexions et souvenirs personnels de l’auteur. 


Dans les rues de Taïwan. Cheng Kai-Hsiang. P12-13


Cheng Kai-Hsiang nous conduit, par exemple, à Tainan au Sud de Taïwan. Cette ville est un ancien avant-poste commercial de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. Dans la vieille rue d’Anping, située près du Fort Zeelandia (forteresse construite par les hollandais au 17ème siècle), il y a la boutique de fruits confits Chycutayshing qui jouit d’une grande renommée. L’auteur a immortalisé sa devanture avec la partie ancienne couverte de tuiles d’origine, son vieux rideau métallique, son auvent en tôle, sa rambarde rouge et son toit terrasse.  Plus loin, dans la vieille rue Qiaonan, on trouve une vieille forge et des maisons de style Minnan-Yuedong. Il s’agit de maisons sans étage, construites principalement en briques et en bois, et couvertes d’un toit de tuiles rouges. 

Parmi les éléments architecturaux emblématiques des maisons de rue taïwanaises, on distingue les enseignes aux couleurs variées (généralement présentes en profusion), les constructions en tôle galvanisées (souvent en fer blanc), les réservoirs d’eau en inox, les arcades (qui forment des passages couverts pour les espaces commerciaux), les briques rouges, les grilles de fenêtres en fer forgé, etc. Cela peut sembler anecdotique pour le lecteur occidental mais on remarque aussi de nombreux scooters circulant dans les rues ou garés devant les divers bâtiments.


Dans les rues de Taïwan. Cheng Kai-Hsiang. P36-37


Au début du livre, un croquis de l’île (façon carte au trésor) permet de se repérer dans Taïwan et de suivre les pérégrinations du dessinateur. Il y a également une préface présentant son projet et plusieurs annexes dédiées au matériel et aux techniques. 

Au-delà de l’aspect catalogue, l’ouvrage de Cheng Kai-Hsiang est un magnifique livre d’art que l’on conserve en bonne place dans sa bibliothèque et que l’on feuillette régulièrement. Personnellement, j’adore l’apparence désuète de ces maisons de rues. Les dessins sont superbes et fourmillent de petits détails qui leur donnent vie. On apprend beaucoup sur le quotidien des habitants, ainsi que sur la culture et l’histoire taïwanaises. 


Dans les rues de Taïwan. Cheng Kai-Hsiang. P202-203


Le livre de de Cheng Kai-Hsiang n’est pas sans rappeler Les Petites épiceries de mon enfance, de l’illustratrice coréenne Mekyeong Lee chez Picquier. Elle a un compte Instagram où elle poste ses dessins. Sinon, dans la même collection que Dans les rues de Taïwan, chez Elytis, il y a le livre illustré de Mateusz Urbanowicz sur les Boutiques de Tokyo. On peut regarder ses illustrations sur son site personnel ou sur tumblr. Evidemment, je vous recommande vivement de consulter aussi le compte Instagram de Cheng Kai-Hsiang où l’on peut admirer de nombreuses aquarelles.

📌Dans les rues de Taïwan. Cheng Kai-Hsiang. Elytis, 256 p. (2021)


Les cahiers japonais, T.01. Igort

Les cahiers japonais, T.01. Igort


 Les cahiers japonais d’Igort sont tellement riches qu’ils méritent bien un compte-rendu de lecture par volume. Il y en a trois en tout : Un voyage dans l’empire des signes (tome 1), Le vagabond du manga (tome 2) et Moga, mobo, monstres (tome 3).

Le premier tome rend hommage à L'Empire des signes de Roland Barthes. Entre le carnet de croquis, le récit de voyage, le journal intime et la BD autobiographique, l’œuvre d’Igort est un canevas composé de multiples fragments. Son récit est émaillé de dessins réalisés au Japon sur ses fameux calepins mujirushi. Il mêle des extraits de ses œuvres précédentes, des souvenirs personnels, des citations d’écrivains ou de poètes, des reproductions de photos anciennes ou de mangas, des évocations diverses sur l’histoire, la société ou les traditions japonaises. Bref, il s’agit d’un voyage initiatique (tant du point de vue personnel que professionnel) au cœur de la culture japonaise, source d’inspiration du père de Yuri. Ce manga a été publié dans le magazine phare de Kodansha, l’une des plus importantes maisons d’édition du Pays du Soleil Levant.


Les cahiers japonais, T.01. Igort. P56-57


Lorsqu’il débarque au Japon pour la première fois, en mai 1991, l’illustrateur italien (Igor Tuveri de son vrai nom), ne parle pas un mot de japonais et ne maîtrise aucun des codes culturels nippons… mais cela fait plus de 10 ans qu’il rêve de ce pays, se nourrissant de littérature (Yukio Mishima, Jun'ichirō Tanizaki, Matsuo Bashō …) de peintures (Tōshūsai Sharaku, Utagawa Hiroshige, Katsushika Hokusai ou Kitagawa Utamaro) et de cinéma japonais (Sijun Suzuki, Takeshi Kitano, Misumi, Imamura…). D’ailleurs, le Japon lui a déjà inspiré une bande dessinée intitulée Goodbye Baobab en version italienne (Milano libri, 1984) et Baobab en français (Coconino Press / Vertige Graphic, 2005-2006). 

L’épopée nipponne d’Igort commence « presque par hasard, comme dans un film d’espionnage », dit-il.  En fait, il rencontre Yuka Ando, la responsable des droits étrangers chez Kodansha, à la foire du livre de Bologne, et lui propose une collaboration. Il ignore alors que les Japonais travaillent justement sur un projet « Top secret » entre Katsuhiro Ōtomo et Alejandro Jodorowsky. Un mois plus tard, Igort rencontre Kurihara San, le grand chef de la 7ème division de Kodansha à Tokyo.


Les cahiers japonais, T.01. Igort. P60-61


En 1994, Igort obtient le Morning Manga Fellowship et revient à Tokyo pour un séjour de 6 mois. Pour son premier projet, Amore, il doit apprendre à dessiner les pages en sens inverse, puisqu’au Japon, on lit de droite à gauche. Dans les bureaux de son directeur d’édition (Tsutsumi Yasumitsu), le dessinateur italien croise les plus grands mangakas comme Jirō Taniguchi ou Masashi Tanaka. Il découvre les techniques de travail des Japonais, dont la production est sans commune mesure avec l’édition occidentale. Il accède aussi aux célères studios Ghiblis où il rencontre Hayao Miyazaki. 

En 1996, après plusieurs années de collaboration avec les Japonais (et de nombreux séjours dans le pays), la série intitulée Yuri fait un carton. Elle est publiée dans les pages du Comic Morning, un magazine de prépublication qui se vend à plus de 140 000 exemplaires par semaine. Ses fans envoient des tonnes de courrier à l’éditeur d’Igort pour l’encourager à poursuivre son œuvre ou lui distiller des conseils concernant l’intrigue ou le développement de produits dérivés. Et pourtant, le dessinateur italien va devoir se soumettre à un étrange rite de passage. En effet, alors qu’il rend visite à son éditeur, il est quasiment confiné dans son hôtel pendant 15 jours avec l’obligation quotidienne de produire une histoire. Un défi titanesque qu’il relève malgré l’épuisement.


Les cahiers japonais, T.01. Igort. P116-117


Igort nous restitue son expérience grâce à ses pinceaux et il faut reconnaître qu’on apprend beaucoup de son expérience… sur le monde de la bande dessinée japonaise, bien sûr, mais pas seulement. A travers ses dessins, il évoque par exemple les codes et les catégories sociales. On apprend ainsi que son entretien d’embauche a duré plus de trois heures (au cours desquels Kurihara San l’a augmenté à 3 reprises) car Igort ignorait que c’est l’invité qui doit se lever le premier, mettant fin à l’entretien ! 

En dépit des anecdotes qui prêtent à rire, le dessinateur italien, n’hésite pas pour autant à évoquer des sujets plus sérieux (la construction du premier gratte-ciel dans le quartier populaire d’Asakusa à Tokyo à la fin du 19ème siècle ou la symbolique du chrysanthème et la place de sa culture dans l’histoire du Japon ) voire un peu gênants (l’endoctrinement des enfants durant la seconde guerre mondiale ou l’ostracisme professionnel des familles « burakumin », les descendants de l’ancienne caste des intouchables).


Les cahiers japonais, T.01. Igort. 3 vol


Ce premier volume des Cahiers japonais est un véritable trésor. Se plonger dans les Cahiers d’Igort, c’est un peu comme entrer dans la caverne d’Ali Baba ! La richesse iconographique de l’ouvrage en fait un joyeux foutoir, même si la chronologie est parfois difficile à suivre (en particulier au sujet des différents séjours de l’auteur au Pays du Soleil Levant). D’un autre côté, un récit linéaire et purement factuel ne serait-il pas un peu (beaucoup) monotone ? J’ai hâte de découvrir le prochain tome. 

📌Les cahiers japonais, Tome 1 : Un voyage dans l’empire des signes. Igort. Futuropolis, 184 p. (2015) 


Les chats dans la pop culture. Chaptal et Thevenon

 Les chats dans la pop culture


Voici un livre dans l’air du temps qui ne devrait pas plaire qu’aux seuls amoureux des chats. Il enchantera les geeks, les lecteurs de mangas, les amateurs d’animes et, en particuliers, ceux produits par les studios Ghibli… bref, comme l’indique le titre, il est le reflet de la culture mainstream. Néanmoins, l’ouvrage va un peu au-delà du champ d’étude de la culture populaire puisqu’il aborde d’autres aspects comme la mythologie, la science et les arts académiques.

Les humains sont-ils parvenus à domestiquer le chat ou juste à l’apprivoiser ? A moins que cela ne soit le contraire. Sommes-nous en réalité les esclaves de nos matous ? Difficile de répondre à cette question avec certitude. Quoi qu’il en soit, le petit félin nous fascine depuis la nuit des temps… en fait depuis le néolithique, période à laquelle l’Homme et l’animal ont commencé à se côtoyer. Depuis, nous vivons une histoire commune pour le moins mouvementée. 


Les chats dans la pop culture. Stéphanie Chaptal et Claire-France Thevenon. P78-79


Déifié par la civilisation égyptienne antique puis martyrisé dans l’occident médiéval, le chat fut d’abord considéré comme un Yokaï (démon) au Japon puis comme une muse chez les artistes européens des 19ème et 20ème siècle, avant d’être envoyé dans l’espace par les scientifiques français. Aujourd’hui, le petit félin est omniprésent dans notre vie quotidienne et dans les médias. On le trouve dans nos livres et sur nos écrans. Au Pays du Soleil Levant, il possède même ses temples dédiés et plusieurs Nekojima (îles aux chats). 

Les chats dans la pop culture est une mine d’informations. Le livre de Stéphanie Chaptal et Claire-France Thevenon est divisé en huit parties (Le chat vs les autres animaux, Le chat incarnation du bien ou du mal, Le chat mystique, etc). 


Les chats dans la pop culture. Stéphanie Chaptal et Claire-France Thevenon.P134-135


Le chat est présenté tour à tour dans son rôle de protagoniste ou d’antagoniste et comme ressort humoristique. On pense, par exemple, à Sylvestre dans Titi et Grosminet, à Hercule dans Pif Gadget ou à Tom et Jerry, pour ne citer que les plus connus. Notre tendance à l’anthropomorphisme nous incite à attribuer un certain nombre de qualités et défauts à nos compagnons. De fait, le chat est souvent présenté comme paresseux, gourmand, voleur voire hâbleur. Garfield, le héros de Jim Davis, l’un des matous le plus célèbres de la bande-dessinée, n’est-il pas gourmand, obèse et spécialement égocentrique? 

Néanmoins, le chat est avant tout un objet de fascination pour les humains qui ont tant de mal à le comprendre. C’est ainsi qu’on lui a attribué un grand nombre de pouvoirs ou associé à des êtres surnaturels, parfois considérés comme maléfiques. On pense aux chats noirs qui accompagnent souvent les sorcières dans l’imaginaire populaire. Dans la série des Harry Potter, les félins sont à l’image de leurs maîtres respectifs (cf Pattenrond, le chat d’Hermione ou Miss Teigne, la chatte du concierge de Poudlard). Dans la littérature de genre, le chat se fait psychopompe ou carrément démoniaque : rappelez-vous Simetierre de Stephen King ! 


Les chats dans la pop culture. Stéphanie Chaptal et Claire-France Thevenon.P150-151


D’aucuns ont tendance à penser que les matous entretiennent des liens particuliers avec les femmes. Ils accompagnent les sorcières, bonnes ou mauvaises (Jiji, le chat de Kiki la petite sorcière) mais pas seulement. Parmi les préjugés les plus courants, on peut mentionner l’archétype de la « mémère à chats», la vieille fille frustrée et dépressive atteinte du syndrome de Noé (pathologie qui consiste à adopter plus d’animaux que de raison). A l’inverse, la femme féline est considérée comme une femme racée et indépendante. Catwoman, l’héroïne de DC Comics en est l’un des symboles.

Il serait fastidieux de rapporter dans ce compte-rendu de lecture toutes les entrées envisagées par les auteurs dans cet ouvrage exhaustif. Cependant, parmi les tendances observées récemment, on distingue un courant largement véhiculé par la japonisation de la culture, relayé par l’imaginaire occidental : le chat Kawaï (mignon) associé au phénomène « Lolcat » (mèmes amusants avec des chats). On peut mentionner Nyan Cat, le chat au corps en forme de « Pop-Tart » (tartelette plate) dessiné par Chris Torrès en 2011. Le gif est ensuite diffusé sur Youtube par Sara June, accompagné d’une musique electro-pop japonaise, appelé Nyanyanyanyanyanyanya! en référence à l'onomatopée nippone du miaulement. Enfin, parmi les icônes du Kawaï, on peut citer Hello Kitty (mascotte crée par la société japonaise Sanrio en 1974 et qui a produit de nombreux dérivés), ainsi que Grumpy Cat (une petite chatte devenue célèbre via Instagram).


Les chats dans la pop culture. Stéphanie Chaptal et Claire-France Thevenon.P194-195


Le livre de Stéphanie Chaptal et Claire-France Thevenon est bien documenté et propose une riche iconographie. Je n’ai pas compté leur nombre exact, mais les auteurs présentent plusieurs dizaines d’œuvres de références, piochées dans la littérature, la bande-dessinée, le cinéma, la peinture, la publicité, etc. La présentation de l’ouvrage a l’avantage d’être très claire. Chaque félin cité dans le livre possède sa fiche d’identité, mentionnant son nom, sa date de naissance, ses géniteurs et son C.V. (les œuvres dans lesquelles il apparait). A la fin de l’ouvrage, il y a même un petit glossaire pour les néophytes. Si je devais chipoter, je dirais qu’il manque peut-être un index des œuvres mentionnées.

📝 Bibliographie consacrée au Chat dans la littérature japonaise ici

📌Les chats dans la pop culture. Stéphanie Chaptal et Claire-France Thevenon. Ynnis, 205 p. (2021)


Huit crimes parfaits. Peter Swanson

Huit crimes parfaits. Peter Swanson


 Huit crimes parfaits est un vibrant hommage au polar. Peter Swanson s’amuse avec les codes du genre pour servir une intrigue s’inspirant des romans préférés de son héros.  

Le narrateur, Malcolm Kershaw, est co-propriétaire de Old Devils, une librairie d’occasion installée à Boston et spécialisée en littérature policière. Son associé est un célèbre écrivain du genre, alcoolique évidement, et qui ne met les pieds dans la boutique que très rarement. Le seul habitant permanent de la librairie est le chat Nero qui fait figure de mascotte. Malcolm, que tout le monde surnomme Mal, est contacté par Gwen Mulvey, une agente du FBI qui enquête sur plusieurs morts non élucidées. Selon elle, ces crimes indétectables s’inspiraient d’une liste de livres policiers publiée sur le blog de la librairie quelques années plus tôt. Mal, qui en est l’auteur, accepte de collaborer en qualité d’expert… mais un peu suspect aussi ! Le duo improbable tente d’identifier le criminel grâce aux indices disséminés dans les fameux romans. Les premiers meurtres s’inspiraient d’une œuvre d’Agatha Christie, ABC contre Poirot. Mais le plagiat introduit quelques variantes qui brouillent un peu les pistes. Ainsi, au lieu d’utiliser les lettres de l’alphabet, il choisit des victimes portant des noms d’oiseau. Mais l’une d’entre elle est la véritable cible. Le meurtrier la connait. C’est grâce à elle qu’on pourra remonter jusqu’à Charlie (surnom que nos héros ont donné au criminel). L’ambiance feutrée du roman (suggérée par l’aspect cozy de la couverture) est surtout liée à la météo. En effet, la ville de Boston est ensevelie sous une tempête de neige.

Evidemment il n’est pas nécessaire d’être un expert en littérature policière pour lire dans le roman de Peter Swanson. L’écrivain a l’élégance de nous faire un résumé des ouvrages cités et nous fournit des anti-sèches au fil de l’intrigue. Il est difficile d’en dire davantage sans dévoiler toute l’énigme mais sachez qu’elle comporte une mise en abîme. Peter Swanson a également publié un thriller psychologique intitulé Vis-à-vis chez Gallmeister en 2020.

Depuis sa création en 2006, la maison d’édition Gallmeister enchante ses lecteurs avec son catalogue Nord-américain et, en particuliers, ses auteurs estampillés "Nature Writting". Elle a ensuite étendu avec succès son champs d’action au domaine policier. L’éditeur a notamment publié les œuvres de James Crumley, Ross Macdonald ou Craig Johnson. Depuis début 2021, Gallmeister ouvre ses frontières à de nouveaux territoires : Bush australien, pampa sud-américaine, montagnes sardes, steppe russe, fjords de Norvège…

La liste des crimes parfaits par Malcolm Kershaw

  • Le mystère de la maison rouge, A. A. Milne 
  • Préméditation, Anthony Berkeley Cox (alias Francis Iles) 
  • ABC contre Poirot, Agatha Christie
  • Assurance sur la mort, James M.Cain
  • L’inconnu du Nord-Express, Patricia Highsmith
  • Le bouillon rédempteur, John D.MacDonald
  • Piège mortel, Ira Levin
  • Le maître des illusions, Donna Tartt

📌Huit crimes parfaits. Peter Swanson. Gallmeister, 352 p. (2021)


La Fête des ombres. Atelier Sento

 La Fête des ombres. Atelier Sento


La Fête des ombres est une superbe bande dessinée publiée par Cécile Brun & Olivier Pichard, deux dessinateurs-voyageurs qui se cachent sous le pseudonyme d’Atelier Sento. Le second et dernier volume est paru en octobre 2021. 

L’intrigue est assez dépaysante et originale puisqu’elle nous conduit dans un village montagnard du Japon où les habitants observent une curieuse tradition. En effet, ce lieu isolé attire les « Ombres », des revenants amnésiques qu’il faut guider vers un au-delà apaisé. Pour y parvenir, les habitants (doués du don de vision) ne disposent que d’une année. Le début et la fin du cycle sont marqués par un étrange festival appelé Fête des ombres qui a lieu à la fin de l’été. L’héroïne de cette histoire est une jeune femme (à l’air très juvénile) nommée Naoko. 


La Fête des ombres. Atelier Sento. Kakis


Naoko est une débutante comparée aux « Anciennes », les autres femmes du village. Sa première mission vient d’échouer. Elle n’est pas parvenue à communiquer avec son ombre et celle-ci s’est volatilisée sans que la jeune fille ne puisse la retenir. Pourtant, dès le début de l’automne, une nouvelle ombre lui apparait. Malgré la douleur liée à son échec, Naoko ne peut se résoudre à abandonner cet esprit tourmenté. Aidée de Katsu, son ami d’enfance, la jeune femme s’investit à fond dans sa nouvelle mission. Cette expérience va lui apporter son lot de surprises et d’émotions. 

Les illustrations ne sont pas sombres et contribuent à créent une atmosphère apaisante en dépit de quelques passages tragiques. Les dessins sont suffisamment expressifs pour que le lecteur puisse s’imprégner des sensations des personnages : le froid hivernal, la chaleur d’une tasse de thé, le gigantisme de la capitale, l’euphorie du festival ou les différentes émotions de l’héroïne.


La Fête des ombres. Atelier Sento. Refuge


Je trouve que, par certains aspects, cette histoire rappelle celle de Coco, le film d’animation réalisé par Lee Unkrich et Adrian Molina en 2017. Si le thème n’est pas des plus réjouissants, la manière de le traiter est loin de tomber dans l’effusion dramatique. Il y a bien-sûr des scènes très émouvantes mais aussi beaucoup d’humour dans cette bande dessinée. Bref, dans cette histoire, comme ailleurs, la mort fait partie de la vie. 

Onibi, le précédent album de L’atelier Sento, a été récompensé par le trophée d’argent du Japan International Manga Award.


La Fête des ombres. Atelier Sento. Les deux tomes


📌La Fête des ombres. Cécile Brun & Olivier Pichard (Atelier Sento). Issekinicho, 2 vol (2021)


Le sniper, son wok et son fusil. Chang Kuo-Li

Le sniper, son wok et son fusil. Chang Kuo-Li

Vous conviendrez que la série noire de Gallimard est une collection prestigieuse qui n’accueille que le gratin de la littérature policière. Les auteurs de « mauvais genre » qui y figurent sont donc parfaitement fréquentables. Qu’en est-il de l’écrivain taïwanais Chang Kuo-Li ? Le titre de son roman n’est pas très ragoutant. Sachant que les woks et les fusils sont rarement associés dans la cuisine du commun des mortels (même chez les amateurs de « junk food »), il y a de quoi être intrigué. Qui est donc ce fameux sniper ? S’agit-il d’un forcené s’attaquant à quiconque approchant sa marmite de riz sauté ? Non, bien-sûr. 

En réalité Ai Li alias « Alex Lee », le héros, est une sorte de Jason Bourne asiatique, reconverti dans la vente de plats traditionnels à emporter. Cet ancien tireur d’élite, formé par l’armée taïwanaise puis engagé dans la légion étrangère française, est rappelé sur le terrain pour éliminer l’un de ses compatriotes en déplacement à Rome. Alors qu’il se concentre sur sa cible, un obscur conseiller en stratégie nommé Chou Hsieh-ho, Alex découvre qu’il s’est fait doubler. Or, le second sniper n’est autre que Chen Li-chih alias « le Gros », un ancien frère d’armes ! Notre héros n’a pas d’autre choix que de l’abattre. Dès lors, il devient la proie de son propre camp… mais qui est le donneur d’ordre justement ? Qui avait intérêt à se débarrasser définitivement du sniper ? Pourquoi « le gros » a-t-il accepter de tuer son ex-camarade de chambrée ? Alex se lance dans une course-poursuite pour sauver sa peau, activant son réseau d’ex-militaires. Ceux-ci lui fournissent d’autant plus volontiers une planque que notre ex-agent dormant leur mitonne de délicieux plats de riz sauté, pourvu qu’il ait un wok sous la main. Bon, jusqu’ici tout le monde suit. Mais ça se complique car une partie de l’intrigue se déroule en Europe et l’autre à Taïwan.

Pendant que l’agent Ai Li fait sa petite cuisine entre l’Italie, la République Tchèque et la Hongrie, la police taïwanaise est sur les dents. Le superintendant Wu et son supérieur, respectueusement surnommé « Crâne d’œuf », enquêtent sur la mort suspecte de deux marins : Le major Kuo Wei-chung, embarqué sur le destroyer Kee Lung, et Chiu Ching-chih Un officier d’état-major. Or, les deux affaires pourraient bien être liées à l’assassinat du conseiller Chou Hsieh-ho. Le superintendant général s’envole illico-presto pour l’Italie tandis que son subalterne enquête sur place. Wu qui est à J-12 de la quille se coltine donc le sale boulot à Taipei pendant que Crâne d’œuf, flic ambitieux et néanmoins épicurien, s’en met plein la panse à Rome. Ici, il faut bien reconnaître qu’on commence à s’emmêler un peu les pinceaux… entre les histoires de barbouzes en goguette et de flicaille affamée… il y a de quoi s’y perdre un peu… sans compter que les retraités des triades ne vont pas tarder à y ajouter leur grain de sel ! 

Chang Kuo-Li ne se contente pas de régaler ses lecteurs de recettes traditionnelles (riz sauté, galettes grillées fourrées aux œufs, gâteau de navets, etc) et d’anecdotes exemplaires tirées de l’histoire des Trois royaumes. A l’occasion, il rend également hommage aux maîtres de la littérature policière comme Donato Carrisi pour l’Italie. L’écrivain taïwanais signe un roman d’espionnage plein d’humour et avec moult rebondissements. J’ai lu dans une critique du journal Libération qu’il s’était inspiré de l’affaire dite des frégates de Taïwan…. 

Chang Kuo-Li, n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il a déjà publié plusieurs ouvrages dont certains ont été traduits en anglais (Italy In One Bite, Birdwatchers et The Jobless Detective). Il a été rédacteur en chef du China Times Weekly et a reçu plusieurs prix pour ses écrits. Selon l’agence Books of Taïwan, Chang Kuo-Li est également linguiste, historien, expert militaire, fan de sport, critique gastronomique, poète…. Bref, il ne manque pas de ressources ni d’inspiration. 

📌Le sniper, son wok et son fusil. Chang Kuo-Li. Gallimard, 368 p. (2021)