Le Libraire de Wigtown. Shaun Bythell
Wigtown est un village du Galloway au sud de l’Ecosse dont la population ne dépasse guère 1 000 habitants. Pourtant, on n’y trouve pas moins de 30 bouquinistes et libraires. Parmi eux, il y a Shaun Bythell, le propriétaire de The Book Shop, depuis 20 ans. De février 2014 à février 2015, il a tenu un journal dans lequel il décrit le quotidien d’un bouquiniste.
Loin de l’image fantasmée du libraire, lisant toute la journée derrière son comptoir et devisant avec de charmants clients érudits, le tableau brossé par Shaun Bythell fait bien moins rêver. Si le métier de bouquiniste nécessite un minimum de patience et de culture générale, il faut aussi avoir des compétences en gestion et une bonne condition physique (pour porter les kilos de livres qui entrent et sortent du magasin journellement). Il va sans dire aussi qu’il ne faut pas être allergique à la poussière ou aux mouches qui viennent systématiquement mourir sur les tranches des livres.
Il faut rappeler ici que le Royaume-Uni ne bénéficie pas de l’avantage du prix unique sur les livres comme c’est le cas en France (loi Lang de 1981). Le Net Price System (prix fixe) a été abandonné en 1995 soit 100 ans après sa mise en place. Du coup, les librairies indépendantes ont bien du mal à faire face aux géants comme Amazon. Cette concurrence relativement récente mais particulièrement agressive a même fragilisé les grandes chaînes de librairies comme Waterstones. Pour survivre, les libraires doivent déployer des trésors d’inventivité. A Wigtown justement, on ne manque pas d’idées. La ville a obtenu le statut de village du livre en 1997 et organise chaque année, fin septembre-début octobre, un festival très prisé. Parmi les initiatives originales, il y a l’Open Book. Le concept est à mi-chemin entre le Pop-up store et la chambre d’hôtes. Vous pouvez même essayer si ça vous chante puisque la location du magasin éphémère (et de son logement associé) est ouverte à l’international.
L’autre aspect non négligeable du métier est celui des relations humaines. Celles avec les clients et celles avec le personnel. Ici, Shaun Bythell nous régale d’une longue série d’anecdotes sur le comportement étrange ou irrespectueux des protagonistes. Parmi ses employées (exclusivement des femmes), la principale et non la moins excentrique, est Nicky. Embauchée à mi-temps pour permettre à son patron de se rendre chez des particuliers désireux de vendre leurs bibliothèques, Nicky n’en fait qu’à sa tête. Elle vient affublée d’une combinaison de ski en hiver (dont elle ne se départie pas de la journée), range les livres en fonction de ses convictions religieuses (un manuel sur la théorie de l’évolution sera donc classé parmi les fictions), repeint la devanture de la librairie en pleine période festivalière, instaure un vendredi gourmand où elle apporte des mets peu ragoutants à son patron, embarque tout ce qui se trouve dans son champ de vision (livres, aliments, alcools…)… Inutile de lui confier des tâches précises, comme préparer l’envoi des livres du Club de lecture aléatoire ou les commandes reçues via Internet, elle ne le fera pas. Evidemment, il n’est pas toujours facile d’honorer les commandes sur Amazon ou Abebooks quand on ne retrouve pas les livres dans les rayons. Les extras employées ponctuellement par Shaun sont généralement désagréables avec lui comme avec les clients.
Les clients, justement, sont rarement de charmants petits vieux se régalant de précieux livres reliés en vélin (ainsi que le souligne George Orwell dans ses mémoires). Non, les lecteurs qui fréquentent les librairies d’occasion sont souvent pingres et passent leur temps à négocier les prix (déjà assez bas pour coller au marché). Parmi eux, il y a une catégorie de promeneurs, qui retournent presque entièrement les rayons, s’y installent des heures livres en mains et repartent sans rien n’acheter ni ranger. Il y a aussi les Book Lovers, qui arborent des t-shirts ou des Tote bags proclamant leurs penchants livresques. En général, cette catégorie de clients repart également les mains vides. Il y a encore les bavards, les bizarres, les furibards, … et quelques clients fidèles discrets.
En dépit de tout cela, Shaun Bythell nous assure qu’il ne changerait de métier pour rien au monde. D’abord, il y a les copains du coin (Wigtown est le village natal du bouquiniste) avec qui on part à la pêche pour se détendre ou s’envoyer une bonne bière dans le pub du coin. Bien-sûr, il ne faut pas oublier les collègues libraires, les auteurs, les bénévoles, les bibliophiles et mêmes quelques clients réguliers du magasin. Une chose est sûre, Shaun Bythell n’a rien perdu de son amour pour les incunables et apprécie toujours le simple plaisir de lire un bon bouquin. Au fil des pages, il nous distille d’ailleurs quelques conseils de lectures et cite également de nombreux ouvrages (soit parce qu’ils sont épuisés soit, à l’inverse, parce qu’il s’agit de bestsellers). Parmi les auteurs mentionnés (la liste est non exhaustive), il y a : George Orwell, John Buchan, P. G. Wodehouse, E. F. Benson, Aldous Huxley, J.D. Salinger, Evelyn Waugh, José Saramago, Antonio Tabucchi, Magnus Mills, Harper Lee…
Shaun Bythell a publié cette année un second livre intitulé Petit traité du lecteur (Ed. Autrement 2021).
Extrait :
« La réticence d’Orwell à s’engager dans le métier de libraire n’a rien d’étonnant. Le stéréotype du propriétaire impatient, intolérant et asocial – incarné avec tant de justesse par Dylan Moran dans la série Black Books – paraît (dans l’ensemble) conforme à la réalité. Bien sûr, il y a des exceptions, et nombre de libraires sont loin de ce cliché. Malheureusement, pas moi. Cela n’a pas toujours été le cas, cependant, et j’ai souvenir d’avoir été, avant d’acheter la boutique, quelqu’un de plutôt souple et chaleureux. La pluie de questions assommantes dont on m’accable, la situation financière alarmante de mon commerce, mes continuelles prises de bec avec le personnel et les incessants et épuisants marchandages des clients ont fini par me rendre tel. Y changerais-je quoi que ce soit ? Pas le moins du monde »
📌Le Libraire de Wigtown. Shaun Bythell. Autrement, 408 p. (2018)
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