The Murder Mystery Book Club. C.A. Larmer

The Murder Mystery Book Club. C.A. Larmer VO vs VF

Voici un cosy mystery australien très british. En effet, l’intrigue de ce whodunit utilise des éléments des romans d’Agatha Christie et en particulier des enquêtes de l’incontournable Hercule Poirot. Alicia Finlay, éditrice trentenaire, vit dans le quartier de Woolloomooloo (j’adore le nom) à Sydney. Elle vient de claquer la porte de son club de lecture qu’elle jugeait trop guindé. Lynette, sa sœur cadette, une maestria des fourneaux, lui suggère de créer un groupe qui lui corresponde mieux.  C’est ainsi que nait le Murder Mystery Book Club (l’Agatha Christie Book Club dans la première version du roman). Les membres sont recrutés à l’ancienne (pour faire honneur à la figure tutélaire de la reine du crime britannique) via une annonce dans le journal et une lettre de candidature. A la fin du processus de sélection, il ne reste que 7 personnes en comptant les deux fondatrices. Outre Alicia et Lynette, le groupe est composé de Claire, gérante d’une boutique de vêtements de seconde main, Missy la bibliothécaire, Anders le séduisant médecin, Perry l’homosexuel extraverti et Barbara la femme au foyer dépressive. Celle-ci insiste pour recevoir la première réunion officielle du groupe à son domicile. A cette occasion, les membres du club de lecture vont s’apercevoir que la vie de famille de Barbara Parlour est loin d’être idéale. Son mari est un goujat et sa fille est en pleine rébellion adolescente. Lorsque Barbara disparait, ses nouveaux amis se transforment en détectives amateurs. Ils vont découvrir que la quinquagénaire a semé quelques indices derrière elle. Pour résoudre l’énigme, ils devront retourner aux sources, c’est-à-dire chercher la clé du mystère dans l’œuvre d’Agatha Christie.  

The Murder Mystery Book Club est le premier volet d’une série policière qui compte six volumes à ce jour. Les deux premiers titres ont été traduits en français et sont publiés par les éditions du Cherche Midi : Ils étaient sept (Le Cherche Midi, 2023) et Le Crime du SS Orient (Le Cherche Midi, 2023). Les références à Agatha Christie tiennent plus du clin d’œil que de la connaissance approfondie de son œuvre et de sa biographie. Il n’est donc pas nécessaire d’avoir lu l’intégrale des aventures du fameux détective belge à moustache pour faire fonctionner ses petites cellules grises et résoudre le mystère… ou plutôt les mystères car il faut bien qu’un crime de sang soit commis. Les amateurs de Cosy Mysteries retrouveront la plupart des ingrédients qui font le succès du genre donc rien de traumatisant. Bien que C.A. Larmer entretienne une ambiance délicieusement désuète dans son roman, l’histoire s’inscrit résolument dans l’air du temps (on peut boire du thé au coin de la cheminée et faire des recherches sur Internet). Les personnages sont attachants et je ne suis pas contre l’idée de les voir évoluer dans les prochains épisodes de la série. L’énigme n’est pas très compliquée à résoudre mais je dois reconnaître qu’elle est ingénieusement construite.

📚Je vous recommande d'aller voir l'avis de Fanja sur ce roman 

📌The Murder Mystery Book Club. C.A. Larmer. Larmer Media, 284 pages (2021)


Journal d'un scénario. Fabrice Caro

Journal d'un scénario. Fabrice Caro


📚J’ai découvert Fabrice Caro grâce aux recensions enthousiastes de Luocine (Samouraï, Broadway, Le discours…). Il faut préciser que le bonhomme est assez éclectique puisqu’il est également musicien et auteur de bandes dessinées sous le pseudonyme de Fabcaro. Journal d’un scénario est paru en août dernier. Le roman se présente sous la forme d’un journal dont la première entrée est datée du mercredi 14 septembre :

« La dernière fois que j’ai tenu un journal, c’était au lycée, à la suite de ma rupture avec Delphine Richard (de sa rupture avec moi, si l’on veut être rigoureux). Un journal essentiellement composé de lamentations, d’aphorismes abscons et d’extraits de chansons des Smiths (Last Night I Dreamt That Somebody Loved Me). Pour évacuer un trop- plein de négatif, le digérer, l’extérioriser, voire y survivre. Trente ans plus tard, j’entame un journal pour les raisons exactement inverses : canaliser un trop- plein de positif. Un journal de bord comme ont pu en tenir les grands explorateurs partant à la recherche de contrées inconnues. À l’aube d’une aventure humaine et artistique dont je veux garder une trace indélébile. N’en déplaise au vieux chef indien de Little Big Man (Arthur Penn, 1970) : aujourd’hui est un grand jour pour renaître. »

Boris, le narrateur, peaufine les derniers éléments d’un scénario intitulé "Les servitudes silencieuses" s’inspirant largement de la rupture amoureuse de son meilleur ami. L’œuvre s’inscrit plutôt dans le cinéma d’art et d’essai avec des dialogues ciselés et poétiques. L’auteur imagine des images et noir et blanc à la manière de The Artist de Michel Hazanavicius. Pour incarner ses héros, il rêve du couple Mélanie Laurent et Louis Garrel, une combinaison géniale et inédite selon lui. Tout se présente donc parfaitement bien dans la tête de Boris d’autant que son agent, un certain Jean Chabloz, ne cesse de lui répéter qu’ils vont faire un beau film. Il a d’ailleurs promis de trouver les partenaires idéaux pour concrétiser le projet. Ses proches sont ravis pour lui, notamment Aurélie, une jeune femme qui enseigne le cinéma à l’Université et qui ne semble pas insensible au charme de notre scénariste. Boris commence néanmoins à gamberger sérieusement lorsque Jean Chabloz lui suggère quelques ajustements. Plus le temps passe, plus Boris fait de concessions, plus le projet prend une tournure inquiétante, plus il ment à son entourage… plus on s’amuse.  L’histoire va en effet tourner au vaudeville.

J’ai eu beaucoup de plaisir à lire ce Journal d'un scénario. Boris est l’incarnation de l’anti-héros sympathique et touchant. Ses tribulations nous entraînent crescendo dans une situation totalement absurde et foncièrement comique. Je recommande. 

📌Journal d'un scénario. Fabrice Caro. Gallimard, 208 pages (2023)


Le philatéliste. Nicolas Feuz

Le philatéliste. Nicolas Feuz


Je ne connaissais ni l’auteur ni l’éditeur de ce livre mais la présentation en quatrième de couverture a éveillé ma curiosité. Et puis je n’étais pas contre une escapade littéraire en suisse. J’ai découvert après coup que Nicolas Feuz a déjà publié 17 romans policiers et que la maison d’édition Rosie & Wolfe a été fondée par son compatriote, le romancier Joël Dicker. 

Vengeance, espionnage, manipulation, harcèlement, violences domestiques, pédophilie… la trame de ce polar est complexe. Si l’intrigue est ancrée dans le territoire genevois, un jeu de piste machiavélique conduit le lecteur à Genève, Lausanne, Versoix, Delémont et Neuchâtel mais aussi au-delà des frontières suisses, à Annecy et La Roche-sur-Foron. Son point de départ est un évènement dramatique vieux de plusieurs décennies, d’où les flashbacks ramenant le lecteur au milieu des années 80. L’objet à suivre est un colis affranchi d’un timbre en peau humaine ! 

En cette période de fin d’année et de pénurie d’effectif, l’enquête est menée par l’inspectrice Ana Bartomeu avec l’aide non officielle d’un collègue suspendu temporairement de ses fonctions suite à une bavure. Yves Morin, son co-équipier habituel est en effet en congés et reste injoignable. En réalité il fait la tournée de ses maîtresses. Parmi elles, la belle Veronika Dabrowska est harcelée par un inconnu qu’elle a éconduit sur une appli de rencontres. S’agit-il du même Sam, dont l’enfance a été une longue période de solitude et de brimades ? 

Tous les protagonistes de cette histoire, y compris les flics, sont chargés d’un passé très encombrant. On a d’abord l’impression que l’auteur multiplie les chausse trappes pour déboussoler son lecteur. En réalité, rien n’est laissé au hasard et les multiples ramifications de l’intrigue sont autant d’indices à prendre en compte. Nicolas Feuz use avec brio de ses connaissances en matière de justice (il est procureur du canton de Neuchâtel depuis une douzaine d’années) et décrit parfaitement les rouages de l’administration postale. Le philatéliste est un polar tentaculaire, rythmé et addictif en diable. Je ne doute pas qu’il emportera l’adhésion des amateurs du genre. 

📌Le philatéliste. Nicolas Feuz. Editions Rosie & Wolfe, 332 pages (2023)


Ils partiront dans l'ivresse. Lucie Aubrac

Ils partiront dans l'ivresse. Lucie Aubrac


Bien que cet ouvrage se présente comme un journal, il n’a pas été écrit au jour le jour pendant la guerre. Lucie Aubrac, née Lucie Bernard, l’a rédigé bien des années plus tard, dans le double contexte de l'extradition de Klaus Barbie en France en février 1983 et la controverse soulevée dans le livre de René Hardy (Derniers mots) au sujet de son rôle dans l'arrestation de Jean Moulin. Il s’agit donc d’une reconstitution des évènements survenus entre mai 1943 et février 1944. Ceci correspond à une période de 9 mois durant laquelle Lucie Aubrac était enceinte de son second enfant. 

Le 14 mai 1943 Raymond Samuel, est libéré de la Prison Saint-Paul grâce à l’acharnement de son épouse Lucie. Le 12 février 1944, à Londres, la jeune femme accouche d’une petite fille qu’elle prénomme Catherine, clin d’œil à son pseudonyme de résistante. Entre ses deux dates, la famille Aubrac/Samuel est confrontée à de nombreuses péripéties dramatiques. 

Après la libération de Raymond et une semaine passée au vert avec leur fils Jean-Pierre, les Samuel rentrent à Lyon. Ils y reprennent leurs activités officielles et officieuses. Lucie est professeur d’histoire dans un établissement pour jeunes filles tandis que son mari est ingénieur. Le reste du temps, le couple travaille activement pour le bénéfice de la Résistance. Raymond est l’un des fondateurs du mouvement Libération Sud. Il est notamment connu sous les pseudonymes d’Aubrac et Balmont. En juin 1943, Raymond et ses compagnons de combat, parmi lesquels Jean Moulin, sont de nouveau arrêtés à Caluire. Durant des mois, Lucie, enceinte, va s’employer à faire libérer son mari. Elle use de tous les moyens, y compris la ruse et les armes. Plusieurs frères d’infortune seront sauvés en même temps que son époux. Ensuite, le couple et leur petit garçon seront exfiltrés, transférés d’une cachette à une autre, puis embarqués dans un avion de la Royal Air Force pour atterrir enfin à Londres. Cette épopée rocambolesque a été portée à l’écran en 1997 par Richard Berry avec Carole Bouquet et Daniel Auteuil dans les rôles principaux.

L’intérêt de ce témoignage est multiple. D’une part, il apporte quelques éclaircissements sur l’affaire Jean Moulin et c’est, d’autre part, un témoignage exemplaire sur le rôle des femmes dans la Résistance. On constate à ce propos, qu’en dépit de ses actions et de son courage, Lucie Aubrac est souvent reléguée, par les dirigeants du mouvement, à des missions subalternes ou hors de la hiérarchie établie. J’ai été frappée de voir qu’on lui confie volontiers l’envoi de colis, la lessive des prisonniers, la charge de l’approvisionnement alimentaire et de la cuisine mais pas de rôle de coordination comme son époux. Qu’à cela ne tienne, la jeune femme participe à toutes les opérations sur le terrain et surtout elle prend des initiatives audacieuses lorsqu’il s’agit de la vie de Raymond. 

📚J’ai partagé cette lecture avec Maggie, du blog Mille et un Classiques, qui est sans doute devenue une spécialiste de Lucie Aubrac après avoir épuisé presque toute la documentation sur le sujet (La résistance expliquée à mes petits-enfants, Lucie Aubrac, non au nazisme…) J’espère, pour ma part, que cette lecture commune dédiée à une femme remarquable va en entraîner d’autres sur la même thématique, à savoir des portraits de femmes qui ont influencé l’histoire, la culture, les sciences, le sport, etc. Sur le même sujet justement, Sandrine du blog Tête de lecture a lu La plastiqueuse à bicyclette de Jeanne Bohec. 

📌Ils partiront dans l'ivresse. Lyon : mai 1943, Londres : février 1944. Lucie Aubrac. Seuil, 264 pages (1984)


Notre royaume n'est pas de ce monde. Jennifer Richard

 Notre royaume n'est pas de ce monde. Jennifer Richard


Ce roman s’ouvre avec un carton d’invitation. Un certain Ota Benga, pygmée né au Congo, a réuni une étrange assemblée de personnalités qui sont mortes pour leurs idées ou leurs actions. Il y a là Pierre Savorgnan de Brazza, Jean Jaurès, Malcolm X, Paolo Pasolini, Martin Luther King, Saddam Hussein, Emile Zola, Che Guevara, Oussama ben Laden, Rosa Luxemburg… Tous les convives sont liés d’une manière ou d’une autre au destin de leur hôte et vont intervenir dans le fil narratif, depuis leur monde parallèle. Cette pirouette de l’auteur autorise une touche d’humour dans une histoire extrêmement pesante. Les débats portent sur la première campagne internationale de sensibilisation à une cause humanitaire. Elle est née à l’initiative de la Congo Reform Association. Cette association, composée d’intellectuels Britanniques, Américains et Français, s’était donnée pour but de dénoncer les exactions commises par les fonctionnaires publics de l'État indépendant du Congo, propriété privée du Roi Léopold II de Belgique jusqu’en 1908. Et il y a eu beaucoup d’atrocités répertoriées pendant ses 23 ans de souveraineté !

L’intrigue couvre la période 1896-1916. Elle nous conduit en Afrique, bien sûr, mais aussi aux Etats-Unis et en Europe. L’autrice précise qu’elle n’a pas écrit un roman sur le racisme ou sur la colonisation. C’est le thème de l’impérialisme qui constitue le cœur de cet ouvrage. Jennifer Richard montre comment les richesses de l’État indépendant du Congo (actuelle République Démocratique du Congo ou Congo-Kinshasa) ont incité la couronne belge et les concessionnaires privés à exploiter brutalement la population locale. C’est essentiellement l’activité d’extraction du caoutchouc à partir de l'arbre à caoutchouc qui est visée ici. Les travailleurs africains étaient en réalité traités comme des esclaves et considérés comme des animaux. Ils étaient contraints à coups de chicotte (fouet à lanières en cuir d'hippopotame) et écrasés d’impôts. Lorsque la besogne n’avançait pas assez vite, les administrateurs les punissaient en leur coupant les mains. Certains travailleurs préféraient s’enfuir au péril de leur vie, quitte à mourir noyés dans le fleuve ou écrasés au fond d’un ravin. Pour s’assurer que les hommes reviendraient avec une récolte suffisante, les intendants faisaient enfermer leurs femmes et leurs enfants dans des réduits minuscules et insalubres, voire dans des trous creusés dans le sol. Un carnage. En échange des tonnes de caoutchouc qu’ils exportaient en Occident, pour la fabrication des pneus de voitures et des vélos (deux inventions récentes), les Européens envoyaient en Afrique, une quincaillerie sans valeur, issue des rebuts de leurs manufactures. Ils chargeaient aussi beaucoup d’alcool sur les cargos à destination des côtes africaines, un précieux carburant pour motiver les troupes d’occupation et anesthésier toutes velléités de révoltes de la part des autochtones. Au milieu de toute cette horreur, les missionnaires chrétiens tentaient de trouver un sens à leurs actions pastorales et prétendument civilisatrices. Au même moment aux Etats-Unis, la ségrégation faisait elle aussi des victimes. Ici, la question était de savoir quelles voies emprunter pour changer les choses. Celle de Booker T. Washington, co-fondateur et président de l'institut Tuskegee en Alabama ou le combat de WEB du Bois en faveur des droits civiques. Le premier prônait une amélioration progressive des conditions matérielles des Afro-Américains à travers l'enseignement professionnel et technique ; le second, revendiquait l'abolition de toutes les formes de discrimination raciale.

Cette fresque historique est l’un des volets du triptyque composé également des volumes intitulés Il est à toi ce beau pays (Albin Michel, 2018) et Le Diable parle toutes les langues (Albin Michel, 2021). Ils peuvent être lus dans le désordre et de manière totalement indépendante.

J’ai été bluffée littéralement par Jennifer Richard. Elle a effectué des travaux de recherche très minutieux et construit son intrigue avec une intelligence remarquable. C’est le fil narratif original qui permet de qualifier ce livre de roman. En effet, tous les faits rapportés sont réels. Mieux encore, les dialogues entre les protagonistes du monde parallèle ont été construits à partir de citations qui leur ont été attribuées. La plus grande fantaisie tient au mélange des périodes et à la touche fantastique de l’ouvrage. Quel soulagement, après tant d’atrocités évoquées, que de pouvoir rire d’un Jaurès brandissant un téléphone portable pour chercher des informations sur Wikipédia ! Comme c’est croustillant de voir Che Guevara s’entretenir avec Emile Zola ou Rosa Luxemburg (seule représentante de la gente féminine dans ce club très fermé de célébrités) ! Je recommande vivement la lecture de cet ouvrage nécessaire et très bien écrit.

💪Ce roman est sorti de ma pile à lire dans le cadre du Mois africain, organisé par Jostein.

📌Notre royaume n'est pas de ce monde. Jennifer Richard. Albin Michel, 736 pages (2022)

Le déclin de l'empire Whiting. Richard Russo

Le déclin de l'empire Whiting. Richard Russo


« Depuis quelques années, la Gazette publiait le dimanche de vieilles photographies d’Empire Falls et de ses habitants dans leur glorieuse époque. (…) Pour des raisons qui intriguaient Miles, cette série réjouissait ses concitoyens, qui semblaient prendre un réel plaisir à se rappeler que, trente ans plus tôt, le samedi matin, l’Empire Avenue avait grouillé de gens, de voitures et d’activité, alors qu’aujourd’hui, évidemment, on pouvait y vider le chargeur d’une mitraillette sans risquer de blesser personne. » 

📚Cela fait presque 20 ans que je projette de lire Le déclin de l'empire Whiting sans jamais concrétiser l’envie. Pourquoi ? Premièrement, parce qu’il s’agit d’un pavé et, deuxièmement, parce que je me laisse distraire par d’autres tentations comme les nouveautés de la rentrée littéraire. Or c’est justement pendant cette dangereuse période que A girl et Keisha ont proposé, via leurs blogs respectifs, une lecture commune du roman de Richard Russo. L’occasion était trop belle... 

L’empire dont il est question dans ce roman c’est celui du clan Whiting. Cette famille fortunée règne depuis plusieurs décennies sur la bourgade d’Empire Falls (un nom prédestiné s’il en est) dans l’état du Maine. C’est Francine, la matriarche, qui tient les rênes depuis le suicide de son époux. La vieille dame est rarement présente en ville d’autant que le fleuron de l’industrie locale, la chemiserie, a fermé ses portes depuis plusieurs années, entraînant plusieurs autres établissements dans son sillage. Seul l’Empire Grill semble avoir survécu à la crise. Miles Roby, son gérant n’est guère optimiste pour autant. L’établissement vivote mais ne fait pas vraiment de bénéfices. Il n’attire plus que quelques chômeurs et piliers de bars tels Horace, journaliste de la gazette locale. Miles est en instance de divorce et son ex, Janine, est maintenant en couple avec le propriétaire d’un club de gym. Le type est un abruti fini qui squatte quotidiennement le comptoir de l’Empire Grill pour prodiguer des conseils dont tout le monde se fiche éperdument. Ce harcèlement semble néanmoins davantage motivé par un sentiment de culpabilité à l’égard de Miles que par une réelle volonté de nuire ou de provoquer. Miles doit également subir la présence non moins toxique de son propre père, Max, qui vient sans cesse lui réclamer de l’argent. Le vieux prévoit de partir en virée dans les Keys, un lieu qu’il a toujours préféré au foyer familial. Une multitude de personnages habitent ce roman dont Tick, la fille adolescente de Miles et Janine, ou encore Zach, un petit frimeur agressif qui, comme de juste, s’est trouvé une victime désignée parmi les lycéens du coin. Son père, Jimmy Minty, est un flic véreux au service du clan Whiting. Il y a quand même quelques gens bien dans l’entourage de notre héros parmi lesquels son frère David, qui lui donne un coup main au restaurant, et puis Charlene, la serveuse dont Miles est amoureux depuis l’adolescence. Bea, la mère de Janine, a gardé d’excellentes relations avec son ancien gendre et accepte même de s’associer à lui dans un projet de restauration. Et puis, il y a Grace, la mère de Miles, décédée d’un cancer lorsque celui-ci était étudiant à l’Université. 


Empire Falls


Je ne regrette pas d’avoir tant attendu pour lire ce roman car j’ai savouré ma lecture comme peu d’autres avant celle-ci. Le roman a été récompensé par le Prix Pulitzer de la Fiction en 2002 et je trouve que c’est largement mérité. Le déclin de l'Empire Whiting est une fresque sociale, un roman profondément humain et poignant. C’est une histoire d’emprise économique mais pas seulement. Il est aussi beaucoup question de manipulation. Pour autant, le roman est plus léger qu’il n’y paraît car il n’est pas dénoué d’humour. En lisant Richard Russo, j’ai pensé à d’autres auteurs américains que j’affectionne particulièrement comme Russell Banks ou John Irving.  J’ai découvert à l’occasion de cette lecture que le roman de Richard Russo a été adapté en mini-série par Fred Schepisi en 2005 et diffusée sur la chaîne de télévision américaine HBO. J’avoue que je serais curieuse de voir le résultat. 

📌Le déclin de l'empire Whiting. Richard Russo. Editions 10/18, 640 pages (2004)



Dis-moi pour qui j'existe. Abdourahman A. Waberi

Dis-moi pour qui j'existe. Abdourahman A. Waberi


Dis-moi pour qui j'existe est le 7ème roman de l’écrivain franco djiboutien Abdourahman A. Waberi. On peut le considérer comme le second volet d’un dytique autofictionnel débuté avec Pourquoi tu danses quand tu marches ? mais les deux ouvrages peuvent se lire séparément. 

Aden Robleh, le double romanesque de l’auteur, enseigne les études romanes à l’université George Washington sur la côte Est des Etats-Unis. En septembre 2017, Béa, sa fillette de 6 ans tombe malade. Le diagnostic n’est pas annoncé tout de suite mais on apprend plus tard qu’il s’agit d’arthrite juvénile. L’enfant est hospitalisée à l’hôpital Robert-Debré à Paris. Margherita, sa maman italienne, doit gérer le quotidien toute seule puisque le narrateur doit retourner à Washington DC pour le second semestre de cours. Son sentiment de culpabilité est d’autant plus prégnant qu’il est persuadé d’avoir transmis le mal à sa fille. Aden a contracté la polio à l’âge de 7 ans puis une maladie des articulations à 14 ans. Les souffrances endurées par Béa font écho à des souvenirs similaires. 

« Les psychologues le savent : la mémoire du corps, celle des os et des vaisseaux sanguins est plus infaillible et plus souterraine que celle de l’esprit. J’écoute mon corps. L’enfant est là, frétillant. Tout est là, à fleur de peau. Susceptible de remonter à la surface. Ce retour me fait l’effet d’un détonateur. Spasmes, crampes, tétanies et tremblements. Je me souviens, ou plus exactement mes articulations se souviennent, que la douleur était partout, aiguë, sans répit. J’y étais plongé comme dans un étang. Un lac, je barbotais dedans. »

Le salut d’Aden et de Béa passe par l’écriture, une idée inspirée par un soignant qui suggère au narrateur de tenir un journal de bord. Dès lors, s’instaure entre le père et sa fille, une sorte de correspondance, un dialogue épistolaire qui va durer 5 mois, entre janvier et mai 2018. 

« Si je prends des notes dictées par l’urgence médicale, il m’arrive aussi d’écrire tout ce qui me traverse l’esprit. J’alterne les notes et l’expression libre. Entre deux recherches scientifiques, je dénoue les fils de mon passé. Et en remontant dans le passé, je fais œuvre utile. Je veux dire que j’instruis ma fille sur sa culture et son héritage, du côté africain et paternel. Mon besoin d’écriture et de transmission a fini par prendre des allures d’enquête sur cette maladie qui nous est tombée dessus et sur les moyens de la contrer tout en s’adaptant au rythme, à la sensibilité et à l’écosystème de Béa. »

Aden raconte son enfance difficile dans le quartier Château d’Eau à Djibouti. A cette époque, c’est encore la France mais plus pour longtemps. Lorsqu’il est tombé malade, sa mère a préféré le confier à sa grand-mère Cochise. La matriarche tient ce surnom du fameux chef apache. Il signifie chêne. De sa force, le jeune Aden en a eu bien besoin pendant ses longs mois de maladie puis pour accepter sa jambe flétrie par la poliomyélite. C’est en claudiquant qu’il a poursuivi son chemin, affronté les costauds du quartier, découvert le réconfort de la lecture, quitter sa terre natale pour étudier en France. 

Béa répond à son père par des textes et des poèmes à la fois plein de fraîcheur et de maturité. Le père et la fille se rassurent et se consolent mutuellement. L’écriture est un pansement qu’ils partagent. Il n’échappe pas aux lecteurs que les mots de la fillette ne correspondent pas à son âge mais qu’importe si l’auteur lui prêtent ceux d’un adulte puisque l’émotion est intacte. Il y a beaucoup d’amour et de pudeur dans ce beau roman.

💪J’ai lu Dis-moi pour qui j'existe dans le cadre du mois africain, organisé par Jostein. Par de nombreux aspects, cet ouvrage pas sans rappeler l’autofiction d’Eugène Ébodé, Habillé le ciel, que j’ai lu dans les mêmes circonstances.

📌Dis-moi pour qui j'existe ? Abdourahman A. Waberi. J.C. Lattès, 272 pages (2022)

Habiller le ciel. Eugène Ébodé

Habiller le ciel. Eugène Ébodé


💪C’est à l’occasion du mois africain que j’ai découvert la collection Continents Noirs chez Gallimard. Créé en l’an 2000, son catalogue est riche d’une cinquantaine d’écrivains et d’une centaine de titres. Habiller le ciel d’Eugène Ébodé y figure avec d’autres titres de l’auteur. Ce roman se trouvait dans ma Pile à lire depuis plusieurs mois. Ce n’est pas un livre que j’ai acheté ni même choisi et le résumé en quatrième de couverture n’avait pas éveillé ma curiosité. Bref, il est probable que je serais passé à côté de ce beau roman si l’occasion ne s’était présentée de le lire dans le cadre du Challenge de lecture organisé par Jostein.

Le narrateur, qui n’est autre que l’auteur du roman, a perdu sa mère et n’a pas assisté à son enterrement. Rongé par la culpabilité, il convoque ses souvenirs d’enfance au Cameroun, pour lui rendre hommage. Il brosse le portrait d’une femme extrêmement touchante, une mère lionne, qui s’est démenée pour assurer un avenir à ses enfants. Parce qu’elle était illettrée, Vilaria a voulu que sa progéniture lui rapporte le maximum de diplômes. Elle en tapissait les murs du salon. De ses origines Beti, elle a appris à regimber. Une nécessité dans cette société polygame. 

L’auteur se concentre sur la relation qui le lie à sa mère, quitte à évincer sa grande fratrie qui apparait de manière évanescente dans le récit. Le père, à la fois figure d’autorité et de désinvolture, est aussi relégué au second plan.

On apprend beaucoup sur la vie quotidienne et politique au Cameroun dans les années 70 et 80. Il est également question du Tchad où l’écrivain a séjourné plusieurs mois avant que n’éclate la guerre civile. C’est un évènement traumatisant pour le jeune Ébodé qui doit retraverser la frontière dans l’urgence et atterri dans un camp de réfugié dans son propre pays. Ce livre est aussi le récit d’un parcours initiatique et de la naissance d’une vocation. 

Habiller le ciel est une autobiographie "romanesque" portée par une écriture sensible et poétique, un brin onirique aussi. Une très belle découverte. 

« Nous dormions devant l’entrée de la maison, sur la dalle au ciment lisse de la véranda. C’est là que j’avais davantage habillé le ciel, non de prières hachées, bâclées et mal embouchées, mais de mes idées, mes flâneries et mes fictions. C’était la nuit, à Douala, que l’envie de repeindre le ciel avec des formules et des incantations tout droit sorties de mon imaginaire a pris naissance. Par un glissement imperceptible, les histoires que je lisais dans les livres commencèrent leurs métamorphoses dans la nuit constellée. »

📌Habiller le ciel. Eugène Ebodé. Gallimard, 288 pages (2022)

Noire. Emilie Plateau

Noire. Emilie Plateau

Tout le monde connaît l’histoire de Rosa Parks mais qui se souvient de Claudette Colvin ? Et pourtant, cette adolescente de 15 ans a été la première à se rebeller contre la ségrégation raciale dans les bus de la ville de Montgomery en Alabama. Le 2 mars 1955, soit 9 mois avant le coup d’éclat de son aînée, Claudette a tenue tête au chauffeur qui lui ordonnait de céder son siège à une jeune femme blanche puis aux policiers venus la déloger de sa place manu militari. Le 18 mars, l’adolescente est jugée pour violation des lois de la ville, trouble à l’ordre public et agression à l’égard d’un policier lors de son arrestation. Elle est défendue par Fred Gray, le second avocat Afro-Américain officiant à Montgomery. Bien que le chauffeur de bus, Robert Cleere, témoigne que la jeune fille n’a pas frappé les policiers, Claudette est reconnue coupable des trois chefs d’accusation. 


Noire. Emilie Plateau


La communauté noire décide de boycotter la ligne de bus en signe de protestation contre le verdict. Malheureusement, faute de leader, le mouvement s’épuise rapidement. Il faudra attendre l’arrestation de cinq autres contrevenantes et la condamnation de Rosa Parks, pour que la lutte en faveur des droits civiques s’organise. Jo Ann Gibson Robinson, la présidente du WPC (Women’s Political Council) est à l’initiative d’un nouveau boycott en décembre 1955. La tension monte entre les citoyens de couleur et les membres du WCC (White Citizen Council). Les maisons du révérend Martin Luther King et d’Edgar Daniel Nixon, le créateur de la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People) à Montgomery, sont dynamitées. Les militants en faveur des droits civiques n’abandonnent pas, bien au contraire. Ils invoquent le 14ème amendement, garantissant l’égale protection des lois pour tous les citoyens, et attaquent la ville en justice. Finalement, le 13 novembre 1956, la Cour suprême des États-Unis statue que la ségrégation dans les bus est anticonstitutionnelle. Néanmoins, les lois Jim Crow, entravant l'exercice des droits constitutionnels des Afro-Américains, ne seront abrogées par le Civil Rights Act qu’en 1964. 


Noire. Emilie Plateau


A ce stade, vous vous demandez sans doute ce qu’il est advenu de Claudette Colvin. En effet, la jeune fille a rapidement été écartée de la lutte en faveur des droits civiques parce qu’elle était enceinte (victime de l’agression sexuelle d’un homme blanc déjà marié). E.D. Nixon considérait en effet que son état n’en faisait pas une porte-parole convenable. Rosa Parks, quant à elle, était une militante aguerrie bénéficiant d’une excellente réputation. Pour autant, Claudette ne semble pas d’une nature rancunière et répond à chaque appel des militants, témoignant notamment lors du procès Browder (une autre militante antiségrégationniste) contre Gayle (le maire de Montgomery). En dépit de leur engagement, Aurelia Browder, Claudette Colvin, Susie McDonald, et Marie Louise Smith (les deux autres plaignantes) se verront reléguées au second plan. Le lendemain de la victoire, ce sont les membres masculins du mouvement, dont Martin Luther King, qui seront célébrés dans la presse. Claudette, elle, est forcée de quitter Montgomery où elle ne trouve plus de travail. Elle se rend à New-York où elle décroche un emploi d’aide-soignante et elle où vit dans l’anonymat pendant plusieurs décennies. Le rôle qu’elle a joué dans l'avancée des droits civiques n’a été redécouvert que très récemment. L’une des rues des quartiers pauvres de Montgomery porte désormais son nom. En décembre 2021, le casier judiciaire de Claudette Colvin a enfin été effacé et détruit suite à sa requête auprès du tribunal.


Noire. Emilie Plateau


Cette bande dessinée s’inspire du livre éponyme de Tania de Montaigne, paru en 2015 chez Grasset. Le graphisme est assez original puisque les planches ne sont pas découpées en cases. Les dessins sont sobres, presque naïfs. Ils ne sont pas sans rappeler, il me semble, les comic trips américains. L’auteur a favorisé le trait en noir et blanc avec quelques nuances dominantes de marron et d’orange. Les scènes de violence sont relativement expurgées des éléments les plus traumatisants. Elles apparaissent la plupart du temps sur des fonds de page entièrement noirs. Je suppose que l’autrice a voulu s’adresser à un public le plus large possible.

📌Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin. Emilie Plateau (Auteur, Scénario, Dessin), d’après Tania de Montaigne. Dargaud, 136 pages (2019)

Trust. Hernan Diaz

Trust. Hernan Diaz


Le titre de ce roman évoque immédiatement l’univers de la finance. Et c’est bien à Wall Street qu’Hernán Diaz nous conduit, pendant la période d’effervescence des années 20, puis pendant la Grande Dépression, après le Krach de 1929. En Anglais, le mot "Trust" ne désigne pas qu’un arrangement économique, il signifie aussi confiance. Ce n’est pas un hasard. 

La première partie déploie une intrigue qui, de prime abord, peut sembler un peu ronronnante mais il s’agit d’un subterfuge de l’auteur. L’intérêt de cet ouvrage tient en effet à sa structure kaléidoscopique. Dans un premier temps, le lecteur découvre la biographie d’un magnat de la finance, un certain Benjamin Rask dont les aïeux ont fait fortune dans l’exploitation du tabac au 19ème siècle. L’homme n’est guère sociable mais semble doué d’un flair incroyable en matière d’investissements et de placements. Il fait fructifier son héritage au point de devenir une figure incontournable de Wall Street. Afin d’assoir sa position au sein de l’élite new-yorkaise, il épouse Helen Brevoort, une jeune femme issue de la haute société d’Albany. Ses parents sont des aristocrates désargentés et un peu excentriques. Ils ont vécu de nombreuses années en Europe où ils se sont fait entretenir par les membres expatriés de la bonne société américaine. La nouvelle Madame Rask semble d’abord apprécier de vivre quasiment recluse dans sa propriété de l’Upper East Side. Puis Helen commence à s’intéresser aux arts et notamment à la musique. Au fil du temps, son activité philanthropique se développe au point de nécessiter l’intervention "compétente" et "bienveillante" de son époux.  Tout serait parfait dans ce monde de privilégiés si l’épouse de Benjamin Rask ne présentait les symptômes d’une maladie mentale. C’est à contre cœur que son mari la fait finalement interner dans un sanatorium suisse dont elle ne reviendra jamais. Fin du premier acte. Il est intitulé Obligations.

Trust. Hernan Diaz

La suite de ce roman est une suite de mises en abîme. Le lecteur découvre un autre couple, Andrew et Milred Bevel, dont le parcours apparait étrangement similaire à celui des Rask mais sans correspondre exactement. Cette seconde partie, intitulée Ma vie, est présentée comme un récit autobiographique. A ce stade, il est difficile d’en dire davantage sans divulgâcher une partie de l’intrigue. Sachez que Trust est un roman puzzle dont les pièces s’imbriquent, à l’instar des différentes parties de ce livre, pour dévoiler une réalité distordue qui sied mieux au microcosme de la finance. On y croise également une journaliste dont le père, d’origine italienne, est un militant anarchiste. C’est l’affrontement de deux mondes mais dans la sphère privée. D’autres sujet plus inattendus sont abordés dont certains avec une touche de féminisme réparateur.  Plusieurs grands noms de la littérature s’imposent au fil des pages dont ceux de Ayn Rand, Edith Wharton, Francis Scott Fitzgerald, Jorge Luis Borges…

Hernán Diaz a reçu le prix Pulitzer pour ce roman (ex aequo avec  Demon Copperhead de Barbara Kingsolver) en 2023 et a été en lice pour le Booker Prize en 2022. 

📚D'autres avis que le mien : AthalieSunalee, Keisha, Fanja

📌Trust. Hernán Diaz. Editions de l’Olivier, 400 pages (2023)


L'homme qui plantait des arbres. Jean Giono

L'homme qui plantait des arbres. Jean Giono


 « Pour que le caractère d’un être humain dévoile des qualités vraiment exceptionnelles, il faut avoir la bonne fortune de pouvoir observer son action pendant de longues années. Si cette action est dépouillée de tout égoïsme, si l’idée qui la dirige est d’une générosité sans exemple, s’il est absolument certain qu’elle n’a cherché de récompense nulle part et qu’au surplus elle ait laissé sur le monde des marques visibles, on est alors, sans risque d’erreurs, devant un caractère inoubliable. »

Lors d’une randonnée en Provence (entre Drôme, Durance et Mont Ventoux), le narrateur fait la connaissance d’un ancien berger appelé Elzéard Bouffier. Le bonhomme, qui a une cinquantaine d’années, vit là en solitaire. Il consacre tout son temps à reboiser les terrains désertiques et abandonnés de tous. Il plante ses arbres, un à un, à la main, avec une opiniâtré qui lui permet d’ignorer tous les obstacles. La première et la seconde guerre mondiale ne viendront pas à bout de sa volonté ni même l’intervention du service des eaux et forêts. Le fonctionnaire envoyé par l’administration lui intime l’ordre de se tenir à distance de cette forêt naturelle. L’agent refuse en effet de croire à une action désintéressée et préfère se convaincre que les arbres ont poussé spontanément. Le narrateur, quant à lui, rend régulièrement visite à son nouvel ami. L’homme vieillit, bien-sûr, et perd même la parole au fil du temps mais jamais n’abandonne son beau projet. Il plantera des arbres jusqu’à sa mort en 1947. Grâce à son travail acharné, la région a repris vie. Les cours d’eau se sont remplis et les jeunes pousses trouvent désormais leur chemin sans intervention humaine. Des familles sont venues s’installer dans les anciens villages, retapant les vieilles ruines ou construisant de nouvelles fermes. Les activités de ces communautés juvéniles engendrent une économie rurale vivace. Personne ne se souvient plus d’Elzéard Bouffier mais qu’importe ?! Là n’était pas son but. 

« Quand on se souvenait que tout était sorti des mains et de l’âme de cet homme — sans moyens techniques — on comprenait que les hommes pourraient être aussi efficaces que Dieu dans d’autres domaines que la destruction. »

Cette nouvelle poétique est pleine d’optimisme vis-à-vis de la nature humaine. Jean Giono l’a écrite en 1953 pour répondre à un concours organisé par le magazine américain Reader's Digest. Il s’agit bien sûr d’une allégorie sociale et politique, un pamphlet écologique précurseur mais dont le ton n’est pas moralisateur. Le lecteur en ressort heureux et ragaillardi avec le sentiment qu’il y a encore de l’espoir en ce monde. J’ai choisi la couverture de la collection jeunesse (8-11 ans) plutôt que celle de la série blanche. Plus que la naïveté du lecteur, elle reflète la fraîcheur de l’enthousiasme grâce à son illustration bucolique. 

💪J’ai lu ce texte dans le cadre d’une activité de lecture autour de Jean Giono à laquelle ont également participé Ingannmic, Le Bouquineur, Nathalie, KathelBéa ComèteMarilyne et Sacha

📌L'homme qui plantait des arbres. Jean Giono. Gallimard, 40 pages (Rééd. 1996)