Huit battements d'ailes. Laura Trompette

Huit battements d'ailes


Comment aborder des sujets aussi divers que l’homosexualité, le féminicide, la pédophilie, la prostitution ou la maltraitance animale en période de crise sanitaire et de confinement ? Voilà une mission qui semble bien ambitieuse ! Laura Trompette a décidé de relever ce défi dans un ouvrage intitulé Huit battements d'ailes

Ce roman choral donne la parole à huit femmes dont les destins vont se croiser ou se frôler sur une période de 24h. Elles vivent en France, en Espagne, en Inde, en Chine, aux Etats-Unis, en Italie, au Royaume-Uni ou en Allemagne. Elles sont célibataires, épouses ou mères. L’une est chanteuse, l’autre infirmière ou encore retraitée, orpheline, prisonnière... Leur point commun ? Elles SONT ou ONT ETE victimes de la violence des hommes. A la fin de cette journée du 24 avril 2020, certaines auront retrouvé l’espoir d’une aube nouvelle… mais pas toutes. 

La construction du roman est plutôt astucieuse. Le livre compte autant de chapitres que d’heures dans une journée. Les témoignages alternent avec les échanges de mails qui permettent de faire le lien entre les différentes protagonistes. En revanche, si j’adhère au propos de l’auteur, je dois reconnaître que je n’ai pas été convaincue par tous ses personnages. 

J’ignore si je suis excessivement cynique mais je trouve que certaines héroïnes sont peu trop parfaites pour être vraies. Je pense en particuliers à Hayley Davis, si belle, intelligente, généreuse et talentueuse que ça en devient horripilant. J’avoue que j’ai fini par saturer face une avalanche de bons sentiments généralisée et si spontanée. Magali, la conductrice de camion, hésite à peine quelques minutes avant de risquer son avenir professionnel pour une inconnue rencontrée quelques heures plus tôt. Même constat pour l’infirmière espagnole, Rafaela Ekele. Les femmes sont bien plus courageuses que les hommes dans ce roman. Il leur faut souvent insister que ceux-ci acceptent de s’investir un peu. Or, les quelques minutes d’hésitation que s’accordent les bons samaritains sont à l’origine d’un drame irréversible. 

De cette lecture qui m’a fait sortir de mes habitudes et de ma zone de confort, je retiendrai que Laura Trompette traite des sujets d’actualité nécessaires dans un roman fluide et facile à lire. 

📌Huit battements d'ailes. Laura Trompette. Charleston, 320 p. (2022)


Gueules d'ombre. Lionel Destremau

Gueules d'ombre. Lionel Destremau


Qui est Carlus Turnay ? Telle est l’énigme que doit résoudre Siriem Plant, ex agent de la police militaire mandaté par Ministère des Anciens Combattants. L’homme dont il doit découvrir la véritable identité est dans le coma. On sait qu’il s’est engagé dans l’armée sous un faux nom mais qu’il n’est pas tombé sur le champ d’honneur. Notre inconnu a été victime d’un accident de voiture. Comment est-il arrivé là? A-t-il déserté l’armée ? L’hypothèse parait absurde puisqu’il s’est engagé volontairement. Ses camarades de régiment le décrivaient comme un homme particulièrement énigmatique faisant preuve d’une bravoure presque suicidaire. La plupart des archives ayant été détruites, Siriem Plant va devoir interroger les rescapés, les veuves et les victimes collatérales de la guerre. Bref, un sale boulot qui remue de douloureux souvenirs et fait naître des suspicions.

L’univers de Lionel Destremau ne ressemble à aucun autre. Son roman est un pamphlet contre la guerre, toutes les guerres. De fait, il a choisi de placer son intrigue dans un pays fictif à une date indéterminée. Les lieux et les situations qu’il décrit ressemblent furieusement à la première guerre mondiale… à quelques détails près. Il est, par exemple, fait mention d’un ordinateur. On croit reconnaître un pays ou un lieu (La France ? L’Alsace et la Lorraine ? Le Kosovo ? ) et puis, finalement non. Même les noms des personnages ont des consonnances exotiques qu’il est impossible de replacer exactement. Bien sûr, l’auteur les a inventés. Tous ces éléments participent à donner un caractère universel à son propos. L’autre originalité de cette œuvre est de donner la parole uniquement à ceux qui sont dans l’incapacité de s’exprimer directement, soit parce qu’ils sont morts, soit parce que leurs blessures (physiques ou psychologiques) les en empêchent. Ainsi, les chapitres alternent-ils entre récit à la première personne du singulier (pour les défunts et les blessés) et à la troisième personne du singulier pour les autres (témoins, proches, etc). La force de Lionel Destremau tient aussi dans ses descriptions minutieuses qui créent une atmosphère très particulière.

Gueules d'ombre est le premier roman de Lionel Destremau. En lisant les remerciements, dans les premières pages du livre, on comprend qu’il a mis presque 10 ans à peaufiner la version initiale. C’est dire si le sujet devait lui tenir à cœur ! Il en résulte un roman « au cordeau » hyper-maîtrisé. Chaque idée et chaque mot semblent murement pensés, pesés, travaillés. C’est une très belle découverte.

📌Gueules d'ombre. Lionel Destremau. La manufacture de livres, 432 p. (2022)


Cœur du Sahel. Djaïli Amadou Amal

Cœur du Sahel. Djaïli Amadou Amal


Ne vous laissez pas influencer par le titre de ce livre qui résonne comme une bluette. De la romance, il y en a un peu, c’est vrai, mais sur fond de contestation sociale. Si j’ai bien compris, c’est d’ailleurs la marque de fabrique de Djaïli Amadou Amal. Cette militante féministe a déjà publié 4 romans dont Les Impatientes, lauréat du Prix concourt des lycéens 2020 et du Prix du Roman Métis des Lycéens 2021. 

Ce Cœur du sahel, dont nous parle Djaïli Amadou Amal, c’est aussi la réalité quotidienne des femmes dans l’extrême nord du Cameroun. A travers le destin de la jeune Faydé, la romancière dénonce la condition des domestiques employées dans les riches concessions (maisons des familles polygames) des Peuls musulmans. Ces jeunes femmes sont corvéables à merci, souvent maltraitées, rabaissées et insultées quotidiennement. Bien d’autres sujets sont abordés dans ce court roman comme le communautarisme, le poids des traditions, le patriarcat, la polygamie, le mariage forcé, le viol, etc. Comme vous pouvez le constater la bluette prend un peu l’eau ! 

Notre héroïne, Faydé (ce prénom signifie "Trouvaille" dans l’un des dialectes locaux) est originaire d’un village chrétien et animiste de montagne. Au début du roman, elle vit encore avec sa mère et sa fratrie. Son père a disparu depuis longtemps, sans doute victime d’une razzia des djihadistes de Boko Haram. La vie est d’autant plus difficile dans cette région du Cameroun que la sécheresse sévit de manière récurrente. Faydé a dû abandonner l’école, au grand désespoir de Kondem (sa maman) pour l’aider à cultiver le niébé et le mil. Influencé par ses amies citadines, l’adolescente souhaite partir travailler en ville, à Maroua, et s’engager comme domestique. Elle espère ainsi pouvoir aider financièrement sa famille. Malgré sa réticence, Kondem se résout à laisser partir son aînée, chaperonnée par des jeunes filles expérimentées. Parmi ses adolescentes, il y a Bintou, Danna et Srafata. Grâce à elles, Faydé trouve un emploi dans une « bonne maison ». Elle loge à l’extérieur, dans un appartement commun du quartier qu’elle partage avec ses amies. Après un nécessaire temps d’adaptation, la jeune Faydé trouve son rythme de travail et s’habitue à la routine du lieu. Après tout, les trois femmes d’Alhadji Bakary, son employeur, ne sont pas les pires du quartier. En respectant les règles essentielles édictées par ses comparses, l’adolescente doit pouvoir échapper aux principaux dangers de sa condition. La plupart du temps, il suffit de faire profil bas. 

Sans être autobiographique, ce roman s’inspire d’une réalité bien connue de Djaïli Amadou Amal. En effet, la romancière est née à Maroua, cette ville qui sert de toile de fond à Cœur du Sahel. Son premier roman Walaande, l'art de partager un mari, paru en 2010, a connu une renommée immédiate. Djaïli Amadou Amal a ensuite publié Mistiriijo, la mangeuse d'âmes (2013), puis Les impatientes (2017). Initialement paru sous le titre Munyal, les larmes de la patience, ce livre a été retravaillé avant d’être publié en France par Emmanuelle Collas.

📌Cœur du Sahel. Djaïli Amadou Amal. Éditions Emmanuelle Collas, 364 p. (2022)


Jolies Choses. Janelle Brown

Jolies Choses. Janelle Brown



En Californie, il n’y a pas que des palmiers et des longues plages de sable fin. Il y a aussi des zones de montagnes couvertes de sapins. Par exemple, autour du lac Tahoe, situé à la frontière du Nevada, on trouve de luxueuses stations de sports d’hiver qui n’ont rien à envier à celles d’Aspen au Colorado. C’est dans l’un de ses endroits que vit désormais Vanessa, héritière de la famille Liebling. La jeune femme est bien connue des cercles de l’élite étatsunienne mais aussi du grand public via son compte Instagram. Plus de 500 000 followers postent des commentaires dithyrambiques chaque fois qu’elle s’affiche sur les réseaux sociaux, partageant ses escapades dans des endroits de rêve, inaccessibles à la majorité de ses fans. Ils ignorent évidemment que tout n’est que poudre aux yeux. Les robes de créateurs cachent une réalité moins flamboyante. En effet, depuis plusieurs années, Vanessa et sa famille, accumulent les drames au point que la jeune héritière a décidé de se retirer dans son fief familial de Stonehaven au bord du lac Tahoe. Pour tromper l’ennui, elle loue le pavillon du gardien à des touristes de passage.

Aux antipodes de cette vie de luxe et d’oisiveté, il y a des personnes comme Nina Ross. Officiellement antiquaire de métier, la jeune femme est en réalité une monte-en-l'air expérimentée. Avec Lachlan, son complice d’origine irlandaise, elle monte de petites escroqueries pour soutirer quelques milliers de dollars aux milliardaires californiens. La plupart d’entre eux ne s’en rendent même pas compte ! Et lorsque c’est le cas, les victimes évitent de porter plainte pour ne pas attirer l’attention. Tous ces coups permettent à Nina de payer les factures de sa maison et celles des soins médicaux pour sa mère atteinte d’un cancer. Jusqu’au jour où… Nina apprend que Lily a rechuté. Seul un traitement expérimental prohibitif pourra la sauver. La jeune femme, qui a un passif avec la famille Liebling,  décide de faire une pierre deux coups. Ne serait-ce pas le bon moment pour se venger et mettre la main sur le pactole ? Ainsi débute un huis-clos qui réunit Vanessa, Nina et son complice au bord lac Tahoe. Les deux arnaqueurs ont réservé la chambre d’hôte de Stonehaven sous de fausses identités pour évaluer les richesses de la demeure de maîtres. Comme on s’en doute, les évènements ne prendront pas la tournure escomptée.

Le roman de Janelle Brown est habillé d’une couverture presque sobre : noire avec des motifs scintillants (qui ne se voient pas sur la photo). On constate par ailleurs que le texte sur le bandeau n’est pas vraiment humble. L’éditeur présente l’ouvrage comme « Le livre phénomène aux USA ». J’ai peut-être une imagination trop fertile mais l’expression m’évoque des foules en furie se ruant sur les rayons des librairies pour s’arracher le fameux livre ! Un peu excessif, n’est-ce pas ? Plus raisonnablement, je dirais que Jolies Choses est un roman d’excellente facture. Janelle Brown entraîne son lecteur dans une intrigue enlevée et pleine de rebondissements avec des personnages parfaitement crédibles (si ce n’est attachants). Ici, je tiens à préciser qu’il ne faut pas confondre la romancière avec son homonyme qui sévit justement sur Instagram, l’héroïne blonde de Sister Wives, une émission de téléréalité sur les polygames. Non, la Janelle Brown des Jolies Choses (Pretty Things en version originale) est journaliste, diplômée de l’UC Berkeley, et travaille pour des publications sérieuses comme pour le New York Times, Wired, Los Angeles Times etc. Par ailleurs, elle a publié 5 livres dont 3 figurant dans la liste des bestsellers du New-York Times :  I'll Be You (2022), Pretty Things (2020), Watch Me Disappear (2017), This Is Where We Live (2010) et All We Ever Wanted Was Everything (2008). 

📌Jolies Choses. Janelle Brown. Les Arènes, 624p. (2022)


Une datcha dans le Golfe. Emilio Sánchez Mediavilla

Une datcha dans le Golfe. Emilio Sánchez Mediavilla


Le titre de ce livre a de quoi interpeller ! C’est quoi cette histoire de datcha dans le Golfe ? L’auteur est pourtant d’origine espagnole ! Je vais donc tenter de vous éclairer sur ces trois points. 

La datcha en question est en réalité une maison dans un « compound » (lotissement) en périphérie urbaine. La villa (il y a une piscine) est située au Bahreïn, ce royaume insulaire du golfe persique, au large de l’Arabie Saoudite. Emilio Sánchez Mediavilla est journaliste. Il a vécu dans l’archipel, entre 2014 et 2016, avec sa compagne. Carla y avait été affectée par son entreprise de télécommunications. Le couple a habité dans le quartier d'Adliya à Manama puis s’est installé dans le petit village de Diraz au Nord de la capitale, loin des appartements modernes habituellement plébiscités par les expatriés. La recherche de ce logement a d’ailleurs inspiré plusieurs pages savoureuses à l’auteur. 

Le livre d’Emilio Sánchez Mediavilla, vous l’aurez compris, ne se présente pas du tout comme une chronique journalistique traditionnelle. Il se situe plutôt entre le récit de voyage et le témoignage bienveillant. Cela ne signifie pas pour autant que l’auteur n’aborde pas les questions qui fâchent. Bien au contraire ! Par exemple, il évoque longuement les manifestations sur la place de La Perle en février 2011 (inspirées par les mouvements du printemps arabe), les conflits entre Chiites et Sunnites, la condition des travailleurs asiatiques (esclaves économiques du Bahreïn), le statut des femmes, la corruption endémique, les travers de l’immuable famille royale, le bétonnage des côtes et la poldérisation du littoral, etc.  

Le journaliste espagnol ne crache pas non plus sur la soupe en permanence. Il signale qu’il y a de nombreux avantages à vivre dans ce petit royaume aride du Moyen-Orient. Sur bien des questions, les Bahreïniens s’avèrent plus tolérants que leurs voisins du Golfe. Par ailleurs, la vie des expatriés est assez agréable sur ce territoire insulaire. D’une part, ils sont rarement touchés par mouvements de violence récurrents. Ils ne les vivent que par l’intermédiaire de leurs écrans de télévision, protégés par les clôtures de leurs résidences privées. D’autre part, les Occidentaux se connaissent tous et organisent des fêtes aussi alcoolisées que dans leurs pays d’origine. Cela demande juste un peu plus de logistique que dans un territoire laïc et non musulman. A cela s’ajoute les séances de piscine, les parties de tennis au club et les exercices sportifs sur la plage (l’une des rares occasions de rencontrés des autochtones non fortunés). 

Emilio Sánchez Mediavilla reste conscient de son statut privilégié et n’hésite pas à se moquer de lui-même. Enfin, si le ton est souvent badin, il ne faut pas oublier que le journaliste s’est fermé les portes du royaume en publiant ce livre. Il lui a néanmoins valu une petite compensation puisqu’Une datcha dans le Golfe a été récompensé par le Prix Nicolas Bouvier du festival Etonnants voyageurs en 2022.

📌Une datcha dans le Golfe. Emilio Sánchez Mediavilla. Métailié, 160p. (2022)


Les poupées. Alexis Laipsker

Les poupées. Alexis Laipsker


Cette histoire débute dans d’étranges circonstances puisque c’est un hasard qui conduit la police sur la piste d’un tueur en série. En effet, lors de l’arrestation de deux malfrats d’origine arménienne, le brigadier Fabre et son équipier font une macabre découverte. Six corps martyrisés exposés dans une ancienne chapelle au milieu de nul part. Ces meurtres n’ont clairement aucun rapport avec leur affaire de gang en cours. Le modus operandi suggère plutôt l’intervention d’un dangereux psychopathe. Le procureur décide donc de confier l’enquête à son plus brillant élément avec des moyens quasi-illimités. L’heureux élu est le commissaire Victor Venturi dit le Cow-boy, un flic à l’ancienne, un peu bourru et toujours pressé. Venturi réclame l’assistance du meilleur spécialiste en criminologie de la région et voit ainsi débarquer sur sa scène de crime la jeune mais néanmoins expérimentée Olivia Montalvert. "Menthe à l'eau", ainsi qu’on la surnomme, forme avec le Cow-boy, le duo le plus improbable de la Criminelle mais peut-être aussi le plus efficace. Leur quête de la vérité, très éprouvante physiquement et mentalement, va les conduire du sud de la France à Paris. Parallèlement à cette affaire, le Cow-boy, qui est sous le coup d’une enquête de l’IGPN, devra rendre des comptes au sujet de la mort d’un suspect.

Alexis Laipsker est l’auteur de deux autres thrillers intitulés respectivement Et avec votre esprit (2020) et Le mangeur d'âmes (2021) parus chez Michel Lafont. Il est clair qu’il connait bien les ressorts du polar et mène son intrigue tambour battant. Pour ma part, je suis bon public et je me laisse volontiers chahuter par les rebondissements à répétition, même lorsque les raccords sont un peu tirés par les cheveux. Grâce aux indices semés par l’auteur, j’ai deviné relativement vite une partie de l’intrique. Je n’ai pas boudé mon plaisir pour autant puisqu’il restait de nombreuses zones d’ombre à éclaircir. Pour conclure, je dirai que le roman d’Alexis Laipsker a tous les ingrédients pour convaincre la plupart des amateurs de thrillers.

📌Les poupées. Alexis Laipsker. Michel Lafont, 397p., (2022)


L’incendie. Jennifer Lynn Alvarez

L’incendie. Jennifer Lynn Alvarez


Pour éviter les mauvais jeux de mots autour du feu, je dirai qu’il faut parfois un tout petit geste irresponsable, une simple minute d’inattention pour créer l’irréparable. C’est ainsi qu’on déclenche un feu incontrôlable, ravageant des centaines d’hectares de forêts et détruisant tout son passage (y compris des biens matériels et des vies innocentes). Que feriez-vous si vous étiez de jeunes adultes prêts à croquer la vie à pleines dents et responsables d’un tel cauchemar ? Iriez-vous vous dénoncer aux autorités compétentes ? Pourriez-vous supporter le poids de la culpabilité et continuer de vivre comme avant ? 

L’incendie est le premier polar de la romancière américaine Jennifer Lynn Alvarez. Le livre s’adresse d’abord aux adolescents mais les adultes amateurs de thrillers, ne s’y ennuieront pas. Le sujet de ce roman s’inspire d’un fait divers réel. En 2017, en effet, le comté de résidence de l’autrice été ravagé par l’un des incendies les plus destructeurs qu’ait connu la Californie. En revanche, le lieu de l’intrigue, Gap Mountain, est une bourgade fictive. Jennifer Lynn Alvarez a choisi de la situer près du parc national de Yosemite. C’est dans ce haut lieu touristique que vivent et se retrouvent les cinq protagonistes principaux, un groupe de lycéens qui se connaissent depuis l’enfance. Ils se sont rencontrés lors d’un stage de théâtre à l’origine de leur sobriquet collectif : les monstres. 

Lucas O’Malley (Luke) et Nathaniel Drummer, s’apprêtent à entrer dans la vie active tandis que les trois filles iront à l’Université. Hannah Warner, la narratrice fera des études de criminologie à San Diego pour suivre les traces de son shérif de père. Maureen Russo, que tout le monde surnomme Mo, souhaite devenir infirmière. Violet Sandoval, la riche héritière originaire de Santa-Barbara, est acceptée dans la prestigieuse université de Sandford. Evidemment, le petit groupe d’ados ignorent à ce stade que leurs dernières vacances vont virer au cauchemar, au point même de changer le cours de leurs destins si bien tracés. Leur amitié résistera-t-elle au terrible l’incendie qu’ils vont accidentellement déclencher près du fameux lac Gap ? La question cruciale étant de savoir s’il faut se dénoncer à la police sachant qu’aux Etats-Unis, un incendie, même involontaire, est considéré comme un crime. 

Il faut reconnaître que le roman de Jennifer Lynn Alvarez contient tous les ingrédients d’un "page turner" à l’américaine. En effet, la romancière déroule son intrigue sans écueil notoire mais sans originalité démesurée non plus. Bref, le lecteur obtient exactement ce qu’il espérait de ce type d’ouvrage : un roman haletant et agréable à lire. 

📌L’incendie. Jennifer Lynn Alvarez. Albin Michel Jeunesse, 504 p. (2022)


Le piéton du 36. Anne-Marie Mitchell

Le piéton du 36


Avec ce roman, je découvre à la fois Anne-Marie Mitchell et les éditions Lucien Souny. Concernant la première, il est bon de savoir qu’elle est journaliste littéraire et romancière. Le piéton du 36 est son quinzième livre. Lucien Souny a également publié son polar historique intitulé Les Chats de la rue Saint-Séverin (240p., 2016). La maison d’édition limousine s’est construite, sans s’enfermer dans le livre régional, sur trois genres qui ont fait sa réputation : la littérature, l’histoire et le patrimoine. Le catalogue de sa collection Plumes noires propose des romans noirs comme des thrillers. Je ne suis pas spécialiste du roman policier mais il me semble que Le piéton du 36 d’Anne-Marie Mitchell n’appartient ni à l’une ni à l’autre catégorie. Peut-on le ranger dans le whodunit (roman de détection ou d’énigme) ? Pour tout dire, la résolution de l’intrigue m’a semblé secondaire. En revanche, il s’agit à n’en pas douter d’un roman d’atmosphère à la manière des Maigret de George Simenon auquel l’auteur rend hommage. 

L’enquête se déroule sur quelques mois, entre le 4 septembre 2019 (année du 30ème anniversaire de la disparition de Simenon) au 18 mars 2020 (en pleine période de crise sanitaire). Parmi les personnages principaux, il y a le commissaire Noé Jaurèle, quinquagénaire épicurien d’origine toulousaine, heureux propriétaire d’un chartreux nommé Dolce et grand amateur de l’œuvre de Simenon. Signalons ici accessoirement qu’il est à la fois victime de technophobie et, plus sérieusement, d’amaxophobie (peur de conduire). C’est d’ailleurs cette particularité, couplée à sa fonction au sein de la Brigade criminelle, qui lui a value ce fameux surnom de « piéton du 36 » (le 36, rue du Bastion est le nouveau siège de la Direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris qui était autrefois situé au 36, quai des Orfèvres). Le commissaire Noé Jaurèle, est épaulé dans ses enquêtes par trois agents. Le premier est Edwin Joubert, légiste alter ego de de Ducky Mallard dans la série américaine NCIS.  Les deux autres sont Guillem Canivet, photographe judiciaire alcoolique et le lieutenant Léo Paulin, spécialiste en informatique. Tous doivent supporter à la fois l’érudition intempestive et la gouaille de leur patron.  

Le 4 septembre au matin, l’aiguilleur de service au poste signale la découverte d’un cadavre dans la rue Jean Macé. Il s’agit de Louise Morainville, septuagénaire célibataire. Un peu plus tard, c’est un certain Tibère Muron, indic bien connu des services de police, qui est retrouvé mort à son domicile. L’affaire commence à s’emballer lorsqu’une troisième victime vient compléter le tableau. Il s’agit d’Alicia Meunier, infographiste aux éditions Zygène. Quel est le lien entre ces victimes ? Georges Simenon, le père du commissaire Maigret ! Sachez, en effet, tous les indices convergent vers le maître du roman policier belge… et qu’il y en a même un glissé dans cette recension.

Anne-Marie Mitchell signe un polar original qui défit toutes les règles du genre. Ses personnages sont bien campés mais parfois trop similaires dans leur inclination aux longues causeries et autres diatribes érudites. Bref, le commissaire et de ses acolytes sont un peu trop bavards pour moi. Pour le reste, il faut reconnaître qu’Anne-Marie Mitchell sait bien manipuler et surprendre son lecteur. Je recommande donc vivement ce roman à ceux qui aiment être bousculés dans leurs habitudes littéraires. 

📌Le piéton du 36.  Anne-Marie Mitchell. Editions Lucien Souny, 144p. (2022)


Comme hier. Cai Jun

Comme hier. Cai Jun


Ce roman se déroule en plusieurs actes dont les espace-temps sont différents. Le 14 août 2017 à 6 heures du matin, l’inspecteur Ye Xiao arrive sur les lieux d’un drame qui a coûté la vie à trois personnes. Jiao Keming, professeur d’informatique au Lycée Nanming, son épouse et son fils handicapé sont morts dans un incendie. Les premiers indices montrent qu’il s’agit en fait d’un triple meurtre. Le seul témoin du carnage est Sishen, le chien de la famille. Il a survécu à ses blessures et pourrait sans doute reconnaître l’agresseur. Les policiers disposent également d’images très floues du meurtrier présumé provenant d’une caméra de surveillance située dans le hall d’entrée principal de l’immeuble des victimes. 

Les premières investigations tendent à montrer que le crime serait lié à l’activité de Jiao Keming. En effet, l’enseignant n’était pas un simple informaticien. Il aurait créé une application de réalité virtuelle appelé « Comme Hier » qui permettrait aux utilisateurs de sonder leur mémoire et de révéler les souvenirs enfouis dans l’inconscient. A ce stade, entre en scène Sheng Xia, une ancienne élève du lycée de la rue Nanming ayant abandonné ses études après que les médecins lui aient diagnostiqué un cancer du cerveau. La jeune fille de 18 ans encodait des jeux pour la fameuse application Comme hier. Elle pense pouvoir utiliser cette technologie pour résoudre l’enquête. C’est ainsi qu’elle entre virtuellement en contact avec une autre lycéenne, surnommée la Démone, et qui aurait disparu 18 ans plus tôt, jour pour jour. Enfin, un dernier élément troublant vient se greffer à l’enquête. Il s’agit du viol et de l’assassinat d’une adolescente, survenu le 13 août 2012 ! Tous ces meurtres dans un périmètre aussi restreint et aux mêmes dates anniversaires ne peuvent être des coïncidences. 

Le livre de Cai Jun s’affranchit des frontières littéraires et échappe à toute tentative de classement. S’agit-il d’un techno-thriller, d’un roman fantastique ou de science-fiction ? Certaines scènes de Comme hier sont très visuelles et l’auteur semble même emprunter les codes du manga ou plutôt du mahnua (pour la BD chinoise). Son héroïne, la jeune Sheng Xia, marginale adeptes des cheveux rouges et de la boxe thaïe, ne dénoterait pas dans un film d’action façon Matrix de Lana et Lilly Wachowski ou dans un anime de combats. Sous certains aspects, la demoiselle au look cyberpunk me fait aussi penser à Lisbeth Salander, l’héroïne rebelle et écorchée vive de Millénium, la trilogie de de Stieg Larsson. 

La ville où se situe l’action n’est jamais mentionnée clairement mais nous disposons d’un indice. En effet, au début du roman, l’écrivain évoque une « ville de 20 millions d’âmes ». Or, il n’y a que les agglomérations de Shanghai et Pékin qui répondent à ce critère (selon les chiffres de 2020 du Bureau d'État des Statistiques République Populaire de Chine). Sachant que Cai Jun est né à Shanghai et que la plupart de ses romans s’y déroulent, je vous laisse tirer vos propres conclusions. Dans une interview publiée sur le site de son éditeur, le romancier chinois explique que son roman a été précédé d’une nouvelle sur le même thème.  Il s’agit de La Nuit comme hier publiée en 2015 dans Science-Fiction World. "La machine" permettant de raviver les souvenirs et de faire renaître les êtres chers y apparait déjà. Elle tient son nom "Comme hier" des quatre caractères chinois 宛如昨日(wan ru zuo ri).

Si je suis honnête, je dois relever quelques bémols qui ont parfois gênés ma lecture.  J’ai trouvé, par exemple, quelques longueurs à l’ouvrage. Non, c’est plus compliqué que ça ! Tantôt, j’ai eu l’impression de tourner un peu en rond à cause des redites ; tantôt, il m’a semblé que les scènes se terminaient trop brusquement où que la narration manquait de profondeur (dans la description des décors, par exemple). Du coup, je me suis surprise à relire des passages pour m’assurer que je n’avais pas raté un élément. Je me suis même demandée si le livre avait été précédemment publié en feuilleton ce qui aurait expliqué ces quelques écueils. Mis à part ces détails, le roman de Cai Jun reste un polar de bonne facture, avec une intrigue originale et de nombreuses références culturelles (littérature, histoire, cinéma, etc). Il aborde beaucoup de questions telles que la fracture sociale, l’écologie, les neurosciences ou la condition animale. Surtout, j’ai adoré la fin alternative proposée par l’auteur qui s’est, avoue-t-il, trop attaché à son personnage principal.  Il faut dire que le romancier chinois ne manque pas d’humour. 

Cai Jun se revendique francophile et il est vrai que son roman est émaillé de nombreuses références à la littérature hexagonale. Les Misérables de Victor Hugo, par exemple, devient un outil de décodage de l’application Comme hier. Pour autant, cette particularité ne nuit pas au dépaysement que procure l’immersion du lecteur dans la culture de l’auteur. On apprend par exemple, qu’en Chine, Weibo remplace Twitter. Cai Jun évoque aussi les contes populaires du Pays du milieu et les grandes œuvres classiques de la période des Royaumes combattants. Surnommé le "Stephen King chinois", Cai Jun est l’auteur de plusieurs romans dont deux seulement ont été traduits à ce jour en français en comptant Comme hier. Le second, intitulé La Rivière de l’Oubli (Pocket, 2019), traite également de la mémoire. 

Extrait :

« Nostradamus avait prédit la fin du monde pour l’été 1999. Comme chacun peut le constater, la terre continue de tourner et le bug du millénaire n’a pas causé trop de ravages. Le 11‑Septembre a tout changé ; Saddam a été exécuté par ses compatriotes. En 2006, Liu Xiang 1 a réalisé des miracles et en juillet 2011, Yao Ming 2 a quitté la NBA. L’année du tremblement de terre du Sichuan, Zhang Yimou a conçu le spectacle de la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques au Nid d’Oiseau ; les crises monétaires internationales se sont succédé. Le Printemps arabe a éclaté. La fin du monde en 2012 annoncée par les Mayas ne s’est pas produite. Le grand « tsar » Poutine a annexé la Crimée ; l’État islamique a déclenché l’afflux des réfugiés en Europe.  Leonardo DiCaprio a obtenu un oscar ; le prix Nobel de littérature a été attribué à Bob Dylan ; les frères Wachowski – que Ye Xiao adore – se sont d’abord transformés en frère et sœur, pour finalement devenir sœurs. »

📌Comme hier. Cai Jun. XO éditions, 400p. (2022)