Comme hier. Cai Jun

Comme hier de Cai Jun (Photo by Henry Chen on Unsplash)

Ce roman se déroule en plusieurs actes dont les espace-temps sont différents. Le 14 août 2017 à 6 heures du matin, l’inspecteur Ye Xiao arrive sur les lieux d’un drame qui a coûté la vie à trois personnes. Jiao Keming, professeur d’informatique au Lycée Nanming, son épouse et son fils handicapé sont morts dans un incendie. Les premiers indices montrent qu’il s’agit en fait d’un triple meurtre. Le seul témoin du carnage est Sishen, le chien de la famille. Il a survécu à ses blessures et pourrait sans doute reconnaître l’agresseur. Les policiers disposent également d’images très floues du meurtrier présumé provenant d’une caméra de surveillance située dans le hall d’entrée principal de l’immeuble des victimes. 

Les premières investigations tendent à montrer que le crime serait lié à l’activité de Jiao Keming. En effet, l’enseignant n’était pas un simple informaticien. Il aurait créé une application de réalité virtuelle appelé « Comme Hier » qui permettrait aux utilisateurs de sonder leur mémoire et de révéler les souvenirs enfouis dans l’inconscient. A ce stade, entre en scène Sheng Xia, une ancienne élève du lycée de la rue Nanming ayant abandonné ses études après que les médecins lui aient diagnostiqué un cancer du cerveau. La jeune fille de 18 ans encodait des jeux pour la fameuse application Comme hier. Elle pense pouvoir utiliser cette technologie pour résoudre l’enquête. C’est ainsi qu’elle entre virtuellement en contact avec une autre lycéenne, surnommée la Démone, et qui aurait disparu 18 ans plus tôt, jour pour jour. Enfin, un dernier élément troublant vient se greffer à l’enquête. Il s’agit du viol et de l’assassinat d’une adolescente, survenu le 13 août 2012 ! Tous ces meurtres dans un périmètre aussi restreint et aux mêmes dates anniversaires ne peuvent être des coïncidences. 

Le livre de Cai Jun s’affranchit des frontières littéraires et échappe à toute tentative de classement. S’agit-il d’un techno-thriller, d’un roman fantastique ou de science-fiction ? Certaines scènes de Comme hier sont très visuelles et l’auteur semble même emprunter les codes du manga ou plutôt du mahnua (pour la BD chinoise). Son héroïne, la jeune Sheng Xia, marginale adeptes des cheveux rouges et de la boxe thaïe, ne dénoterait pas dans un film d’action façon Matrix de Lana et Lilly Wachowski ou dans un anime de combats. Sous certains aspects, la demoiselle au look cyberpunk me fait aussi penser à Lisbeth Salander, l’héroïne rebelle et écorchée vive de Millénium, la trilogie de de Stieg Larsson. 

La ville où se situe l’action n’est jamais mentionnée clairement mais nous disposons d’un indice. En effet, au début du roman, l’écrivain évoque une « ville de 20 millions d’âmes ». Or, il n’y a que les agglomérations de Shanghai et Pékin qui répondent à ce critère (selon les chiffres de 2020 du Bureau d'État des Statistiques République Populaire de Chine). Sachant que Cai Jun est né à Shanghai et que la plupart de ses romans s’y déroulent, je vous laisse tirer vos propres conclusions. Dans une interview publiée sur le site de son éditeur, le romancier chinois explique que son roman a été précédé d’une nouvelle sur le même thème.  Il s’agit de La Nuit comme hier publiée en 2015 dans Science-Fiction World. "La machine" permettant de raviver les souvenirs et de faire renaître les êtres chers y apparait déjà. Elle tient son nom "Comme hier" des quatre caractères chinois 宛如昨日(wan ru zuo ri).

Si je suis honnête, je dois relever quelques bémols qui ont parfois gênés ma lecture.  J’ai trouvé, par exemple, quelques longueurs à l’ouvrage. Non, c’est plus compliqué que ça ! Tantôt, j’ai eu l’impression de tourner un peu en rond à cause des redites ; tantôt, il m’a semblé que les scènes se terminaient trop brusquement où que la narration manquait de profondeur (dans la description des décors, par exemple). Du coup, je me suis surprise à relire des passages pour m’assurer que je n’avais pas raté un élément. Je me suis même demandée si le livre avait été précédemment publié en feuilleton ce qui aurait expliqué ces quelques écueils. Mis à part ces détails, le roman de Cai Jun reste un polar de bonne facture, avec une intrigue originale et de nombreuses références culturelles (littérature, histoire, cinéma, etc). Il aborde beaucoup de questions telles que la fracture sociale, l’écologie, les neurosciences ou la condition animale. Surtout, j’ai adoré la fin alternative proposée par l’auteur qui s’est, avoue-t-il, trop attaché à son personnage principal.  Il faut dire que le romancier chinois ne manque pas d’humour. 

Cai Jun se revendique francophile et il est vrai que son roman est émaillé de nombreuses références à la littérature hexagonale. Les Misérables de Victor Hugo, par exemple, devient un outil de décodage de l’application Comme hier. Pour autant, cette particularité ne nuit pas au dépaysement que procure l’immersion du lecteur dans la culture de l’auteur. On apprend par exemple, qu’en Chine, Weibo remplace Twitter. Cai Jun évoque aussi les contes populaires du Pays du milieu et les grandes œuvres classiques de la période des Royaumes combattants. Surnommé le "Stephen King chinois", Cai Jun est l’auteur de plusieurs romans dont deux seulement ont été traduits à ce jour en français en comptant Comme hier. Le second, intitulé La Rivière de l’Oubli (Pocket, 2019), traite également de la mémoire. 

Extrait :

« Nostradamus avait prédit la fin du monde pour l’été 1999. Comme chacun peut le constater, la terre continue de tourner et le bug du millénaire n’a pas causé trop de ravages. Le 11‑Septembre a tout changé ; Saddam a été exécuté par ses compatriotes. En 2006, Liu Xiang 1 a réalisé des miracles et en juillet 2011, Yao Ming 2 a quitté la NBA. L’année du tremblement de terre du Sichuan, Zhang Yimou a conçu le spectacle de la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques au Nid d’Oiseau ; les crises monétaires internationales se sont succédé. Le Printemps arabe a éclaté. La fin du monde en 2012 annoncée par les Mayas ne s’est pas produite. Le grand « tsar » Poutine a annexé la Crimée ; l’État islamique a déclenché l’afflux des réfugiés en Europe.  Leonardo DiCaprio a obtenu un oscar ; le prix Nobel de littérature a été attribué à Bob Dylan ; les frères Wachowski – que Ye Xiao adore – se sont d’abord transformés en frère et sœur, pour finalement devenir sœurs. »

Comme hier. Cai Jun. XO éditions, 400p. (2022)


Commentaires

  1. Bonjour,
    Me voilà donc par ici suite au commentaire laissé sur mon blog, et fort intéressée : je ne connaissais pas ces lieux, et la ballade y est des plus instructives !
    Je reviendrai souvent ...

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  2. Bienvenue. Ravie d'échanger de nouveau avec toi. C'est le but du blog !

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