La vengeance est un plat qui se mange froid. Margot et Jean Le Moal

Bretzel & beurre salé, tome 6 : La vengeance est un plat qui se mange froid. Margot et Jean Le Moal.

En consultant le catalogue en ligne de ma bibliothèque de quartier, j’ai remarqué que le Cosy Crime  était très sollicité par les lecteurs. A part quelques titres que j’ai pu lire au hasard de mes emprunts, ce n’est pas un genre qui m’est très familier. Aussi, j’étais curieuse de découvrir pourquoi ce type de romans policiers a tant de succès. J’ai débuté mon enquête avec un ouvrage de Sylvie Baron. Je poursuis aujourd’hui mes investigations avec la série Bretzel & beurre salé de Margot et Jean Le Moal. Je n’ai pas respecté la chronologie des parutions et j’ai commencé directement par le dernier titre sorti en librairie. Il s’agit du 6ème tome, intitulé La vengeance est un plat qui se mange froid

L’héroïne de la série est Cathie Wald, une pimpante quinquagénaire qui a quitté sa région natale pour ouvrir un restaurant alsacien dans une petite bourgade du Finistère. Désormais bien installée à Locmaria, elle a refait sa vie avec le journaliste Yann Lemeur, correspondant du journal Ouest-France

Ce sixième épisode débute au mois d’avril par une réunion mouvementée du conseil municipal. Les prochaines élections sont prévues pour le dimanche 19 mai et Manach Anton, le maire sortant, vient d’annoncer qu’il ne se représenterait pas. C’est une certaine Marine Le Duhévat qui a accepté de s’y coller et qui présentera le projet Racines. Face à son équipe, il y a la liste Cap2030, menée par l’arrogant Georges Lagadec. Son programme très ambitieux prévoit la construction d’un centre commercial (qui risque d’asphyxier les petits commerçants du centre-ville) et un parc de loisir (qui coûtera une fortune aux contribuables). L’ambiance dans notre village breton est d’autant plus délétère que des actes de vandalisme ont été rapportés à la gendarmerie. Hasard ou pas, les cibles sont toutes sur la liste Cap2030.  Chaque camp politique se réuni dans son QG : le café du Timonier oriental pour les uns (un peu bobo) et le bistrot de La Frégate, pour les autres. 

Comme si cela ne créait pas assez d’agitation, une nouvelle incroyable vient de tomber. Un film sera bientôt tourné sur le site de Locmaria et deux grandes stars vont débarquer au village. Leurs noms ne resteront pas secrets longtemps. On apprend ensuite qu’un second rôle s’est désisté à la dernière minute et qu’une comédienne sera recrutée localement. Trois locmariaistes sont retenues pour le casting final. Qui l’emportera ? Les spéculations vont bon train et révèlent quelques vieilles rancunes. Les villageois se retrouvent à l’épicerie de L’Aven, chez Natacha Prigent, où ils ont l’habitude d’échanger les derniers ragots. 

Le lecteur sait dès le début qu’un crime a été commis mais ignore qui est la victime. Les circonstances de cet assassinat sont dévoilées au fil des pages et, le moins qu’on puisse dire c’est que les auteurs prennent leur temps. Ceci permet au lecteur de se couler dans l’ambiance du lieu et de faire connaissance avec les nombreux protagonistes.  Margot et Jean Le Moal ont en effet recréer tout un univers avec ses figures locales, ses notables et ses commerçants. Cela fait beaucoup de monde mais les auteurs ont eu l’obligeance de faire une liste présentée au début du livre. 

L’intervention de Cathy Wald dans l’enquête arrive très tardivement (aux alentours de la page 250) mais le lecteur a eu l’occasion de la rencontrer avant, dans son restaurant Bretzel & beurre salé, situé sur le domaine de Kerbrat dont elle est propriétaire. J’imagine que dans les précédents épisodes de la série, elle s’immisçait plus spontanément et plus précocement dans les affaires de la police. Le charme de ce sixième volet tient donc davantage à ses personnages récurrents et à son atmosphère. C’est un roman d’ambiance, pas toujours très subtil, mais distrayant et facile à lire. Il n’est pas impossible que j’emprunte un autre tome de la série :

  1. Une enquête à Locmaria
  2. Une pilule difficile à avaler
  3. L'Habit ne fait pas le moine
  4. Loin des yeux, loin du cœur
  5. Bien mal acquis ne profite jamais
  6. La vengeance est un plat qui se mange froid

Margot et Jean Le Moal écrivent sous divers pseudonyme. Ils ont écrit, toujours à quatre mains, une autre série policière mais dans un genre très différent. Il s’agit des thriller publié sous le nom de Jacques Vandroux. Les auteurs seront présents au salon Livr'à Vannes du vendredi 13 au dimanche 15 juin 2025. 

📚D’autres avis que le mien via Babelio

📌Bretzel & beurre salé, tome 6 : La vengeance est un plat qui se mange froid. Margot et Jean Le Moal. Calmann-Levy, 448 pages (2025)


Le Crime du SS Orient. C. A. Larmer

Le Crime du SS Orient. C. A. Larmer


💪Pour la seconde édition du Book Trip en mer, organisé par Fanja, j’ai décidé d’embarquer pour une croisière en mer de Tasman, au large de la Nouvelle-Zélande (dans la vraie vie, je détesterais ce genre de séjour sur un paquebot de luxe en pleine mer). C’était aussi l’occasion de retrouver les amis australiens du Club des amateurs de romans policiers. 

Nos héros sont un groupe de six lecteurs assidus d’Agatha Christie. La fondatrice du club s’appelle Alicia Finlay. Elle est accompagnée de sa sœur cadette Lynette, dont elle partage la cabine sur le SS Orient. Il y a aussi Missy la bibliothécaire, Claire l'amatrice de vêtements Vintage, Perry l’extraverti qui squatte le bar du navire, et Anders le fiancé débordé d’Alicia. Ce dernier, toxicologue et spécialiste des poisons, a été sollicité à la dernière minute pour remplacer le médecin de bord du SS Orient. Il s’agit d’une réplique moderne du bateau original à vapeur qui, entre 1879 et 1909, reliait Londres et Sydney, via Le Cap et le canal de Suez. Anders a convaincu ses amis de le rejoindre dans cette aventure mais en temps que passagers. L’occasion était trop belle pour nos fans d’Agatha Christie ! Pensez, entreprendre un voyage qui rappelle à la fois Le Crime de l’Orient Express et  Mort sur le Nil !  Leurs finances étant en berne, ils se contenteront du tronçon Sydney-Auckland en 4 jours au lieu du circuit de 50 jours. Comme vous vous en doutez, la traversée sera plus mouvementée que prévue. 

On sait, grâce à (ou à cause de) la 4ème de couverture, qu’au moins trois crimes vont perturber le séjour de nos croisiéristes. Perry est d’ailleurs le témoin auditif de la chute d’une passagère par-dessus bord. Nos héros ne peuvent évidemment pas rester bras croisés dans cette tourmente. Forts de leur précédente expérience (petit clin d’œil au premier tome de la série), nos amateurs de romans policiers décident de mener leur enquête. Anders n’est pas ravi de cette initiative mais tant pis pour lui !

J’avais hâte de retrouver les protagonistes du Murder Mystery Book Club (Ils étaient sept). Malheureusement, et c’est l’un des rares bémols de ce second volet, Alicia prend toute la place dans cette intrigue au détriment de ses compagnons de voyage. Il y a, par ailleurs, plusieurs personnages secondaires qui leur volent la vedette.  Je pense d’ailleurs que l’un d’entre eux pourraient bien ré- apparaître dans un prochain épisode de la série. Missy et Claire sont les plus évanescentes. Anders fait de rares et rapides apparitions, de même que Perry. 

L’intrigue de ce roman est emberlificotée jusqu’à la limite du crédible mais cela fait partie des règles du jeu du Cosy Mystery. Le Crime du SS Orient respecte parfaitement les codes du genre, avec des détectives amateurs sympathiques, des crimes "propres" (garanti presque sans hémoglobine)  et peu de questionnements existentiels intempestifs. Pour ma part, j’ai beaucoup apprécié ce huis clos maritime à la manière d’Agatha Christie. Il y a de nombreuses références à l’œuvre de la "Reine du crime" mais aussi à d’autres classiques de la littérature policière, comme L’inconnu du Nord-Express de Patricia Highsmith.  

Bref, on passe un agréable moment de lecture et j’ai hâte de retrouver les membres du Club des amateurs de romans policiers dans leurs prochaines aventures. Il y a déjà 7 tomes parus en version originale : 

  1. Tome 1: The Murder Mystery Book Club / Ils étaient sept 
  2. Tome 2: Danger on the SS Orient / Le Crime du SS Orient 
  3. Tome 3: Death Under the Stars / Meurtre sous les étoiles
  4. Tome 4: When There Were 9 / Et ils ne furent plus que neuf
  5. Tome 5: The Widow on the Honeymoon Cruise / Madame Wynter est morte
  6. Tome 6: Gone Guest
  7. Tome 7: Peril on the Indian Pacific

📚D'autres avis que le mien chez Eva, Amandine, Anne-Sophie et Serge

📌Le Crime du SS Orient. Le Club des amateurs de romans policiers, tome 2. C. A. Larmer, traduite par Tania Capron. Pocket, 336 pages (2024)

Book Trip en mer V2


Une ardente patience. Antonio Skármeta

Une ardente patience. Antonio Skármeta

L’intrigue débute en 1969 dans une petite bourgade chilienne au bord du Pacifique et se termine en 1973 au même endroit. Durant ce cours intervalle, Salvador Allende est élu à la présidence, Pablo Neruda reçoit le prix Nobel de littérature, Augusto Pinochet fait son coup d’état et le poète s’éteint. En dépit de ces évènements historiques tumultueux, le jeune Mario Jimenez se la coule douce dans son village éloigné de tout. Mais son père, lassé de sa fainéantise, lui pose un ultimatum. Le jeune homme dégote alors le boulot idéal : Il sera le facteur de l’île Noire. Il s’agit de la propriété où Pablo Neruda se retire avec son épouse Matilde Urrutia. Le travail n’est donc pas trop dur pour Mario même si le poète reçoit chaque jour un nombre impressionnant de courriers. Le facteur, admirateur du grand homme, n’aura de cesse de s’en rapprocher pour devenir son familier. Il espère devenir écrivain à son tour. En réalité, il veut surtout séduire, à coups de métaphores poético-érotiques, la belle Beatriz Gonzalez, la serveuse de l’unique auberge du coin.

«- Cela fait plusieurs mois qu’un dénommé Mario Jimenez rôde autour de mon auberge. Ce monsieur s’est permis des insolences à l’égard de ma fille qui a à peine dix-sept ans. 
- Que lui a-t-il dit ?
La veuve cracha entre ses dents :
- Des métaphores. 
Le poète avala sa salive.
- Et alors ?
- Et alors, don Pablo, avec ses métaphores, il a rendu ma fille plus chaude qu’un radiateur. » 

Cet opus tire son titre d’une phrase d’Arthur Rimbaud, citée par Pablo Neruda dans son discours à l’Académie Nobel.  Aussi bref soit-il, ce livre est de bourré de poésie, d’humour et de tendresse. Ce vernis de légèreté n’exclut pas pour autant le contexte social et politique qui constitue en quelque sorte un second étage narratif. La fin, on la connait, on s’y attend, mais elle n’en reste pas moins poignante. 


Une ardente patience VS Le facteur


Une ardente patience a d’abord été une pièce radiophonique puis un scénario de film, avant de devenir le roman que nous connaissons et d’inspirer d’autres longs métrages. Vous avez peut-être vu la version de 1994, Le facteur (Il Postino en italien) du réalisateur anglais Michael Radford avec Philippe Noiret, Massimo Troisi et Maria Grazia Cucinotta, dans les rôles respectifs de Mario, Neruda et Beatriz. Ce film qui transpose l’histoire dans les années 50, sur l’île de Salina en Italie, a été récompensé par une vingtaine de prix internationaux. 

Avez-vous également entendu parler de la version originale, celle d’Antonio Skármeta lui-même ? Ardiente Paciencia est né durant l’exil de l’auteur à Berlin-Ouest, où il a enseigné à l'Académie allemande du film et de la télévision (Il a également été ambassadeur du Chili à Berlin, de 2000 à 2003). Le film a néanmoins été tourné au Portugal, avec Oscar Castro dans le rôle de Mario, Roberto Parada dans celui de Neruda et Marcela Osorio dans celui de Beatriz. il obtient le Grand Prix du Festival de Biarritz en 1983. Le roman, adapté du scénario, est publié sous le même titre en 1985 et traduit en français par François Maspero en 1987.

Il existe une troisième version du film, réalisée en 2022 par Rodrigo Sepúlveda (qui a également adapté Je tremble ô matador, le roman de Pedro Lemebel dont nous parlerons bientôt) avec Andrew Bargsted, Vivianne Dietz et Claudio Arredondo dans les rôles principaux.  Cette nouvelle adaptation, qui est aussi le premier film chilien produit par Netflix, a le mérite d’avoir été tournée à la Isla Negra. 

💪Cette lecture s'inscrit dans le cadre du Printemps latino au Chili

📚Voir aussi l'avis de Sandrine

📌Une ardente patience. Antonio Skármeta, traduit par François Maspero. Points, 160 pages (2016)

Le printemps latino au Chili


Une vie chinoise. Li Kunwu & Philippe Ôtié

Une vie chinoise. Li Kunwu & Philippe Ôtié. Les trois tomes

Je savais que cette intégrale était une trilogie mais je ne m’attendais pas à un ouvrage relié faisant la taille et le poids d’un dictionnaire. Cela ne facilite pas la logistique pour la lecture mais c’est pratique et jolie dans la bibliothèque. En ce qui concerne le fond, cette bande dessinée est aussi dense qu’il n’y parait. Il s’agit du récit autobiographique de Li Kunwu, dessinateur propagandiste et journaliste chinois qui, à l’instar de Xi Jinping, n’a jamais renié le Parti communiste en dépit des déboires de sa famille. Le manhuajia (auteur de BD chinois) est né en 1955 dans la province du Yunnan au sud-ouest de la Chine. Avec l’aide de son co-scénariste français, Philippe Ôtié, il nous relate plus d’un demi-siècle d’histoire de son pays. Les trois volets de ce récit (Le temps du père, Le temps du parti et Le temps de l’argent) ont été publiés entre 2009 et 2011. On peut y ajouter les 2 tomes complémentaires de la série Ma génération, parus en 2016, toujours aux éditions Kana. 

Une vie chinoise. Li Kunwu & Philippe Ôtié. L'intégrale

Li Kunwu a connu les conséquences de la politique économique de Mao durant le "Grand bond en avant" aboutissant à plusieurs années de famine généralisée. Il évoque la "campagne des quatre nuisibles" (visant à éradiquer les rats, les mouches, les moustiques et les moineaux friquets)  et les "hauts fourneaux ruraux" où les villageois faisaient fondre tous les objets en acier et en fer qui leur tombaient sous la main (couverts de cuisine, anciennes pièces de monnaie, etc) pour augmenter la production. L’auteur semble plutôt honnête dans son témoignage mais il comporte quand même quelques ellipses. Il ne nous cache pas son passé de garde rouge ni le fait d’avoir participé à des dénonciations collectives à travers les dazibaos (affiches anonymes) mais plaide l’amnésie au sujet des séances d’autocritiques forcées et le lynchage de ses enseignants. 

Une vie chinoise. Li Kunwu & Philippe Ôtié. P20-21

Le père du manhuajia, pourtant secrétaire du Parti, sera bientôt touché par les purges (au motifs que ces ancêtres étaient des propriétaires terriens) et envoyé en camp de rééducation des cadres pendant plus de 10 ans. Les chapitres suivants évoquent la révolution culturelle, puis la mort du Grand Timonier et le procès de la bande des 4 (Zhang Chunqiao, Wang Hongwen, Yao Wenyuan et Jiang Qing, épouse de Mao). Notre héros, lui, a grandi. Il s’est engagé dans l’armée comme soldat-dessinateur et tente d’entrer au Parti. Sa quête sera longue. La troisième et dernière partie se concentre sur la modernisation du pays, à partir du programme "Réforme et ouverture" lancé par Deng Xiaoping.  S’il n’hésite pas à dénoncer les inégalités et la corruption, Li Kunwu préfère en revanche éluder les évènements de 1989 et les manifestations de la place Tian'anmen au motifs qu’ils se sont déroulés loin de sa province natale.

Une vie chinoise. Li Kunwu & Philippe Ôtié. Les pages 390-391

Témoin de l’intérieur, Li Kunwu n’a pourtant jamais été censuré dans son pays. Ses dessins s’inspirent entre autres de la bande dessinée traditionnelle chinoise (le lianhuanhua). Le préambule, qui est en couleur, relate la genèse de la BD et la rencontre de Li Kunwu avec le conseiller diplomatique Philippe Ôtié en 2005. Toutes les planches suivantes sont en noir et blanc. Les dessins, réalisés à l’encre noire et au pinceau, sont un peu sombres mais extrêmement détaillés. En revanche, j’ai parfois eu du mal à distinguer les faciès des différents protagonistes.

Li Kunwu a reçu un excellent accueil en France puis dans le reste du monde (Une vie chinoise a été traduite dans 14 langues). En 2010, le manhuajia a gagné en 2010 le Prix Château de Cheverny de la bande dessinée historique aux 13es Rencontres de l'histoire de Blois et le prix des Lecteurs du festival Quai des Bulles de Saint-Malo. En 2013, il a été récompensé dans son propre pays par le prix Dragon d’Or du festival Manga International Canton. En 2014, il a reçu le Prix d’Excellence du Japan Média Arts Festival décerné par le ministre japonais de la Culture.

📝En parallèle de cet fresque autobiographique, je vous recommande de lire également la BD de Gianluca Costantini et Eric Meyer sur le parcours de Xi Jinping. 

📚Voir les avis de Wodka et de Bidib

📌Une vie chinoise, Intégrale. Li Kunwu (dessins et scénario) et Philippe Ôtié (Scénario). Kana, 741 pages (2024)


Sarek. Ulf Kvensler

Sarek. Ulf Kvensler


J’ai emprunté ce livre à la bibliothèque après avoir lu une critique dithyrambique sur Internet. Il faut dire que je ne me lasse pas des auteurs de polars scandinaves. Je ne connaissais pas le suédois, Ulf Kvensler, et pour cause :  il s’agit ici de son premier roman. L’année dernière, il a publié un second thriller intitulé Au nom du père. J’ai décidé de le garder sous le coude pour plus tard.

Dès la première page de Sarek, on sait qu’un drame a eu lieu. Le 19 septembre 2019 à 14h16, l’inspecteur Anders Suhonen est déjà sur place, à l’hôpital de Gällivare. Les sauveteurs l’ont informé d’un cas suspect. Suite à un accident de montagne, une jeune femme a été conduite en hélicoptère, depuis le refuge de Aktse en Laponie. Elle est visiblement en état de choc post-traumatique. Elle est en hypothermie, elle a le droit cassé, de multiples écorchures et des marques de strangulation. Le policier tente de reconstituer les faits grâce à son témoignage. Elle s’appelle Anna Samuelson et va lui raconter une histoire terrifiante.

Anna, son conjoint Henrik, et un autre couple de randonneurs se sont rendus dans l’extrême nord de la suède pour un séjour d’une semaine. C’est une tradition annuelle. Ils partent généralement avec leur meilleure amie Milena Tankovic. Anna est avocate et Henrik Ljungman, est maître de conférence en droit à l’université d'Uppsala. C’est là que le trio s’est rencontré 10 ans plus tôt. Cette année, ils avaient prévu de faire le parc national d’Abisko en Laponie et le massif du Kebnekaise. Ils ont changé leurs plans à la dernière minute, suite à une série d’évènements inattendus. Tout d’abord, Anna a été obligée de repousser ses vacances en septembre. Or, durant l’été, Milena a fait la connaissance du séduisant Jacob Tessin grâce à une application de rencontres. Le jeune homme est un adepte de sports d’endurance et il pratique l’alpinisme depuis longtemps. Milena demande donc à ses amis s’il peut rejoindre leur groupe de rando. Le couple accepte avec réticence la compagnie impromptue d’un inconnu au sein de leur petit comité. Anna a un mauvais pressentiment. Jacob ne lui semble pas fiable et elle est persuadée de l’avoir déjà croisé dans d’autres circonstances. Henrik est morose et apathique tandis que Milena semble être totalement sous l’emprise de son nouveau petit ami. Le premier malaise survient dans le train lorsque Jacob propose de bifurquer et d’aller plutôt marcher dans le parc naturel de Sarek. L’endroit est réputé pour ses espaces sauvages et la difficulté des parcours. 

L’inspecteur Anders Suhonen interroge la convalescente mais sans jamais la brusquer. Toutes les informations nous sont donc distillées par petites touches, selon son état de fatigue. Le lecteur est pendu à ses lèvres, pressé de connaître l’enchaînement des évènements. C’est la grande force de ce drame psychologique et il est difficile de le lâcher avant le point final. Certaines questions reviennent néanmoins et des fractures apparaissent dans le récit elliptique de la rescapée. Du coup, le retournement de situation aux deux tiers du roman, ne prend pas totalement le lecteur par surprise. Mon second petit bémol concerne la conclusion abrupte de l’intrigue, obligeant le lecteur a combler lui-même certaines zones d’ombre. Après avoir enduré tant de pauses dans le récit et de chapitres s’achevant en cliffhanger, je dois dire que je me suis sentie un peu frustrée. Ce n’est pas grave au point de rayer l’auteur de mes prochaines lectures, loin de là ! Le roman d’Ulf Kvensler reste un thriller haletant et d’excellente facture.

📚D'autres avis que le mien chez Cath L, Violette et Ingannmic  

📌Sarek. Ulf Kvensler, traduit par Rémi Cassaigne. Editions de La Martinière, 496 pages (2023)


Le Cercle des derniers libraires. Sylvie Baron

Le Cercle des derniers libraires. Sylvie Baron

Avec l’arrivée des beaux jours, des longs week-ends et des futurs congés d’été, j’ai eu envie de lectures légères et distrayantes. Dans ces cas-là, le Cosy Mystery est l’option idéale. En fouinant dans le catalogue de la médiathèque, j’ai donc déniché plusieurs titres parmi les ouvrages du genre dont une réédition du Cercle des derniers libraires de Sylvie Baron. C’était l’occasion de pour moi de découvrir cette autrice qui a déjà publié plusieurs romans. Certain(e)s d’entre vous ont peut-être lu Les Petits Meurtres du mardi ou la série des Petits meurtres du Tricot-Club, par exemple ? 

Le "Cercle des derniers libraires" n’est pas un obscure club d’ésotérisme mais une association de libraires indépendants. A l’origine de ce réseau professionnel d’entraide, il y a  Emma Pélissier, propriétaire de la librairie Les Livres penseurs à Saint-Flour dans le Cantal. Une vingtaine de libraires de l’hexagone se sont joint à son initiative. Il s’agit de défendre les espaces indépendants de culture et de sociabilisation en organisant des évènements littéraires et en échangeant des conseils sur les problématiques du métier. Comment résister, par exemple, à la création de chaînes culturelles dans les zones commerciales de périphérie ou aux grandes enseignes en ligne. Une première réunion des libraires associés à eu lieu autour d’un barbecue convivial dans le Cantal. Or, peu de temps après, une succession de meurtres frappe les adhérents du Cercle des derniers libraires. Ironie de la situation : les membres s’identifient pour de bon à des survivants. 

Le Cercle des derniers libraires. Sylvie Baron en poche
Le premier assassinat a lieu à Aurillac, le 20 août, date d’anniversaire de la première assemblée. Le gérant de la librairie Point d’interrogation est étranglé dans sa réserve. Le 20 septembre, Bernadette Borne est poignardée dans son magasin de Brioude. Le 20 octobre, le propriétaire de la librairie Au fil des pages est victime d’un chauffard qui prend la fuite. 

Le rédacteur en chef du journal La Montagne décide d’envoyer l’un de ses journalistes enquêter sur l’affaire. Son ami Adrien Darcy, qui sort de convalescence, a justement besoin de se dégourdir les jambes. Mais cet ancien sportif de haut niveau, amateur de cyclisme, n’est pas très emballé à l’idée d’entrer des boutiques poussiéreuses sentant l’ennui et le vieux papier. La lecture n’a jamais été son dada et il ne comprend même pas pourquoi les libraires (surtout les femmes) s’agitent joyeusement à la simple évocation de son patronyme. Bref Darcy, est bougon et souffre encore des blessures liées à son récent accident de vélo. Il accepte néanmoins la mission proposée par son patron inquiet de sa santé.  

La rencontre entre Emma et Darcy sera bien-sûr détonante mais ils vont devoir s’apprivoiser pour trouver le coupable des meurtres.  De nombreux préjugés seront battus en brèche, d’un côté comme de l’autre.

Ce roman a parfaitement répondu à mes attentes : c’est un whodunit léger, bien ancré dans le territoire régional. L’autrice brosse un portrait flatteur de la ville de Saint-Flour, de son patrimoine architectural et culturel, mais aussi des paysages et des massifs cantaliens. La gastronomie auvergnate est bien sûr mise à l’honneur à travers la Truffade, citée plusieurs fois dans le roman. Tant et si bien que je me suis  surprise à consulter les sites touristiques pour organiser une escapade dans la région. Par ailleurs, Sylvie Baron s’est attachée à créer un cadre réaliste abordant tous les aspects du métier de libraire, ainsi que les difficultés auxquelles ces commerces culturels de proximité sont aujourd’hui confrontés. Les deux protagonistes principaux, des héros bienveillants mais un peu maladroits, sont particulièrement attachants.

Le Cercle des derniers libraires est un roman sans prétention qui se lit avec gourmandise. Il sera sans doute vite oublié mais il tient ses promesses. Il existe déjà en format poche, de même que le second volet de la série, La librairie de tante Emma.  

📚D'autres avis que le mien sur les blogs A livre ouvert, Des plumes et des livresLes pipelettes en parlent

📌Le Cercle des derniers libraires. Sylvie Baron. Editions de Borée, 288 pages (2025) / J’ai Lu, 352 pages (2020)


Les fantômes de Pinochet. Ortega & Vega

Les fantômes de Pinochet. Ortega & Vega


La mémoire collective est hantée par les horreurs commises durant la dictature militaire d’Augusto Pinochet. Or, le peuple chilien a été en partie privé du jugement  puisque le général est mort avant que les procédures engagées contre lui n'aboutissent. Francisco Ortega et Félix Vega ont néanmoins trouvé une manière de régler les comptes en recourant au surnaturel. Le dictateur sera jugé de tous ses crimes dans l’au-delà, par le bras allégorique de la Justice.

Le titre de l’album, El fantasmas Pinochet, s’inspire d’un texte du poète Armando Uribe. Les auteurs de la BD précisent par ailleurs que « Les fantômes de Pinochet est une œuvre de fiction basée sur des faits, des dates et des personnages réels, mais fait également référence à des croyances populaires qui circulent autour des évènements et des protagonistes ».

Les fantômes de Pinochet. Ortega & Vega P18-19

L’histoire débute donc de manière symbolique avec l’image du défunt dictateur sortant de son tombeau. La scène suivante nous ramène, 6 ans plus tôt, en février 2000, alors que Pinochet est en résidence surveillée à Londres. Bien que le juge espagnol Baltasar Garzón soit parvenu à déposer une plainte internationale pour « génocide, terrorisme et tortures », l’ancien président chilien apprend qu’il sera bientôt libéré pour raisons de santé et pourra alors retourner dans son pays. De sa fenêtre, il observe un condor fondant sur sa proie. Cette image qui évoque au lecteur la tristement célèbre opération Condor (le plan qui a permis à six dictatures d’Amérique latine de traquer les dissidents hors de leur territoire national), rappelle un tout autre souvenir à l’ex dictateur.  

Les fantômes de Pinochet. Ortega & Vega P62-63

A cet instant, Pinochet songe plutôt à un évènement qui a bouleversé sa vie. En 1919, le jeune Augusto (qui est originaire de Valparaiso) se rend à Santiago du Chili avec sa mère, présentée comme une femme froide et autoritaire. Alors que les promeneurs passent devant le palais présidentiel de la Moneda, un cortège de grévistes du parti ouvrir socialiste effraie le jeune garçon. Celui-ci s’enfuit en courant et traverse la route sans regarder. Il est renversé par une voiture mais échappe de justesse à la mort et à l’amputation d’une jambe. Cet évènement dramatique a-t-il ouvert la boîte de Pandore ? 

Les fantômes de Pinochet. Ortega & Vega P74-75

Parallèlement au récit biographique, le procès imaginaire qui doit condamner Pinochet à la damnation éternelle suit son cours. Parmi les fantômes surgissant du passé, Pinochet voit apparaître à la barre ses anciens opposants politiques et militaires ainsi que de nombreux martyres comme le chanteur Víctor Jara. 

La narration ne suit pas forcément la chronologie historique mais le jeu des couleurs évite au lecteur de perdre totalement le fil de l’intrigue. L’illustrateur utilise les nuances de sa palette comme autant repères. Ainsi le marron / sépia est réservé à l’enfance du dictateur tandis que le noir & blanc (ponctué de quelques touches colorées) est utilisé pour les flash-back plus récents. Ces pages sont les plus soignées, avec des représentations architecturales très réussies. Les planches monochromes sont destinées au monde onirique et surnaturel. Dans ce cas, le dessinateur a utilisé la couleur numérique et les arrière-plans sont quasi inexistants. Je reconnais que ce système est très astucieux même si je n’ai pas toujours apprécié son esthétisme. Je retiendrai en tout cas l’originalité de l’approche (tant au niveau du fond que de la forme) qui s’inscrit dans ce réalisme magique si emblématique du monde latino-américain. 

💪J’ai lu cette bande dessinée dans le cadre du Printemps latino, qui nous conduit cette année au Chili.  

📌Les fantômes de Pinochet. Francisco Ortega (scénario), Félix Vega (illustrateur) et Sophie Hofnung (traduction). Nouveau Monde éditions, 136 pages (2025)

Challenge Printemps latino au chili


Mrs. Dalloway. Virginia Woolf

Mrs. Dalloway. Virginia Woolf

Comme de nombreux lecteurs, j’ai une liste d’auteurs incontournables (souvent des classiques) que je projette de lire un jour. Or, il se trouve que le chef d’œuvre de Virginia Woolf, Mrs. Dalloway, fête son centenaire cette année et qu’une nouvelle traduction du roman a été publiée dans la prestigieuse collection de la Bibliothèque de la Pléiade. C’était l’occasion idéale pour me lancer dans une lecture que j’appréhendais et repoussais sans cesse à plus tard. L’argument ultime a été la proposition de lecture commune de Cléanthe autour du roman européen de l’entre-deux-guerres dont Mrs Dalloway est un exemple emblématique. Impossible de me défiler davantage !

Evidemment, j’ai lu quelques études de l’œuvre au cours de ma vie de lectrice et je savais que Mrs Dalloway était un roman expérimental par bien des aspects, sur le fond comme sur la forme. On dit souvent qu’il n’y a pas d’intrigue, au sens traditionnel, mais des pérégrinations introspectives. Celles-ci finissent par former un maillage complexe, un chœur silencieux mais un peu étourdissant. Au milieu de cette cacophonie, Big Ben s’impose comme le métronome des heures qui s’écoulent. Le titre initial du roman, The Hours (Les heures), a d’ailleurs été repris par Michael Cunningham dans son roman s’inspirant de Virginia Woolf, puis le film réalisé par Stephen Daldry,

Virginia Woolf invite son lecteur à suivre la journée de Clarissa Dalloway, une aristocrate londonienne quinquagénaire. Nous sommes en juin 1923. Notre héroïne prépare une réception qui doit avoir lieu le soir même. La journée est splendide, si bien qu’elle décide de se dispenser de sa domestique et d’acheter elle-même les fleurs pour la décoration. Cette promenade permet au lecteur de profiter avec elle du paysage urbain dans le quartier de Westminster. Chemin faisant, Clarissa s’abandonne dans quelques divagations intimes, préjugés et souvenirs de jeunesse. Mrs. Dalloway rencontre d’autres protagonistes, des proches (comme Peter Walsh, son ex fiancé revenu des Indes) et des inconnus (comme Septimus Warren Smith, un ancien soldat qui présente les symptômes d’un choc post-traumatique). Chaque fois que des personnages se croissent, ils semblent se transmettre un témoin fictif, comme dans une course de relais. Le lecteur entre ainsi dans leurs cerveaux et entend leurs soliloques intérieurs respectifs. Grâce à l’effet de miroir obtenu, Virginia Woolf brosse un portrait saisissant de la société londonienne des années 20. 

Pour être vraiment honnête, je dirais que j’ai davantage apprécié ce livre à rebours que pendant ma lecture effective. Les circonvolutions introspectives des personnages semblent parfois bien longues et bien ennuyeuses quand on pas d’appétence particulière pour les désidératas de l’aristocratie britannique. Evidemment, le roman de Virginia Woolf ne se réduit pas à cela : la guerre et la pauvreté sont évoquées plus ou moins brièvement, ainsi que les rapports de la population à la famille royale. Par ailleurs, je me rends bien compte que les partis pris de l’autrice sont les atouts majeurs du roman. Il faut resituer l’écriture et la parution du roman dans son contexte, car la romancière s’affranchie des règles de narration qui étaient alors la norme. Trois ans plus tôt, James Joyce avait déjà créé la controverse avec son Ulysse. Pour mémoire, il raconte la journée et les déambulations de Leopold Bloom (Ulysse) et Stephen Dedalus (Télémaque) dans la ville de Dublin. Bref, les raisons de lire Mrs. Dalloway sont solides et il serait dommage de passer à côté, comme je l’ai fait jusqu’à aujourd’hui.

💪Pour cette première étape des Escapades en Europe, Cléanthe a lu La Conscience de Zeno, Patrice a lu Raboliot de Maurice Genevoix, Sandrine a lu La grande peur dans la montagne de Charles Ferdinand Ramuz et Tullia a lu Avril enchanté d'Elizabeth von Arnim.

📌Mrs. Dalloway et autres écrits. Virginia Woolf. Bibliothèque de la Pléiade, 800 pages (2025) / Mrs. Dalloway. POL, 384 pages (2021) / Le Livre de Poche, 224 pages (1982)

Challenge européen : mai 2025

Cœur noir. Silvia Avallone

Cœur noir. Silvia Avallone


 « Le lundi de novembre où Emilia et son père s’engagèrent sur le sentier appelé Stra’dal Forche et montèrent à travers le bois de châtaigniers qui sépare Sassaia du reste du monde, c’était le jour des morts. Riccardo persistait à penser que ce genre d’endroit – un minuscule hameau isolé – n’était pas ce qu’il fallait pour entamer une nouvelle vie : en tout cas pas pour sa fille, pas après tout ce qu’elle avait traversé, et encore moins seule. Mais Emilia avançait d’un bon pas, résolue. »

Qu’est-ce qui peut inciter une jeune femme de 31 ans à venir s’enterrer dans un hameau désert du Piémont italien ? C’est l’énigme sur laquelle se focalise d’abord l’attention du lecteur. 

Emilia Innocenti, l’héroïne cabossée de ce roman, arrive à Sassaia par un petit chemin escarpé. Elle est venue y enfouir son sentiment de culpabilité et peut-être y trouver la rédemption. Son père Ricardo l’accompagne. Il veut l’aider à s’installer dans la demeure de la tante Iole, laissée à l’abandon depuis son décès. Le réseau téléphonique est défaillant et il n’y a pas de télévision. Son père est inquiet. Sassaia ne compte que deux autres habitants : le Basilio, un peintre en bâtiment à la retraite qui restaure les fresques des églises locales, et Bruno Peraldo, l’instituteur du village voisin. Dans un premier temps, le trentenaire qui vit en ermite, ne voit pas d’un très bon œil l’arrivée de cette jeune femme bizarre. Et pourtant… contre toutes attentes, la rencontre va avoir lieu. Elle sera très charnelle mais un peu frustrante. Comment aimer une personne dont on ignore tout ? 

Evidemment l’intrigue de ce livre va au-delà de la simple romance. Par touches successives, Silvia Avallone nous dévoile les secrets des protagonistes principaux. On comprend rapidement qu’Amélia a passé une partie de son adolescence et de sa jeunesse dans un lieu clos qu’elle appelle Le Couvent mais qu’on devine être une institution spécialisée pour mineures et/ou un établissement carcéral. Elle porte en elle un poids très lourd qui l’empêche de s’autoriser un avenir ordinaire. Bruno aussi est un animal blessé. Il s’est réfugié dans la maison de son enfance, abandonnant ses études doctorales et un avenir prometteur. 

J’ai retrouvé dans Cœur noir, les thématiques chères à l’autrice : l’adolescence, la famille, l’amitié, la fracture sociale. Le père d’Amélia est certes un bourgeois de Ravenne mais sa fille a longtemps côtoyé des jeunes filles d’un milieu très différent du sien. Leurs histoires sont souvent très douloureuses et leurs actions ont des circonstances atténuantes. Qu’en est-il d’Amélia ?

Les remerciements en fin d’ouvrage fournissent parfois des renseignements intéressants sur la genèse de l’œuvre. Et c’est le cas ici. On y apprend notamment que l’autrice a fréquenté un atelier de lecture et d’écriture dans une prison pour jeunes délinquants. Elle a interviewé des professionnels du système judiciaire et pénal pour mineurs. Cela se ressent dans son livre, le réalisme des situations, des lieux et des personnages.  Il faut dire que l’autrice a une grande habilité à dresser des portraits, notamment d’adolescentes à la fois touchantes et exaspérantes. Les protagonistes de Cœur noir m’ont davantage émue que ceux rencontrés dans les précédents romans de Silvia Avallone, D’acier et Une amitié.  

Et pourtant,  en dépit de toutes les qualités de ce livre, je n’arrive toujours pas à être totalement enthousiaste. J’ai eu cette même sensation avec D’acier et Une amitié sans arriver à mettre exactement le doigt sur ce qui me gêne.  Je suis entrée très facilement dans le roman et je dois dire que j’ai été rapidement happée par l’intrigue. En revanche, j’ai trouvé sa résolution trop délayée et j’ai eu la sensation que ce livre n’en finissait pas de finir. L’autrice en fait parfois des tonnes avec ses personnages et même si c’est souvent justifié, cela m’a un peu lassée. Mon opinion est donc un peu mitigée mais penche davantage vers le positif. 

📚D’autres avis que le mien chez Miriam et Eimelle

📌Cœur noir. Silvia Avallone, traduite par Lise Chapuis. Liana Levi, 448 pages (2025)


Le Cavalier de Notre-Dame. Éric Crubézy

Le Cavalier de Notre-Dame. Éric Crubézy


« Heureux qui comme Ulysse a fait un long voyage 
Ou comme cestui-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !*»

Le Cavalier de Notre-Dame, essai dédié à un large public, est en réalité le compte-rendu détaillé d’une découverte archéologique majeure, sur le site de fouille ouvert à Notre-Dame de Paris entre février et mars 2022. En effet, trois ans après le grand incendie qui a gravement endommagé la cathédrale, un chantier de sauvetage a été mené par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Les recherches ont abouti à de nombreuses trouvailles à l’extérieur comme à l’intérieur du monument. 

Les fouilles conduites dans le sous-sol ont permis de mettre à jour une centaine de sépultures de laïcs et de membres du clergé. Parmi celles-ci deux sarcophages de plomb anthropomorphes ont attiré l’attention des chercheurs. Le premier, mis au jour à la croisée du transept, a rapidement été attribué au chanoine Antoine de La Porte (1627-1710). Le second cercueil, dépourvu d’épitaphe, est resté anonyme.  

Le travail d’identification a été confié au professeur Eric Crubézy, médecin anthropologue, spécialiste de l’archéologie funéraire au sein du Centre d’Anthropobiologie et de Génomique de l’Université Toulouse III. Les analyses paléogénétiques ont été réalisées à l’institut médico-légal du CHU de Toulouse. L’étude pathologique du squelette a montré que l’occupant du sarcophage était un homme d’une trentaine d’années, cavalier de longue date, souffrant de tuberculose et de méningite. Ce "portrait-robot" du cavalier de Notre-Dame a permis un rapprochement avec le poète Joachim du Bellay, cofondateur de La Pléiade avec son ami Pierre de Ronsard. Ce diagnostic a été confirmé par les documents d’archives.

On sait, grâce à ses biographes, que le poète angevin est né vers 1522 au Manoir de la Turmelière à Liré et qu’il  est décédé de la tuberculose osseuse dans la nuit du 1er au 2 janvier 1560. Il a été inhumé dans la cathédrale mais sa dépouille n’a pas été retrouvée à côté de celle de son oncle, dans la chapelle Saint-Crépin, lors des travaux de 1758. Par ailleurs, il est souvent fait allusion dans l’œuvre de Joachim du Bellay, et dans d’autres textes du 16ème siècle, à sa maladie qui empirait au point de le rendre sourd et inapte à l’équitation. 

A ce stade des recherches, il fallait néanmoins s’assurer que le cadavre n’est pas celui d’un "jumeau biologique". Eric Crubézy a donc étudié les registres de Notre-Dame à la recherche d’un éventuel défunt, inhumé au 16ème siècle après une longue maladie entraînant des séquelles identiques à celles du poète. Il a fallait chou blanc ce qui confirmait sa première intuition.

Le sous-titre de cet essai, suggère qu’il pourrait se lire comme un polar dédié à un cold case. En effet, l’auteur suit toutes les pistes susceptibles de lui révéler des indices pouvant nourrir sa thèse. L’enquête est passionnante mais il faut parfois s’accrocher pour bien comprendre de quoi il retourne. Je pense à la partie consacrée aux analyses biologiques mais pas seulement. Il faut également s’immerger dans le mode de pensée de la Renaissance et comprendre le fonctionnement administratif  de l’Eglise. Les références littéraires et l’analyse de l’œuvre de Joachim du Bellay peuvent rendre la lecture de cet ouvrage un peu laborieuse. Je préfère donc prévenir les lecteurs potentiels de cet ouvrage qui ne seraient ni passionnés d’histoire, de littérature ou d’archéologie ni grand amateur de poésie. Pour ma part, j’ai adoré me perdre dans les méandre de ses recherches, et j'ai fait un beau voyage, mais j’avoue que j’ai lu certains passages en diagonale. 

* extrait du Sonnet 31 dans Les Regrets de Joachim du Bellay, 1558

📌Le Cavalier de Notre-Dame. Éric Crubézy. Odile Jacob, 368 pages (2025)

L'œuvre du serpent. Norman Jangot

L'œuvre du serpent. Norman Jangot


💪Pour le challenge objectif SF 2025, organisé par Sandrine, je cherchais un roman contemporain original. Cette quête ma conduite jusqu’à L'œuvre du serpent de Norman Jangot. Les amateurs de science-fiction connaissent peut-être cet écrivain puisqu’il a déjà publié plusieurs livres. Cette fois, il s’agit d’un polar d’anticipation dans un Paris postapocalyptique.

L’avidité des humains les a poussés à forer la terre vers son cœur pour en tirer toujours plus de richesses. Ils ont ainsi provoquer une onde de choc d’une telle puissance qu’elle a engendré une succession de cataclysmes sans précédent et entraîné la destruction de nombreuses infrastructures. Tous les musées ont été détruits, y compris le Louvre. Ses collections ont d’ailleurs disparu. Cette catastrophe planétaire a marqué "l’an 0" d’une nouvelle ère, celle de la reconstruction et, en attendant, de la récup. Les habitant de Paris vivent dans des "Affaissements", qu’ils aménagent tant bien que mal. Des bars semi clandestins prolifèrent dans les "Conduits", c’est-à-dire les anciennes voies de métro. On y consomme des drogues bon marché. Dans cette société aux fondations fragilisées, de nouvelles religions émergent et des sectes extrêmement dangereuses colonisent les bas-fonds de la ville. En banlieue, c’est encore pire. Aucun immeuble n’a pu résister aux tremblements de terre. On parle même de zones de non-droits : les "Zones Mortes". La fracture entre les pauvres et les ultra riches, que l’on surnomment dédaigneusement les "Rikis", est devenue un gouffre. 

Mais "l’Onde" a eu d’autres répercussions. Parmi ceux qui auraient dû mourir, certains sont devenus les récipiendaires d’une sorte de pouvoir médiumnique ou plutôt un don de prescience. Il leur permet de percevoir et d’interpréter les "Synchs" ou synchronicités, c’est à dire les coïncidences. Cette faculté hors du commun est précieuse pour pister les criminels. Des enquêteurs mutants forment une brigade d’élite au sein de la police, les "Serpents" ou les "Pythons". Parmi les "Chasseurs de L’Omphalos", il y a Nathaniel Loppe, le meilleur d’entre eux. Au début du roman, il enquête sur la disparition d’une jeune fille. Sa traque s’achève avec succès mais, le soir même, il est victime d’une agression à l’acide dans un bar clandestin. Devenu aveugle, il disparait littéralement de la circulation. Quelques années plus tard, lorsqu’un insaisissable tueur en série frappe des Rikis, les enquêteurs pensent qu’il s’agit d’un Python. Seul un autre Serpent, au flair infaillible, pourrait le pister. Milo Nirbelstein décide d’aller chercher son ancien collègue, Nathaniel Loppe, et de le sortir du repère insalubre où il se terre désormais. Avec leurs acolytes, Assia et Inès, nos deux Pythons remontent la piste des Synchs. Or, elles sont fragiles à cause des blessures psychologiques de nos héros.  

Le roman est difficile à résumer mais très intelligemment construit. Chaque chapitre commence par une citation d’un pseudo Messie et se termine par un extrait du "Journal du Tisseur", qui sont autant de repères et d’indices pour le lecteur. Norman Jangot s’est inspiré du concept jungien de la synchronicité et des hypothèses du psychiatre suisse sur l’Unus Mundus. Il est également question de physique quantique et du fameux Chat de Schrödinger. Heureusement pour le lecteur lambda comme moi, il n’est pas besoin de connaître le détail de ces théories pour comprendre l’intrigue. Pour entrer véritablement dans l’histoire, il faut bien sûr intégrer d’abord tous les éléments du cadre, cet univers singulier créé par l’auteur. Mais une fois cette difficulté surmontée, le roman se lit comme un thriller et les pages se tournent d’elles-mêmes. Norman Jangot se permet quelques facéties, des clins d’œil humoristiques.  Par exemple, il cite l’un de ses romans précédents, Le septième continent, en précisant qu’il n’existe que dans un monde parallèle ! Au final, c’est une très belle découverte. L'œuvre du serpent est roman stimulant qui donne envie de lire plus de science-fiction. 

📌L'œuvre du serpent. Norman Jangot. Editions Héloïse d'Ormesson, 496 pages (2024)

Objectif SF 2025


La Saga des émigrants, T.02. Vilhelm Moberg

La Traversée (La Saga des émigrants, Tome 2). Vilhelm Moberg


📚J’ai commencé cette série pour me joindre à une lecture commune proposée par Fanja et Keisha dans le cadre du Book Trip en Mer. Après avoir refermé le premier volet, j’avais hâte de reprendre la route de s’exil aux côtés de la famille Nilsson. Pour ceux qui ont raté le début de l’histoire ou qui ont la mémoire qui flanche, je rappelle que nous suivions l’itinéraire d’un groupe de paysans suédois qui, au printemps 1850, s’apprêtait à quitter le pays après avoir abandonné ses terres dans la province du Småland. Une composition hétéroclite d’attelages nous avait conduit jusqu’au port de Karlshamn au sud. Le brick Charlotta, un voilier à deux mâts qui semblait bien petit, avait suscité la stupeur. La fin du premier tome nous avait laissé là, à quai, et un peu dépités. 

Ce second tome est centré sur la traversée vers le Nouveau-Monde. C’est peu de dire que le lecteur la vit aussi intensément que les protagonistes ! Vilhelm Moberg décrit la vie à bord du bateau avec un réalisme saisissant. Le capitaine ombrageux ne voit pas l’intérêt d’expliquer quelques rudiments de navigation à ses passagers qui n’ont aucune idée de l’état de leur progression vers l’Amérique. L’espace est restreint et la promiscuité pesante. Les semaines passent et les migrants souffrent d’une oisiveté qu’ils n’avaient jamais connue. Nos paysans, si terriens, sont malades dès la première tempête. Une infestation de poux déchainent les rancœurs puis le scorbut fait ses premières victimes. Sur les 78 passagers, combien arriveront vivants en Amérique du Nord ? 

Monument à l’émigration d’Axel Olsson à Karlshamn

Décidément cette série est terriblement addictive ! Et aussi étonnant que cela puisse paraître, le lecteur contemporain n’éprouve pas seulement de l’empathie pour ces paysans du 19ème siècle, il finit par s’identifier à eux. Il faut dire que Vilhelm Moberg nous fait littéralement entrer dans la tête des personnages, décrivant leurs pensées, comme leurs maux physiques, avec une grande minutie. J’ai bien sûr hâte de poursuivre cette grande aventure humaine et de découvrir comment nos migrants suédois vont s’en sortir sur leur terre d’accueil. Il me reste encore 3 tomes à lire :

  1. Au pays
  2. La Traversée
  3. La Terre bénie
  4. Les Pionniers du Minnesota
  5. Au terme du voyage

La Saga des émigrants est un monument de la littérature suédoise. Elle s’inspire d’une période cruciale de l’histoire sociale suédoise.  A l'Institut des émigrants suédois à Växjö, une salle est d’ailleurs entièrement dédiée à Vilhelm Moberg et à Karlshamn une statue à été érigée en l’honneur de son œuvre. Elle représente les deux personnages principaux, Karl Oskar et son épouse Kristina.  La série a été adaptée dans un diptyque cinématographique (Les émigrants et Le Nouveau monde) par réalisateur suédois Jan Troell au début des années 70. 

📌La Traversée (La Saga des émigrants, Tome 2). Vilhelm Moberg, traduit par Philippe Bouquet. Le Livre de Poche, 280 pages (2003)

Book Trip en mer S2


Voyage au centre de la terre. Rodolphe & Le Sourd

Voyage au centre de la terre. Rodolphe & Le Sourd

Cette bande dessinée pour la jeunesse est une belle adaptation du Voyage au centre de la terre de Jules Verne. Je précise qu’il s’agit d’un diptyque et que les deux volumes étant parus, il n’y aura pas besoin d’attendre pour lire la fin de l’histoire. Les auteurs sont restés assez fidèles à l’intrigue initiale mais se sont néanmoins accordés quelques libertés pour la rendre plus accessible aux jeunes lecteurs contemporains. L’originalité de la BD apparait dès la première planche puisque les protagonistes sont des lapins anthropomorphes. Cette caractéristique les rend tout de suite abordables et sympathiques. 


Voyage au centre de la terre. Rodolphe & Le Sourd. Tome 1 P14-15

Axel Lidenbrock, le narrateur dans le roman de Jules Verne, est devenu Axelle, la nièce et la secrétaire de l’éminent professeur Otto Lidenbrock. Après la découverte et le décodage d’un manuscrit runique du 16ème siècle, le géologue hambourgeois décide de partir en expédition sur les traces d’un certain Arne Saknussemm, l’auteur dudit parchemin. L’époque étant ce qu’elle est, sa nièce est censée l’attendre à la maison. Axelle, inquiète pour son oncle, propose de se travestir en homme pour l’accompagner dans son extravagant périple. La porte d’entrée vers le centre de la terre serait le cratère du Yocul de Sneffels, l’un des plus hauts volcans d’Islande. Nos deux protagonistes vont devoir s’attacher les services d’un guide local appelé Hans. 


Voyage au centre de la terre. Rodolphe & Le Sourd. Tome 2 P14-15

Contrairement aux scénaristes du film Journey to the Center of the Earth, réalisé par Eric Brevig en 2008, les auteurs de la BD n’ont pas intégré les technologies du 21ème siècle dans l’intrigue. Ils ont choisi une sorte de compromis en utilisant l’esthétisme steampunk. L’idée est astucieuse et reflète bien l’esprit du roman. L’apparition d’engins retro-futuristes dans le décor et l’utilisation d’une palette de couleurs douces participent à créer à la fois un univers de science-fiction et une ambiance juvénile.

Le second volet de la BD, focalisée sur l’expédition proprement dite, respecte la plupart des évènements qui jalonnent l’aventure imaginée par Jules Verne. On y retrouve les fameux champignons géants, la mer souterraine, les monstres marins, les dinosaures, etc. Jules Verne utilise toutes les ressources (et controverses) scientifiques connues à son époque en matière de cryptologie, paléontologie ou minéralogie. Les auteurs de la BD, quant à eux, ont su tirer la substantifique moelle de cette histoire pleine de rebondissements et lui insuffler un vent de modernité grâce à quelques trouvailles scénaristiques et graphiques originales. Je ne doute pas que leurs albums puissent séduire de nombreux lecteurs de tous âges.

💪Cette lecture s'inscrit dans le cadre du Challenge Jules Verne. A cette occasion, Cléanthe a lu le roman original de Jules Verne, de même que Tadloiducine qui présente aussi une adaptation cinématographique du Voyage au centre de la terre

📌Voyage au centre de la terre de jules Verne, Tomes 1 et 2.  Rodolphe (scénario), Patrice Le Sourd (dessin) et 1ver2ânes (couleur). Delcourt, 2 volumes (2023-2024)

challenge Jules Verne 2025