📚Cette lecture commune m’a été proposée par A Girl From Earth du Blog Lecture sans frontières, suite à ma recension consacrée à Pyongyang 1071 de Jacky Schwartzmann. Evidement, nous sommes ici dans un registre bien différent et beaucoup plus tragique. Le journaliste américain, Blaine Harden, publie un document basé sur le témoignage de Shin Dong-hyuk, un transfuge Nord-Coréen. Lorsque paraît son ouvrage, en 2012, il n’existe pratiquement aucun récit de ce genre, à l’exception du livre de Chol-Hwan Kang, Les aquariums de Pyongyang (Robert Laffont, 2001). L’auteur y raconte ses dix années passées dans le centre de détention de Yodok. Mais contrairement à son cadet, Chol-Hwan Kang n’est pas né en prison. Shin Dong-hyuk, lui, n’a rien connu d’autre que l’univers concentrationnaire jusqu’à son évasion en 2005. Il est alors d’une vingtaine d’années. En ce sens, son témoignage est exceptionnel puisqu’il a vécu dans l’ignorance complète du monde extérieur pendant tout ce temps. Pratiquement illettré, il ne connaissait presque rien de l’histoire de son pays, même déformée par le prisme de la propagande.
Il raconte dans son autobiographie (publiée en Corée du Sud) qu’il est le fruit d’une récompense. Ses parents n’avaient aucun lien particulier. Ils ont été désignés pour s’accoupler parce qu’ils avaient bien travaillé (ou dénoncé assez de camarades). Shin a grandi sans amour, dans une violence extrême (émanant des gardiens du camp mais aussi de ses proches et de ses compagnons d’infortune). Sa mère le battait parce qu’il lui volait sa nourriture. Dans la tête de l’enfant, cette femme n’était rien d’autre qu’une rivale de plus dans le combat qu’il menait pour survivre. Le concept de famille lui était totalement étranger. C’est bien la barbarie à l’état pur qu’il décrit à son interlocuteur du Washington Post lorsque les deux hommes se rencontrent quelques années après son évasion. Selon Blaine Harden, le premier souvenir d’enfance de Shin est celui d’une exécution… celle de sa mère et son frère aîné qui avaient tenté de s’enfuir du camp n°14. Shin, alors âgé de 13 ans, sort d’une prison souterraine où il a passé 8 mois. Il était soupçonné de connivence avec sa génitrice et a été torturé pour mieux avouer son implication, tout comme son père d’ailleurs.
L’ouvrage de Blaine Harden est divisé en plusieurs parties et ne s’arrête pas à l’évasion de Shin. Il parle longuement de ses errances entre Chine, Corée du Sud et Etats-Unis. Il raconte également les égarements psychiques de Shin, sa méfiance tenace vis à vis du genre humain, son sentiment de culpabilité et sa difficulté à s’adapter à la vie dans le monde libre. En 2015, soit 3 ans après la parution de ce livre, le jeune homme reviendra d’ailleurs sur plusieurs points de sa vie. Il explique ses mensonges par une nécessité, ou plutôt un instinct de survie, à une époque où il ignorait encore tout des relations humaines dans une société démocratique. Les spécialistes parlent de réaction post-traumatique. Pour autant, ses revirements ne doivent pas altérer la crédibilité de son témoignage. Les stigmates que porte son corps prouvent que, sur l’essentiel, il n’a pas menti. A ce sujet, il faut préciser que les prisonniers n’étaient pas les seuls à souffrir de privations prolongées en Corée du Nord. Les épisodes de famine, notamment dans les années 90, ont eu de fortes répercussions sur le développement de la population. Les Nord-Coréens seraient plus petits et de constitution plus faible que les Sud-Coréens.
L’autobiographie de Shin Dong-hyuk a été enrichie de nombreuses informations complémentaires, basées sur les récits d’autres rescapés des camps, d’anciens gardiens, d’apparatchik déchus, de membres d’organisations humanitaires, etc. Ces éléments valident et complètent son témoignage. Au-delà des passages insoutenables consacrés à la vie concentrationnaire, le récit est riche d’informations sur l’organisation politique et sociale de la RPDC (La République populaire démocratique de Corée). Le but de ce livre est bien sûr d’alerter l’opinion publique internationale sur le sort des prisonniers et, par extension, celui de l’ensemble de la population du pays. Mais il s’agit aussi de déterminer dans quelle mesure la domination totalitaire de la dynastie Kim parvient à se maintenir en place et pour combien de temps encore. C’est peut-être anecdotique mais il semble que la stratégie du Soft Power, mise en place par le gouvernement de Séoul, ait une influence non négligeable sur l’évolution des mentalités de l’autre côté de la frontière. Les habitants de la RPDC découvrent, au travers des K-dramas et de la K-pop (importés clandestinement sur le territoire) qu’un autre monde existe et qu’une autre vie est possible.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce document mais ce compte rendu de lecture est déjà trop long à mon goût. La version papier de ce livre est aujourd’hui épuisée chez l’éditeur mais il est encore disponible au format numérique. Depuis sa parution, en 2012, d’autres témoignages ont été publiés et quelques romans écrits par des auteurs Nord-Coréens ont réussi à passer les frontières comme Des amis de Baek Nam-Ryong (Actes Sud, 2011), La dénonciation de Bandi (Picquier, 2016) ou Le camp de l'humiliation de Yu-kyeong Kim (Picquier, 2019). La liste est non exhaustive.
📌Les aquariums de Pyongyang de Chol-Hwan Kang avec Pierre Rigoulot (Robert Laffont, 2001)


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