La Submersion du Japon. Sakyo Komatsu

La Submersion du Japon. Sakyo Komatsu


Sakyo Komatsu (1931-2011) est considéré comme "le Roi de la science-fiction japonaise". Son roman d'anticipation, La Submersion du Japon a pris des allures prophétiques après le séisme qui a ravagé la côte Pacifique du Tōhoku en mars 2011. Paru en 1973 chez Kodansha, Nihon chinbotsu (la Submersion du Japon) a été adapté au cinéma par Shirō Moritani, la même année, puis par Shinji Higuchi en 2006. Le roman s'est vendu à plus de 4 millions d'exemplaires dans l'archipel nippon, avant d'être traduit dans une dizaine de langues. Il a également inspiré le manga de Tokihiko Ishiki.

La Submersion du Japon, sorti en librairie l'année du cinquantenaire du tremblement de terre de Kanto, exploite les peurs des concitoyens de Sakyo Komatsu. Le roman catastrophe débute avec la disparition d'une petite île dont un groupe de pêcheurs rescapés sont les seuls témoins. Les événements vont ensuite crescendo avec l'apparition d'éruptions volcaniques, de séismes et de Tsunamis en divers points de l'archipel nippon. Le Dr. Tadokoro, un géophysicien isolé du monde universitaire pressent que le Japon va bientôt disparaître. Il est bientôt rejoint par un groupe de chercheurs et de techniciens, comme Onodera, un pilote de submersible qui travaille pour une société privée de prospection sous-marine. Les dirigeants japonais, d'abord sceptiques, finissent par organiser une cellule de crise chargée de gérer les forces de sauvetage et d'organiser l'expatriation des Japonais vers d'autres pays. Il faut également préserver le patrimoine culturel nippon et transférer les richesses nationales. Le gouvernement japonais tente de manœuvrer dans la plus grande discrétion pour ne pas alerter l'opinion publique et les éventuels partenaires financiers. Il faut à tout prix éviter la panique et l'inflation économique. Parallèlement aux négociations des politiciens, les chercheurs poursuivent leurs travaux. Il s'agit de déterminer la date exacte de la submersion imminente de l'archipel.

Il me semble que Sakyo Komatsu a favorisé les questions pratiques et scientifiques au détriment des personnages qui sont peu développés. Ce parti pris à l'avantage du réalisme. Les amateurs de science-fiction apprécieront sans doute, mais ceux qui font des incursions occasionnelles dans le genre risque de se sentir un peu accablés par les détails scientifiques. La gestion politique de la crise, en revanche, est plutôt intéressante.

💪Grâce à ce livre, je participe au challenge Objectif SF 2025

📌La Submersion du Japon. Sakyo Komatsu, traduit par M. et Mme Shibata Masumi. Editions Picquier, 256 pages (2000)

Challenge Objectif SF 2025










Ce billet est recyclé de mon ancien blog

Shiki. Rosalie Stroesser

Shiki. Rosalie Stroesser


Entre 2015 et 2016, Rosalie Stroesser a fait trois séjours au Japon. Cet album en fait le récit. Il se focalise essentiellement sur le plus long qui a duré un an, soit 4 saisons. Les chapitres sont découpés selon cette temporalité (automne, hiver, printemps et été) mais comporte quelques ellipses. La bande dessinée n’est parue qu’en 2023 car elle a été longue à murir. L’autrice a toujours été fascinée par le Japon mais son rapport au pays est très ambivalent. Elle n’y a pas vécu que de bons moments et la société japonaise est encore assez rigide et patriarcale. 

C’est grâce à HelpX (Help Exchange), une association internationale qui propose des échanges logement contre services, que Rosalie Stroesser débarque dans une ville appelée Himeji (à 1h30 en train d’Osaka et d’Hiroshima) en novembre 2015. Elle doit travailler dans l’auberge en pleine campagne pendant quelques jours. C’est Yoji-San, le propriétaire. Rosalie partage un bungalow avec Miya, une israélienne. Elle doit aussi travailler avec d’autres jeunes femmes comme Léa, venue de Belgique, Beth qui arrive d’Allemagne et Elodie, la Québécoise. On comprends dès le début que quelque chose va mal tourner car le visage de leur hôte est flouté. 

Shiki. Rosalie Stroesser P38-39

Rosalie va devoir écourter son séjour à la campagne. Elle se rend ensuite à Tokyo où elle a trouvé un job de barmaid. Elle s’y fait de nombreux amis, dont Yusuke, et l’alcool coule à flot presque tous les soirs. C’est le temps des fêtes et de l’insouciance. Nous sommes en janvier 2016. Pour la première fois depuis son arrivée, il neige dans la capitale nippone. Rosalie (devenue Lily pour ses amis japonais) partage un appartement avec Nao, une jeune femme de son âge mais beaucoup plus (trop ?) sage.  

J’ai beaucoup apprécié la spontanéité et la franchise de l’autrice. C’est une jeune femme déterminée et pleine de ressources qui a su surmonter bien des difficultés et des expériences traumatisantes sans perdre sa joie de vivre et sa confiance envers le genre humain. Débarquée seule, dans un pays étranger comme le Japon, alors qu’on ne parle à peine la langue, c’est sans doute une expérience très enrichissante mais aussi un peu périlleuse. Rosalie en fera l’amère découverte.

Shiki. Rosalie Stroesser P224-225

La plupart des planches sont en noir et blanc mais le récit autobiographique est entrecoupé de petits textes informatifs sur la culture japonaise avec des illustrations pleine page en couleurs. On sent que l’autrice fait l’impasse sur certains évènements et on se prends à espérer qu’elle les racontera dans un prochain album. 

📋D'autres BD sur le thème du voyage et de l'expatriation en Asie ici

📌Shiki. 4 saisons au Japon. Rosalie Stroesser. Virages graphiques, 320 pages (2023)


Souffler sur le feu. Joe Sacco

Souffler sur le feu. Joe Sacco


Il y a une dizaine d’années, Joe Sacco s’est rendu dans le nord de l’Inde. Il a enquêté sur une série d’émeutes et d’affrontements intercommunautaires survenus dans plusieurs villages de l’Uttar Pradesh, au nord du pays. Ces évènements violents ne sont pas les plus graves parmi ceux enregistrés depuis la partition avec le Pakistan en 1947 mais ils ont une valeur emblématique au niveau du sous-continent indien et, de manière générale, la question de l’instrumentation de la violence dans la démocratie (avec plus de Neuf cents millions d’électeurs, l’Inde se pique d’être la plus grande démocratie du monde). L’auteur évoque également les émeutes de 1992 et la destruction de la mosquée d’Ayodhya qui avaient fait 2000 morts (ces évènements qui ont eu des répercussions jusqu’au Bangladesh sont évoqués dans le fameux livre de Taslima Nasreen, Lajja).

Le point de départ des investigations du bédéiste américano-maltais (et donc de l’album) est la découverte des cadavres de deux jeunes hommes dans le village de Kawal dans le district de Muzaffarnagar. Ils sont Hindous. Ils ont été lynchés par la foule après avoir poignardé un Musulman. Ils accusaient celui-ci d’avoir harcelé une jeune fille de leur clan, la caste des Jats. Nous sommes le 27 août 2013. Accompagné de Piyush Srivastava, un journaliste indien qui lui sert de guide, Joe Sacco se rend sur les lieux du drame, interroge les témoins, remonte le fil des évènements, tente de faire le tri dans les informations contradictoires. Parmi ses interlocuteurs, il y a des témoins directes et indirects, des représentants des différentes communautés religieuses, des chefs de village, des intellectuels (professeur de sciences politiques, avocat…), mais aussi des victimes, des femmes violées, des blessés, des réfugiés installés dans les camps de Malakpur et de Mansura. 

Souffler sur le feu. Joe Sacco. P6-7


Cette série d’entretiens  révèlent les failles profondes d’une société gangrénée par le clanisme et le communautarisme. Si Joe Sacco essaie de faire la lumière sur la série d’émeutes qui a embrasé le nord de l’Inde en 2013, ce n’est pas son unique but. L’idée est de pousser plus loin la réflexion, de montrer comment on instrumentalise la colère de la foule pour fragiliser les fondements de la démocratie et s’approprier le pouvoir. Pour mémoire, l’actuel Premier ministre indien, Narendra Modi est arrivé à la tête du gouvernement en 2014 et ne cesse depuis de promouvoir l’idéologie de l’Hindutva, portée par le B. J. P (Bharatiya Janata Party), le Parti du peuple indien. 

Bref, le contexte politique est compliqué et les évènements d’autant plus difficiles à démêler que les versions diffèrent beaucoup selon les intérêts des uns et des autres. Joe Sacco les présente au fur et à mesure de ses découvertes et non selon la chronologie des évènements. Cela n’en facile pas toujours la lecture. Je crois que Joe Sacco lui-même a éprouvé des difficultés à terminer ce projet. Cela expliquerait pourquoi il a mis plus de 10 ans à publier cet album. 

Souffler sur le feu. Joe Sacco. P1


Il ne reste pas moins que notre reporter graphique a effectué un travail remarquable, poussant les investigations aussi loin que possible. Cela n'exclut pas quelques pointes d'humour ou d'ironie de temps en temps. Cet album, qui élargi encore son périmètre d’observation, s’insère parfaitement dans l’œuvre que Joe Sacco construit depuis la parution de Palestine (Vertige Graphic, 1996). Il prouve une fois de plus qu’il est l’un des meilleurs représentants de la bande dessinée journalistique et documentaire. 

📚Voir aussi l’avis de Véronique sur le Blog Inde en Livres.

📌Souffler sur le feu: Violences passées et à venir en Inde. Joe Sacco, traduit par Sidonie Van den Dries. Futuropolis, 140 pages (2024)


Le Meurtre de la rue Blanche. Paul Colize

Le Meurtre de la rue Blanche. Paul Colize


En Belgique, comme en France, les magistrats sont débordés. Emma Toussaint, juge d’instruction à Bruxelles a plus de 80 dossiers en instance sur son bureau. Pourtant, le procureur du roi Lerminiaux a décidé de lui en confier un de plus. Evidemment, il a tout d’une patate chaude. Il s’agit du meurtre non élucidé du célèbre avocat d’affaires, Tanguy Anselme, qui a fait la une des médias quelques mois plus tôt. 

Aidée de son fidèle greffier, Fabrice Colet, la juge reprend l’enquête depuis le début et apprend que l’avocat était soupçonné d’appartenir à un réseau d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent. Emma Toussaint sait que cela n’exclu pas les mobiles plus personnels comme l’infidélité ou les luttes de pouvoir. 

Comme si elle n’avait pas assez de boulot, son greffier lui signale un appel anonyme dénonçant une erreur judiciaire. Il s’agit du premier dossier qu’ils ont traité ensemble : le meurtre de la rue Blanche. Une octogénaire avait été assassinée par son voisin toxicomane. L’enquête avait été vite pliée et le coupable envoyé en prison pour purger sa peine. Fabrice est ébranlé. Son interlocuteur anonyme continue de l’appeler, toujours le même jour, à la même heure. Faut-il rouvrir l’enquête? 

📚Je ne suis pas la seule à penser que ce roman n’est pas le meilleur de Paul Colize (voir d’autres avis via Babelio et Bibliosurf). Personnellement, j’avais beaucoup aimé Un monde merveilleux et c’est la raison pour laquelle j’attendais beaucoup de ce nouveau livre. 

La double intrigue donne un rythme soutenu à ce roman mais il y a des détails qui m’ont un peu gênée. La résolution du meurtre de l’avocat prend le lecteur par surprise parce qu’elle est rapidement expédiée. J’ai été agacée par certains personnages que j’ai trouvé caricaturaux et par des traits d’humour pas très finaux. En revanche, le duo antinomique Feu/glace, formé par Emma Toussaint et Fabrice Colet, fonctionne très bien. Cela donne envie de les retrouver dans une autre enquête. 

📚Un autre avis que le mien chez Hedwige

📌Le Meurtre de la rue Blanche. Paul Colize. Éditions Hervé Chopin, 320 pages (2024)


Routines. Fabien Truong

Routines. Fabien Truong


Il y a des livres vers lesquels je ne serais pas allée spontanément sans les recommandations de mes proches et qui s’avèrent finalement être de très bonnes surprises. C’est le cas de Routines, le premier roman de Fabien Truong (mais pas son premier livre). Il a publié en 2022 un essai intitulé La taille des arbres qui a été récompensé par le prix Amerigo-Vespucci.

Cléricourt est une ville moyenne de province comme il en existe tant d’autres dans l’hexagone avec ses notables, son hypercentre moribond, ses quartiers populaires, ses infrastructures municipales, etc. Cette ville que rien ne distingue apriori va pourtant focaliser l’attention de la presse nationale et de l’opinion publique française. 

Un forcené s’est connecté à un ordinateur de la bibliothèque municipale pour publier d’inquiétants tweets sur X. Des poèmes morbides, signés Votre serviteur, évoquent des décapitations à répétition. Celui qui se cachent derrière ce pseudo reste néanmoins très énigmatique sur son mobile. S’agit-il d’un terroriste, d’un extrémiste ou d’un dangereux désaxé sans objectif politique ou religieux ? Le lecteur connait le nom du responsable mais ne sait pas grand-chose de plus.

L’affaire s’emballe lorsque des familles signalent la disparitions de trois étudiantes. Des flics débarquent de Paris avec une brigade de spécialistes et de techniciens scientifiques. La médiathèque est auscultée de fond en comble, les membres du personnel interrogés, les nouveaux usagers suspectés. On procède à une perquisition musclée dans une tour de la cité, un dimanche matin pluvieux. Le maire pète un câble… 

Arrivée au ¾ du roman, le lecteur a assez d’éléments pour réunir les pièces du puzzle et comprend que rien ne pourra stopper la mécanique du drame en marche. Fabien Truong se joue des préjugés, des faux semblants et des codes du roman policier mais il est difficile d’en dire davantage sans divulgâcher l’intrigue.  Il brosse un portrait de la ville et de ses habitants qui m’a semblé très juste. Je ne doute pas que de nombreux lecteurs pourront reconnaître des situations ou des lieux familiers. 

 📚D’autres avis que le mien via Babelio 

📌Routines. Fabien Truong. Rivages, 300 pages (2024)


L’héritière. Gabriel Bergmoser

L’héritière. Gabriel Bergmoser


En ce début d’année maussade, j’ai eu envie de changer d’hémisphère et de partir à la découverte du continent littéraire australien. Gabriel Bergmoser est un jeune auteur qui vient de publier son second roman. Il conduit le lecteur dans une quête / traque qui laisse peu de temps morts mais beaucoup de cadavres sur le bord de la route. L’héroïne de ce thriller super vitaminé s’appelle Maggie. C’est une jeune femme abimée par une enfance difficile mais déterminée à comprendre pourquoi sa mère a pris la tangente, l’abandonnant à la garde de son père, un ex-flic alcoolique et violent. 

La jeune femme a elle-même pris la fuite après une ultime confrontation avec son géniteur. La rencontre a mal tournée et Maggie a quitté Melbourne pour se réfugier à Port Douglas, une station touristique au nord du pays. Elle a trouvé un emploi dans un bar miteux et un minuscule appartement en ville, grâce à Andrew, son patron. Elle tente d’y faire profil bas pour échapper à la police mais la jeune femme a une fâcheuse tendance à se fourrer dans les ennuis. Lorsqu’Andrew  est racketté par le chef de la mafia locale, Maggie ne peut s’empêcher d’y fourrer son jolie petit nez et décide de régler son compte au gangster. Elle pense s’en être définitivement débarrassé après l’explosion d’un entrepôt mais ce n’est que le début des problèmes. 

Notre héroïne va bientôt découvrir qu’elle n’est pas seulement recherchée par la police de Melbourne et les mafieux de Port Douglas. Un ancien collègue de son père, Harrison Cooper, l’a suivie jusque dans le Queensland. Il cherche un disque dur qui pourrait incriminer un membre des Scorpions, un dangereux gang de motards. Or, ce disque dur pourrait faire partie de l’héritage laissé par le père de Maggie et contiendrait également des informations sur sa mère. Il faut retourner le chercher à Melbourne. 

L’intrigue de ce roman est digne d’un bon film d’action. Maggie n’est pas une fragile orpheline. C’est une survivante, doublée d’une âme de justicière. Le cocktail abouti à une véritable hécatombe. Si le rythme du roman laisse peu de place à l’introspection, il y a quand même quelques passages dédiés au passé de la jeune héroïne. Cela s’avère plutôt utile puisque ce roman est en fait le second volet d’un diptyque. J’ai appris après coup, que La Chasse, le premier épisode publié en 2021, racontait la fuite de Maggie vers Port Douglas. L’héritière est donc, en quelques sortes, le trajet retour de l’aventure. Les deux tomes peuvent être lus séparément sans que cela nuise à la compréhension de l’intrigue. 

L’héritière est un thriller efficace, mené tambour battant mais sans être totalement dénoué de sentiments et de questionnements existentiels. Gabriel Bergmoser ne révolutionne peut-être pas le genre mais apparait comme un auteur à suivre. 

📚D'autres avis via Bibliosurf et Babelio

📌L’héritière. Gabriel Bergmoser, traduit par Charles Recoursé. Editions Sonatine, 272 pages (2024)