J'ai dû m'en aller. Mélanie Edwards

J'ai dû m'en aller. Mélanie Edwards


   « Avant de partir, j’ai acheté un petit carnet noir, qui me servira de journal de bord. Je voudrais ne rien oublier. D’abord parce qu’un voyage comme celui-là, je n’en ai pas fait souvent, et ensuite parce que je n’aime pas l’idée d’oublier des choses qui me sont arrivées. »

Dimitri, le jeune narrateur, est un lycéen relativement insouciant, sociable et bon élève. Il abandonne pour quelques jours sa petite amie Roxane (dont il ne sait plus trop s’il en est encore amoureux) pour partir en croisière dans les Cyclades avec son père et son frère cadet, Tom. Leur mère, qui n’a pas le pied marin, est restée en France pour s’occuper de Mamotte, la grand-mère malade. 

Le voyage ne commence pas sous les meilleurs auspices. En effet, lors de leur escale à l’aéroport d’Athènes, le petit groupe découvre qu’il va devoir attendre deux heures avant de récupérer sa voiture de location. Le père de famille, fatigué et contrarié par ce contre-temps, s’énerve un peu ce qui embarrasse grandement son fils aîné. Finalement après un pique-nique improvisé sur-place, tout semble rentrer dans l’ordre, et nos voyageurs peuvent prendre la route en direction de la mer. Un magnifique voilier les attend dans un port de la mer Egée. 

Les paysages splendides de la côte grecque, le bleu de la mer, la playlist de papa, les fanfaronnades de Tom et le dîner au resto achèvent de plonger nos héros dans une ambiance détendue de villégiature. Or, une nouvelle surprise les attend à bord du bateau ! Un passager clandestin ! Il s’appelle Seydou. Il est Malien et il n’a pas de papiers. Or, la police locale traque sans relâche les migrants illégaux qui se cachent sur le port et près de la plage. Tout le monde embarque manu militari sur le navire, y compris Seydou, à qui on n’a pas le temps de demander son avis. Le voilier prend la direction de la baie de Kéa comme prévu initialement au programme, et on verra plus tard comment se sortir de cette situation compliquée.

J'ai dû m'en aller est un roman d’apprentissage qui s’adresse aux jeunes lecteurs à partir de 12 ans. Bien que le roman soit assez court, Mélanie Edwards y aborde de nombreux thèmes. Sans divulgâcher l’intrigue, on peut mentionner l’amitié, l’amour filial, les premiers émois sensuels, mais aussi la perte de l’innocence, l’homosexualité, la pression sociale, le suicide, le deuil et bien sûr l’immigration clandestine et la pauvreté. C’est très dense et pourtant le livre se lit facilement. Les sujets les plus difficiles sont abordés en douceur. L’autrice incite les adolescents à réfléchir sur la société et sur eux-mêmes mais sans moralisation ni culpabilisation excessive. 

Le roman n’est pas pesant pour autant. De longs passages sont dédiés à la navigation (le vocabulaire est expliqué dans les notes de bas de page) et les plaisirs du cabotage plaisancier en méditerranée. L’autrice décrit bien les paysages insulaires, les couleurs et les odeurs. Les jeunes héros sont conscients de vivre une expérience unique et formidable.

Ce roman est né d’une expérience originale en collaboration avec l'association du Prix des Incorruptibles. Dans le cadre du Feuilleton des Incos, les élèves de 10 établissement publics et privés du secondaire (collèges et lycées) ont été invités à suivre tout le processus de publication du roman, depuis l’écriture du manuscrit, à laquelle ils ont pu participer, jusqu’à sa mise sous presse chez l’éditeur, en passant par le choix de l’illustration en couverture. 

💪Pour ma part, j’ai lu ce livre dans le cadre du Book Trip en Mer, organisé par Fanja. 

📚D’autres avis que le mien sur les blogs Bulles et chapitres et Parfums de livres

📌J'ai dû m'en aller. Mélanie Edwards. Bayard, 160 pages (2024)

Book Trip en mer


Chien Brun. Jim Harrison

Chien Brun. Jim Harrison


Chien Brun (plus souvent appelé par ses initiales C.B.) est le personnage fétiche de Jim Harrison. Il apparait dans six nouvelles de l’écrivain américain, publiées en intégrale chez Flammarion. La collection Folio propose une incursion dans la vie de ce personnage attachant au travers d’une novella de plus de 120 pages. 

On comprend assez vite que le bonhomme a l’art d’attirer les ennuis. Il faut dire que son penchant pour les alcools forts et les jolies filles l’y aident bien. Mais, au fond, C.B. est un brave gars. Lorsque Shelley Newkirk, une anthropologue qui lui sert de référente judiciaire, lui demande d’écrire son histoire dans une sorte journal intime, il le fait avec beaucoup d’honnêteté. C’est ainsi que le lecteur apprend comment il a été placé en liberté surveillée tandis que son associé, Bob, a écopé de 2 ans de prison à cause de lui. 

C.B. est sauveteur sous-marin. Le titre cache en fait une activité de charognard, pas toujours très légale. Lorsqu’il repêche le cadavre d’un Grand Sachem (un chef Indien), conservé depuis un quart de siècle dans le lac Supérieur (pour diverses raisons liées à la chimie du lieu les corps ne gonflent pas et leur intégrité reste préservée), Chien Brun est certain de se faire un bon paquet d’argent. Etant donné la propension de notre héro à se fourrer dans les embrouilles les plus rocambolesques, vous aurez deviné que rien ne va se passer comme il l’espérait. 

Peu de temps après cette affaire, Shelley et ses assistants le tannent pour qu’il les conduise sur un site funéraire indien inconnu des chercheurs. C’est le Graal qui lui a permis de coucher avec la jeune femme après lui avoir fait croire qu’il avait du sang Chipppewa (Chien Brun, son nom anishinabé, n’est qu’un surnom qu’il doit à une mésaventure amoureuse avec une jeune Amérindienne). Or, C.B. a promis à son ami Claude de ne jamais profaner la sépulture. 

Quel plaisir de renouer avec Jim Harrison ! C’est l’un de mes écrivains américains favoris, avec Annie Proulx, Russel Banks et Cormac McCarthy. Il m’a ouvert une fenêtre sur la littérature des grands espaces et des petites gens. Et pourtant, je ne connaissais pas le personnage de Chien Brun, sorte d’alter ego de l’auteur. 

Il y a un petit côté Vagabond céleste chez notre héro même s’il se définit lui-même comme un gars pas bien malin. Pour le reste, on retrouve les thématiques chères à Jim Harrison, son rapport à la nature et ses penchants épicuriens. Il est l’écrivain de la marginalité mais il y a beaucoup d’humour et de dérision dans ses textes.    

Big Jim, qu’on a surnommé aussi le Gargantua Yankee pour son appétit ou le Cyclope à cause de sa dégaine, est et restera un géant de la littérature. Il a laissé derrière lui une œuvre à la fois universelle et éclectique (romans, nouvelles, recueils de poésie et mémoires), héritière de Thoreau et de Kerouac, et dont les thèmes se renouvellent à travers les représentants du Nature Writing. Son épitaphe préférée ? 

« Nous aimons la terre mais nous n’avons pas pu rester ». 

📌Chien Brun. Jim Harrison, traduit par Brice Matthieussent. Folio, 128 pages (2023)


L'Eté des quatre rois. Camille Pascal

 

Voici un pavé qui parle d’une révolution (la boutade était facile) finalement méconnue, celle de 1830. Pour Camille Pascal, c’est pourtant un évènement charnière qui, plus que la révolution de 1789, marque véritablement la fin de l’ancien régime. Certes, un roi en chasse un autre (même trois autres si on compte le Dauphin et le petit duc de Bordeaux après l’abdication de Charles X) mais Louis-Philippe 1er (dont le choix de nom de règne composé le démarque déjà de ses prédécesseurs) ne gouverne pas de la même manière que ses cousins Bourbons. Il n’accède pas au trône par la seule volonté de Dieu mais par celle du peuple… même s’il s’agit en fait d’un tour de passe-passe. Le représentant de la branche cadette inaugure la mise en place du régime parlementaire. Cela ne suffira pas à sauver la royauté puisque 18 ans après son avènement, la maison d’Orléans disparaîtra comme elle est arrivée : avec des barricades ! L’autre fait marquant de la révolution de 1830 est le rôle joué par la presse, si bien qu’on peut parler de premier coup d’état médiatique en France.

Pour l’heure, c’est encore le vieux Charles X, frère cadet de Louis XVI et de Louis XVIII, qui est au pouvoir. Il vient de remporter une importante victoire contre le Dey d’Algérie et pense son autorité désormais bien assise sur le trône de France. La succession est assurée, en dépit de l’assassinat du duc de Berry, qui laisse un héritier, considéré comme un enfant miracle (posthume). Sa fille aînée (et légitime), Louise d’Artois, ne compte bien sûr pas dans l’ordre d’accession au trône. Le Dauphin, le duc d’Angoulême, marié à sa cousine orpheline du Temple (fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette), n’a pas de descendance. De toute façon, il n’a pas la faveur du monarque qui le juge incompétent à cause de ses crises d’épilepsie et de son manque d’assurance. Il est vrai que le Dauphin, écrasé par le charisme et l’ironie de son père, perd tous ses moyens en sa présence. Mais Charles X est un homme d’un autre temps, habitué aux usages de l’ancienne cour et qui n’a rien appris de son séjour prolongé en exil. Il n’a pas les atouts du Bien-aimé Louis XV, le dernier roi flamboyant.

Au matin du lundi 26 juillet, le roi Charles X est en villégiature estivale au château de Saint-Cloud. Il se lève en grande pompe, comme l’exigent les vieilles règles de l’Etiquette. Et il est fort content de lui-même, persuadé d’achever enfin son grand œuvre : la restauration pleine et entière du pouvoir des Bourbons. Les ordonnances qu’il a signées la veille, ont été portées au Moniteur, pour être publiées officiellement. Elles prévoient notamment la suspension de la liberté de la presse, la dissolution de la Chambre des députés, dominée par les Libéraux, et la restriction du droit de vote. Museler la presse, c’est déclarer le décès des journaux politiques comme le Globe ou le National. Adolphe Thiers, qui dirige ce dernier, réplique aussitôt. Or, il a des appuis sérieux au sein du gouvernement et du grand capital. Jacques Laffitte, le prince de Talleyrand et James de Rothschild sont de ceux-là. La mèche s’embrase lorsque la police débarque dans les locaux des journaux pour fermer les imprimeries. Les ouvriers typographes sont parmi les représentants du peuple les plus éduqués et les plus politisés. Les priver de leur gagne-pain, c’est les pousser dans la rue pour manifester. Or, la presse n’est pas la seule à s’agiter. Les bourgeois, qui paient des impôts, refusent d’être des citoyens passifs, privés de vote par le retrait de la patente dans le calcul du cens électoral. Bref, ça gronde partout dans les chaumières comme dans les hôtels particuliers !

Camille Pascal ne se contente pas de raconter une histoire (en l’occurrence la grande Histoire), il en façonne élégamment chaque tournure et lui insuffle un supplément d’âme comme seul un historien maîtrisant pleinement son sujet peut le faire. La langue est précise, l’écriture enlevée et le style plein de verve. Par ailleurs, les portraits que Camille Pascal brosse des différents protagonistes sont un régal de dérision. Le roi est poseur et surannée, le Dauphin est un abruti, la duchesse d’Angoulême est tantôt hystérique tantôt catatonique, la duchesse du Berry est exaltée et frivole (pour ne pas dire nymphomane), les Ultraroyalistes ont l’honneur ridicule, les pairs de France sont des couards hautement corruptibles, les écrivains sont imbus d’eux-mêmes et se drapent pompeusement dans leur propre littérature, les bourgeois sont vénaux, la populace est bestiale, les femme du peuple sont échevelées et dépoitraillées, les soldats suent sang et eau, tandis que la domesticité décampe… le lecteur est téléporté au cœur des évènements, il les suit heure par heure, de château en château, dans chaque salon et à chaque coin de rue où se jouent la révolution, pendant les Trois Glorieuses (du 26 au 28 juillet), puis la débâcle de Charles X jusqu’à Cherbourg, port de salut vers un nouvel exil (16 août).

💪J’ai découvert Camille Pascal sur le blog de Luocine grâce à sa recension de L’air était tout en feu. Puis j’ai vu qu’il avait écrit un premier roman sur la révolution de 1830, L’Eté des quatre rois, qui avait également enchanté KeishaAleslire et Eimelle. J’ai immédiatement téléchargé le livre sur ma liseuse où il est resté stocké jusqu’à aujourd’hui à cause de ses 700 et quelques pages. Les challenges littéraires estivaux, organisés par La Petite Liste et Ta_d_loi_du_ciné, étaient l’occasion idéale de m’y plonger enfin. Pour ceux qui hésiteraient à se lancer dans la lecture d’un tel pavé, je signale qu’il existe une adaptation en BD par Hervé Loiselet (scénario) et Antonin Dubuisson (illustrateur) aux éditions Philéas parue en 2023. 

📝Parmi les belles plumes qui s’intéressent à l’histoire, je recommande également Philippe Claudel.

📌L'Eté des quatre rois. Camille Pascal. Pocket, 752 pages (2019)

Challenges Pavés de l'été + Epais de l'été


Le maître a de plus en plus d'humour. Mo Yan

Le maître a de plus en plus d'humour. Mo Yan


 La propension de Mo Yan a « fusionné le conte populaire, l’histoire et le contemporain dans  un réalisme hallucinatoire » lui a valu le prix Nobel en 2012. Ce style, reconnaissable entre tous, peut parfois déstabiliser le lecteur occidental mais, pour ma part, je l’apprécie beaucoup. La novella intitulée Le maître a de plus en plus d’humour est assez emblématique de son œuvre. Il ne faut pas se fier à la naïveté de façade de l’écrivain. A travers l’histoire de Ding Shikou, dit maître Ding ou Lao (vieux) Ding, il met en évidence les disfonctionnements de la nouvelle société chinoise, le capitalisme sauvage, les patrons sans moralité, l’hypocrisie des politiciens et la nécessité pour les plus faibles de recourir à la débrouille.

Pendant plus de 40 ans, Ding Shikou a été un ouvrier exemplaire de l’Usine de fabrication de matériel agricole d’où son surnom de maître Ding. Après bien des remaniements pour s’adapter à l’évolution de la société, puis du marché, l’entreprise ferme définitivement ses portes. C’est le coup dur pour le vénérable maître Ding qui était à un mois de la retraite. Or, dans la Chine des années 90, le versement des pensions est pour le moins aléatoire. Comment va-t-il survivre dans ces conditions ? Lao Ding n’a plus l’énergie des jeunes ouvriers et ne connais pas les règles du nouvel ordre économique. Il n’a pas d’enfant pour le soutenir, juste son épouse lui rappelant que la bourse du ménage est presque vide. Les mielleuses courbettes des directeurs et les fausses promesses du maire ne l’aideront pas beaucoup.

C’est donc très choqué par la nouvelle de son licenciement que notre héros enfourche son antique vélo de marque "Défense nationale" pour rentrer chez lui et en tombe quelques mètres plus loin. Les frais engendrés par les semaines d’hospitalisation ne feront qu’empirer sa situation déjà précaire. La porte du maire restera close et Maître Ding a trop d’amour propre pour accepter l’aumône d’un sous-fifre. Malgré les injonctions de son épouse il refuse donc de faire le pied de grue devant l’hôtel de ville. Il découvre alors que ses ex collègues ont trouvé des solutions pour s’en sortir et son ancien apprenti, Xiaohu, lui suggère de lancer à son tour une petite affaire clandestine. Bien que le vieux Ding rechigne à faire quelques accrocs à la loi et aux bonnes mœurs, il finit par céder aux appels du ventre. La suite de l’histoire fera dire à son apprenti que maître Ding à de plus en plus d’humour… sauf qu’ils ne vont pas rire longtemps ! 

Ce texte est sans doute l’un des plus courts publiés en France. En général, les nouvelles de Mo Yan sont réunies dans des recueils assez conséquents et la plupart de ses romans sont des pavés. Je dois dire que la chute de cette histoire m’a prise au dépourvue et que je me suis sentie un peu frustrée. Non par la conclusion de l’intrigue, qui tient parfaitement la route, mais parce j’avais envie de continuer mon chemin dans cet univers romanesque que j’apprécie tant.  J’ai retrouvé, dans cet opus, la verve de Mo Yan et ce style d’écriture particulier que j’avais découvert dans Lèvres rouges, langues vertes, son dernier livre publié en France. Le maître a de plus en plus d'humour est un opus approprié pour découvrir cet écrivain singulier mais pour ma part, je préfère désormais poursuivre avec des ouvrages plus imposants.

📚J’ai eu le grand plaisir de partager cette lecture avec Sacha, dont on peut lire l’avis sur son blog.  Fanja l'a lu et apprécié aussi.

📌Le maître a de plus en plus d'humour. Mo Yan, traduit par Noël Dutrait avec ses étudiants de l'Université de Provence. Points, 128 pages (rééd. 2024) / Seuil, 108 pages (2005)


Quand tombent les montagnes. Tchinguiz Aïtmatov

Quand tombent les montagnes. Tchinguiz Aïtmatov


 Les montagnes dont il est question dans ce beau roman sont celles du Tian Shan, les Monts célestes, au sud-est du Kirghizistan. C’est le point culminant du pays, à la frontière de la Chine. Son sommet, le Jengish Chokusu (indépendance en kirghize) s’élève à 7 439 mètres d’altitude. Le Tian Shan fait partie des monts sacrés du tengrisme, une religion chamanique d’Asie centrale. C’est aussi le territoire du fantôme des montagnes, le léopard-flèche ou Jaabars, ainsi que les autochtones nomment la panthère ou le léopard des neiges. C’est d’ailleurs sous ce titre, Le léopard des neiges, que ce livre est paru pour la première fois en France (Editions Le Temps des cerise, 2008). Il est considéré comme le roman testament de Tchinguiz Aïtmatov, décédé la même année. 

L’auteur introduit d’abord le félin.  Dans notre intrigue, Jaabars est un léopard vieillissant qui a été ostracisé de la horde dont il était auparavant le mâle dominant. Au terme d’un voyage éprouvant, il se trouve bloqué en contrebas du col d’Ouzenguilech-Strémiannoï. Le fatum le conduit au fond de la grotte Molotach où son destin va se fondre dans celui d’un humain. 

Le jumeau de prédestination de Jaabars s’appelle Arsène Samantchine. Il est journaliste indépendant et vit dans la capitale à Bichkek. Il est, lui aussi, inadapté au monde nouveau, celui des oligarques nés après la chute du régime soviétique. Une scène extrêmement humiliante pour ce personnage montre comment il est expulsé manu militari d’une soirée au célèbre restaurant Eurasia et parallèlement éconduit par celle qu’il considérait comme la femme de sa vie. Aïdana Samarova, la diva qu’il a connu lors d’un séjour romantique à Heidelberg, a définitivement renoncé à l’opéra pour devenir chanteuse de variétés. Une compromission en faveur de la culture de masse bien plus lucrative que l’avenir offert par son soupirant malheureux. Arsène ne peut que constater que la diva s’est "enlimousinée" (la limousine étant le symbole privilégié de la réussite sociale dans les pays de l’ex bloc de l’Est) ! 

Lorsque l’oncle d’Arsène, venu de son village natal, se présente avec une porte de sortie, notre héros accepte immédiatement. Le parent en question, ancien président du kolkhoze de Touyouk-Djar, dirige désormais une société florissante spécialisée dans l’organisation de chasse. Ses clients du moment sont deux princes arabes. Ils espèrent bien arracher au Tian Shan son plus beau trophée : celui du léopard des neiges. L’expédition nécessite la présence d’un traducteur parlant Anglais, Russe et Kirghize. Pour la population locale de Touyouk-Djar, l’évènement est censé être une occasion unique de profit. Il faut dire que la vie est dure dans cette région subissant le contrecoup de la nouvelle économie de marché. L’organisation de cette chasse suscite aussi beaucoup de controverses et réveillent des appétits inattendus. Arsène, lui-même, est confronté à des ambitions contradictoires. Il espère satisfaire son oncle et réunir assez d’argent pour monter l’opéra dont il a toujours rêvé au risque de trahir ses belles convictions.

Ce roman magnifique est à mi-chemin entre la fable et le pamphlet. Les personnages principaux suscitent forcément l’empathie du lecteur. Arsène et Jaabars, apparaissent comme les victimes d’un monde cruellement cyclique où les plus faibles (les vieux, les pauvres, les naïfs, les sentimentaux et les rêveurs) n’ont plus leur place. Ce roman est aussi un voyage à travers les terres méconnues d’Asie centrale. Pour ma part, j’ai toujours été fascinée par les « Stan » (Kirghizistan, Ouzbékistan, Kazakhstan, Tadjikistan). Ces pays me semblent tellement énigmatiques. Les autres habitants des anciennes républiques soviétiques eux-mêmes ont longtemps ignoré les traditions et le mode de vie de ses populations.  Ils nous ont été révélés à travers leurs littératures, dont Tchinguiz Aïtmatov est l’un des principaux représentants. C’est d’ailleurs le destin tragique d’un autre personnage, Djamilia (Gallimard, 1958), qui l’a fait connaître dans le monde entier.  

Quand tombent les montagnes. Tchinguiz Aïtmatov. Editions Paulsen, 256 pages (2024) / Le léopard des neiges, Editions Le Temps des Cerises (2008)


Cartes marines. Marine Le Breton

Cartes marines. Marine Le Breton

💪Dans le cadre du Book Trip en mer organisé par Fanja, je veux vous présenter un livre original qui fera rêver les esprits aventureux et comme les âmes délicates, sensibles à l’esthétisme et la littérature. Ce recueil, dédié à George Perec, est sous-titré « Poésie du littoral français en 130 cartes ». Il réconcilie donc les sciences et les arts, en brossant le portrait des côtes françaises. 


Saint-Malo, Bretagne

Bien qu’extrêmement rigoureuses, les cartes n’ont pas été réalisées sur ordinateur mais exclusivement à la main, selon des techniques très personnelles. Marine Le Breton n’utilise que l’encre et les feutres à pointes fines. Elle a instauré ses propres codes graphiques, utilisant traits, hachures, courbes et bâtons. Les rochers sont représentés par des quadrillages, par exemple, tandis que la ligne de côte se fait tantôt bouillonnante d’écume lorsqu’elle est sauvage, tantôt fine et aérée lorsqu’elle se veut accueillante. L’artiste cartographe réalise ainsi une sorte de broderie graphique qui rend intelligible au profane les cartes très techniques de l’IGN et du SHOM (Service Hydrographique et Océanographique de la Marine). Les données scientifiques (issues de Geoportail) comme la toponymie, la profondeur marine et le bâtit sont respectés… avec quelques libertés.


Golfe du Morbihan, Bretagne


Le livre est divisé en quatre grands chapitres. Les trois premiers sont consacrés aux côtes de la Manche, de l’Atlantique et de la Méditerranée. La dernière partie, intitulée POP, présente des cartes pétillantes de couleurs, un peu dans l’esprit des portulans où, plus proche de nous, à la manière des Frères Cassini.  La numérisation, qui permet la représentation en 3D et les zooms intempestifs, n’est donc pas l’unique moyen de donner vie à l’objet géographique. L’ouvrage compte enfin 3 dépliants et 3 ex-libris. La préface est signée du chanteur breton Miossec et le texte de présentation par Denis Roland, conservateur au Musée de la Marine de Rochefort .


Les Calanques, Bouches-du-Rhône


Les planches sont accompagnées de 50 textes, qui sont autant de témoignages, et dont les auteurs viennent d’horizons multiples : cartographes, géographes et océanographes mais aussi artistes, photographes, journalistes ou encore commandants de port, navigateurs et maraîchers insulaires. Des poèmes et des extraits tirées de la littérature française et étrangère nous rappellent, s’il était nécessaire, que la mer et ses paysages ont toujours fasciné les écrivains. Ainsi, les proses de Victor Hugo, de Marcel Pagnol, de JMG Le Clézio, d’Arturo Perez Reverte ou de Vladimir Nabokov nous donnent à voir toute la beauté des paysages maritimes sublimés par Marine Le Breton. 


La Hague, Normandie


Marine Le Breton, cela ne s’invente pas, est d’origine normande. Hasard ou destin lié à son patronyme, c’est à Locmariaquer dans le Morbihan, que cette artiste formée aux Beaux-arts de Lyon a trouvé l’inspiration.  Débuté en 2019, le projet a donné lieu à plusieurs expositions à La Rochelle, où elle s’est installée, mais aussi à Rochefort ou à Loix (île de Ré). En 2022, la Marine nationale a récompensé le travail de la dessinatrice en lui décernant le prix Louis-Eugène Gillot, une distinction historique du Salon des Beaux-Arts.

📌Cartes marines. Marine Le Breton. Editions Epa (Hachette), 304 pages (2023)

Book Trip en mer


Sève. Olivier Gallien

Sève. Olivier Gallien

J’ai choisi ce roman pour trois raisons : 1) L’intrigue se passe en Corse, 2) c’est un thriller, 3) le livre compte moins de 200 pages. 

Septembre 1993. Ghjulia Mondoloni, éditrice à Paris, atterrit sur l’île de beauté. Son frère est mort et elle a hérité de la demeure familiale. C’est son cousin, Jean, qui vient la chercher à l’aéroport. Ecrivain n’ayant jamais rien publié, il vit dans la maison des Mondolini qui est aussi celle de son enfance. Ici, Ghjulia n’a pas que de bons souvenirs. Ses parents ont divorcé quand elle avait une dizaine d’années. Elle est repartie vivre sur le continent avec sa mère tandis qu’Antoine, son frère, restait en Corse avec son père. Elle est donc devenue une Pinzuti, une étrangère sur sa propre terre. Jean, qui était orphelin, vivait avec Antoine et son père comme un membre à part entière de la cellule familiale. Ghjulia a longtemps était jalouse de lui mais il est impossible de détester ce cousin si prévenant. En revanche, le sentiment d’abandon ne l’a jamais quittée et elle a nourri beaucoup de rancœur vis-à-vis de son paternel. Elle n’est revenue que pour comprendre le geste de son frère Antoine : le suicide lui ressemble si peu. Que s’est-il passé en ce lieu isolé, sans moyens de communication ? Le voisinage n’est guère accueillant. Pourquoi le terrain est-il jonché de douilles de cartouches ?    

Olivier Gallien signe un roman efficace, mené tambour battant dans la chaleur écrasante du maquis corse. La tension monte crescendo au sein de ce huis clos et on comprend très vite qu’il y aura des dommages collatéraux. Le lecteur se laisse facilement happer par l’intrigue en dépit de quelques bémols. 

On peut trouver surprenant qu’une éditrice parte en congés en pleine période de rentrée littéraire sachant que les funérailles ont eu lieu quelques semaines plus tôt. Mais bon, Ghjulia est en deuil après tout. Julie, la troisième protagoniste, qui semble apparaitre dans l’histoire comme un cheveu sur la soupe, est une toute jeune fille. Au premier abord, elle aussi déjantée que n’importe quelle adolescente de son âge. Elle va parfois se révéler plus mature que l’héroïne quadragénaire et surtout très utile à l’intrigue. Certains personnages sont un peu caricaturaux mais cet aspect est parfaitement assumé par l’auteur. Je n’insiste pas car Olivier Gallien a signalé dans une interview qu’il était très attaché à eux. Je n’ai pas envie de le contrarier. Son roman n’est pas un simple thriller. C’est aussi un hymne désabusé à la famille et à la terre natale. 

Sève est le second roman d’Olivier Gallien, après Dans la neige ardente (Robert Laffont, 2022 / Pocket, 2023).

D’autres avis que le mien via Bibliosurf et Babelio

Sève. Olivier Gallien. Robert Laffont, 192 pages (2024)


Meet Me at the Museum. Anne Youngson

Meet me At The Museum VO vs VF

 

 « Un jour j'irai à Aarhus / Pour voir sa tête brune comme tourbe / Les douces cosses de ses paupières / Sa casquette de peau en pointe ». 

Ainsi débute le poème du poète irlandais Seamus Heaney, dédié à l’Homme de Tollund. Il a inspiré à Anne Youngson un court roman épistolaire dont l’intrigue se situe entre le Royaume-Uni et le Danemark. 

Tina Hopgood vit dans une ferme à Bury St Edmunds dans le Norfolk avec son mari, ses enfants adultes et leur progéniture. Tout le monde travaille sur l’exploitation familiale.  Arrivée au mitan de sa vie, alors que son amie d’enfance vient de mourir, Tina décide que c’est peut-être le moment pour elle de réaliser le vieux rêve qu’elle partageait avec Bella : se rendre au musée de Silkeborg dans le Jutland où est exposée la dépouille de l’Homme de Tollund. Lorsque les deux copines étaient adolescentes, le professeur Glob, auteur de The Bog People (Le peuple des tourbières), leur avait dédié son livre. Durant le haut Moyen-Age, l'Est-Anglie a été confrontée aux envahisseurs vikings venus du Danemark et intégrée au Danelaw (littéralement le territoire où s’applique la loi des Danois). Du coup, Tina se demande si ses ancêtres pourraient avoir un lien avec cette fameuse momie.

Notre ménagère, qui semble fort déprimée et un tantinet excentrique, décide donc de se rappeler au bon souvenir du chercheur par l’intermédiaire d’un courrier qui ressemble davantage à une bouteille à la mer. Contre toute attente, elle obtient une réponse. Non pas de Peter Vilhelm Glob, qui aurait atteint l’âge vénérable de 104 ans s’il n’était décédé depuis une bonne quinzaine d’années, mais du curateur du musée de Silkeborg, Anders Larsen. Une correspondance nait ainsi entre la Britannique et le Danois. Bien que leurs personnalités et leurs chemins de vie semblent aux antipodes, un lien se crée, nourri de leurs échanges épistolaires. Tina a le sentiment d’être passé à côté de sa vie, tandis qu’Anders se remet difficilement de la disparition de son épouse, Birgitt, une femme fragile et imprévisible. Sa fille vit à Copenhague et son fils en Norvège. Leurs relations ne sont pas mauvaises mais ils ne se voient pas très souvent.  Bref, chaque protagoniste cherche inconsciemment à combler un vide dans sa vie. 

C’est la mention de la momie de Tollund qui m’a attirée vers ce livre même en devinant qu’elle n’en serait pas l’héroïne principale. Je savais aussi que le roman avait toutes les chances de pencher vers la conclusion romantique, sans érafler bien sûr le crédit sympathie des personnages (je ne pense pas divulgâcher l’intrigue en le mentionnant, tellement le fait est téléphoné dès le début de l’histoire). Le contexte dans lequel débute la correspondance entre Tina et Anders est relativement tiré par les cheveux mais peu importe puisqu’il y a l’ivresse de la lecture. 

Meet Me at the Museum (Il n'est jamais trop tard dans la version française) répond, comme on s’y attend, aux codes du roman Feel good. C’est le genre de livres que je ne lis jamais en Français mais que je trouve moins agaçant en V.O. J’ai donc passé un agréable moment de lecture grâce à un roman facile à lire, plein de bons sentiments et sans grande surprise. 

📚 Audrey, qui a lu la version en Français, est plus enthousiaste que moi. 

💪J’ai lu ce livre pour répondre à l’invitation de Madame lit et de Et si on bouquinait un peu dans le cadre du défi consacré au roman épistolaire.

📝Sur le même thème : Quand souffle le vent du nord de Daniel Glattauer

📌Meet Me at the Museum. Anne Youngson. Flatiron Books, 288 pages (2019) / Black Swan, 240 pages (2019)/ Il n'est jamais trop tard, traduit par Perrine Chambon. Denoël, 256 pages (2019)

Lecture de romans épistolaires


Dette d’oxygène. Toine Heijmans

Dette d’oxygène. Toine Heijmans


 La "dette d’oxygène" est un phénomène physiologique qui se produit durant l’effort d’un athlète. On imagine bien le déficit d’oxygène que doit représenter l’ascension d’une montagne dont le sommet culmine à plus de 8000 mètres d’altitude. Il y a de quoi être un peu essoufflé ! 

Le narrateur, Walter Welzenbach, est un quinquagénaire qui s’est confronté plusieurs fois à l’Himalaya et s’en est toujours sorti indemne physiquement. Ce récit est celui de sa dernière aventure, une manière de dire adieu à la montagne, pour faire le deuil de sa vie d’alpiniste, de sa jeunesse et de son amitié avec Lennaert Tichy. Lenny n’est pas un simple compagnon de cordée. Il est à l’origine de la passion de Walter pour l’alpinisme. C’est lui qui l’a initié à ce sport lorsqu’ils étaient étudiants à La Hague, s’entraînant à escalader des ponts à défaut de montagnes. Les Pays Bas étant ce qu’ils sont, nos deux Néerlandais sont partis s’installer dans l’une des villes berceaux de l’alpinisme, à Chamonix. Ils se sont nourris des exploits de leurs héros comme Reinhold Messner, Tom Ballard, Walter Bonatti, George Mallory, Tenzing Norgay ou Alison Hargreaves. Les deux gens jeunes rêvaient d’ouvrir leurs propres voies. Mais que reste-t-il à conquérir ? L’Himalaya ressemble désormais à un parc d’attraction exploité par des agences spécialisées. Elles sont le ticket d’accès aux sommets. Cela coûte très cher et pas seulement en monnaie trébuchante. La montagne est sans pitié. Elle prend des bouts de corps mais aussi des vies.  

Les chapitres de ce roman sont désignés par des altitudes, de 3 mètres à 8 848 mètres, qui sont autant de balises dans la vie du narrateur. Chacune évoque un souvenir d’escalade avec Lenny. Parmi ceux-ci, il y a l’escalade de l’Annapurna, celle qui a emporté les ambitions du sportif. Il a eu la vie sauve mais plus rien n’a jamais été comme avant. Lenny a finalement décidé de se consacrer à sa nouvelle famille. Walter, lui, est un personnage ambivalent. On comprend dès le début du récit que quelque chose cloche. Mais quoi ? Son esprit de compétition ? Son besoin de solitude ?  Pourquoi prend-t-il autant de médicaments ? 

Il est difficile de lâcher ce livre avant la fin tant la tension est forte. Le héros n’est pas toujours sympathique mais on quand même envie de le voir réussir sa sortie. Ce dernier défi n’est pas anodin à plus d’un titre. Au fil de son ascension, Walter fait le bilan de sa vie et, contre toutes attentes se remet un peu en cause. J’ai fini par éprouver de l’empathie pour le personnage. Toine Heijmans se défend d’avoir écrit uniquement un récit sportif dédié à l’alpinisme. Pour lui, Dette d’oxygène est avant tout un roman psychologique et philosophique dont le socle est une histoire d’amitié. Il décrit merveilleusement bien les sentiments qui animent le grimpeur : la volonté de se dépasser, la peur de mourir et la douleur physique.  Il nous restitue la blancheur monotone des paysages sans arbres ni oiseaux, le froid et le vent qui harcèlent le héros sans relâche, la crainte du manque d’oxygène aussi bien sûr. Enfin, il y a ce dont on ne perle pratiquement jamais : le travail de forçat des Sherpas montant et redescendant sans cesse la montagne pour baliser le chemin, installer les camps, assurer l’essentiel de la logistique et évacuer les détritus que les alpinistes laissent derrière eux.

Toine Heijmans s’est fait connaître en France grâce à un autre roman d’aventure, En mer (éditions Christian Bourgois, 2013), qui a été récompensé par le prix Médicis étranger.

📚On peut lire un autre avis sur Dette d’oxygène chez Livr’escapades, ma complice en lectures d’altitude.  

📝Sur le même thème, je recommande Les Flammes de Pierre de Jean-Christophe Rufin et Au milieu de l'été, un invincible hiver de Virginie Troussier

📌Dette d’oxygène. Toine Heijmans, traduit par Françoise Antoine. Belfond, 288 pages (2023) / 10/18, 360 pages (2024)


L’espion du Débarquement. Patrick Query

L’espion du Débarquement. Patrick Query


 Dans le contexte des commémorations du 6 juin 44, le titre de ce livre parait bien accrocheur. La couverture, en revanche, est chouette et j’ai voulu savoir quelle plume se cachait derrière le pseudonyme de Patrick Query. Ma curiosité a été récompensée car j’ai découvert un roman d’espionnage de bonne facture.

Nous sommes en mai 1944, soit quelques jours avant le lancement de l’opération Overlord. Le héros de l’intrigue est le lieutenant Alan Lester. C’est un jeune aristocrate anglais, fils d’un diplomate dont le bras est assez long pour le sortir d’une impasse. Après une désastreuse opération d’espionnage au sein de la résistance française, Alan en revenu estropié et légèrement désabusé. Il doit désormais rester cantonné au service cartographique dans les bureaux londoniens du renseignement militaire. Lors d’une visite privée dans sa famille, le jeune lieutenant découvre que des informations ultra secrètes sont divulguées via la grille de mots croisés du Daily Telegraph. Seuls les agents accrédités "bigots" sont censés connaître les dates et lieux exacts du déparquement. Si les Nazis parvenaient à mettre la main sur ces renseignements, toute l’opération Overlord pourrait être compromise. Jusqu’ici, le mystère a été préservé grâce à une vaste campagne de désinformation organisée par la London Controlling Section. Les agents utilisaient de nombreux leurres destinés à mystifier les Allemands, dont un sosie du général Montgomerry. Avec l’aide de Scotland Yard, ainsi que des services du MI-5 et du MI-6, Alan Lester, doit démasquer le cruciverbiste anonyme et la taupe qui lui sert d’indicateur. Il s’agit aussi de déterminer si Sir Douglas Arnold, le directeur du journal, est impliqué dans ce dossier sensible.

J’ai été littéralement happée par cette intrigue s’inspirant de faits réels. Dans un premier temps, les agents des services secrets se lancent presque mollement dans une enquête qui ressemble à la routine avant de comprendre les véritables enjeux de l’affaire. Dès lors, ils s’investissent dans une chasse à l’homme digne des meilleurs films d’action hollywoodiens. Le lecteur, qui connait forcément une partie du dénouement, ne se désintéresse pas pour autant de cette traque échevelée. Vithar, l’espion allemand, sera-t-il arrêté ? On tourne les pages sans s’en rendre compte, et on les oubliera sans doute aussi vite, mais on aura profité d’un agréable moment de lecture.

📝Si vous avez l'occasion de séjourner en Normandie, je vous recommande de visiter en priorité le Mémorial de Caen (et sa riche librairie spécialisée) et le Musée du Débarquement à Arromanches (ainsi que sa plage avec les vestiges du port artificiel). 

📌L’espion du Débarquement. Patrick Query. Editions Nouveau Monde, 384 pages (2024)


Lulu. Léna Paul-Le-Garrec

Lulu. Léna Paul-Le-Garrec


« Je me demande souvent d’où provient le déterminisme des prénoms. Comment tant de gens peuvent avoir le même caractère. À la naissance, reçoit-on une petite liste d’attentes sociales avec lesquelles il faudra être en cohérence ? Que se passe-t-il si on refuse de tendre vers le stéréotype de référence ? Nous ne sommes pas neutres. Nous sommes le choix de nos parents, nous sommes les héritiers, d’une originalité, d’une désuétude, d’un classicisme. C’est de ce fatalisme qu’il faudra se construire une singularité.»

Collecter, observer et classer sont les premiers pas de la démarche scientifique. Lucien, créateur d’un poisson d’un nouveau genre qu’il nomme "piscis detritivore", le sait bien. Ce biologiste génial et atypique, s’est ouvert au monde au sillonnant les plages de son enfance. 

Petit garçon muet et jugé fragile par une mère trop protectrice, Lulu croit comprendre qu’il vaut mieux faire profil bas pour être heureux. Il n’a pas d’amis mais qu’importe puisqu’il s’est créé un univers bien à lui. Il commence par collectionner les coquillages puis décide de les répertorier soigneusement dans un carnet réservé à cet effet. Lorsqu’il a fait le tour des différents mollusques régionaux, il décide d’élargir son cabinet de curiosités à d’autres trouvailles. Sa chambre est bientôt encombrée de différents types de bois flottés puis de tous les détritus rejetés par la marée. Il est choqué d’apprendre que ces trésors sont considérés comme des déchets par son entourage. Et puis, il découvre une bouteille jetée à la mer avec un message à l’intérieur. C’est la révélation ! Lulu a trouvé la passion qui sera le sel de sa vie. Sa quête l’entraîne très vite sur des chemins inattendus. Il fait la connaissance de Félicie, une vieille dame qui fouille la plage avec un détecteur de métaux et correspond avec Ferry, un néerlandais qui collectionne lui aussi les bouteilles à la mer. Même la maîtresse l’encourage en organisant des sorties à la plage avec toute la classe. Seule sa mère semble rester en retrait. D’où lui vient cette peur du monde extérieur ? Pourquoi ne parle-t-elle jamais du père de Lulu ? Et qui ce Vincent qui débarque un jour à la maison ? 

 J’ai été touchée par ce premier roman de Lena Paul-Le Garrec. Son opus est une madeleine de Proust, un roman d’apprentissage plein de délicatesse. Je me suis entichée de ce garçon singulier et un peu obsessionnel. Je me suis passionnée pour ses recherches et j’ai été un peu triste aussi pour sa maman, si solitaire. On voudrait qu’elle arrive à s’émanciper elle aussi, oublier le passé et accompagner son fils dans sa conquête du vaste monde.  

 Il y est aussi question d’écologie et de tolérance dans ce Lulu. Mais, là encore, l’autrice aborde ces sujets sans pesanteur.  Ce roman est une belle découverte. J’attends le prochain avec impatience. 

📌Lulu. Lena Paul-Le Garrec. Buchet Chastel, 176 pages (2022) / Libretto, 144 pages (2024)