Dette d’oxygène. Toine Heijmans
La "dette d’oxygène" est un phénomène physiologique qui se produit durant l’effort d’un athlète. On imagine bien le déficit d’oxygène que doit représenter l’ascension d’une montagne dont le sommet culmine à plus de 8000 mètres d’altitude. Il y a de quoi être un peu essoufflé !
Le narrateur, Walter Welzenbach, est un quinquagénaire qui s’est confronté plusieurs fois à l’Himalaya et s’en est toujours sorti indemne physiquement. Ce récit est celui de sa dernière aventure, une manière de dire adieu à la montagne, pour faire le deuil de sa vie d’alpiniste, de sa jeunesse et de son amitié avec Lennaert Tichy. Lenny n’est pas un simple compagnon de cordée. Il est à l’origine de la passion de Walter pour l’alpinisme. C’est lui qui l’a initié à ce sport lorsqu’ils étaient étudiants à La Hague, s’entraînant à escalader des ponts à défaut de montagnes. Les Pays Bas étant ce qu’ils sont, nos deux Néerlandais sont partis s’installer dans l’une des villes berceaux de l’alpinisme, à Chamonix. Ils se sont nourris des exploits de leurs héros comme Reinhold Messner, Tom Ballard, Walter Bonatti, George Mallory, Tenzing Norgay ou Alison Hargreaves. Les deux gens jeunes rêvaient d’ouvrir leurs propres voies. Mais que reste-t-il à conquérir ? L’Himalaya ressemble désormais à un parc d’attraction exploité par des agences spécialisées. Elles sont le ticket d’accès aux sommets. Cela coûte très cher et pas seulement en monnaie trébuchante. La montagne est sans pitié. Elle prend des bouts de corps mais aussi des vies.
Les chapitres de ce roman sont désignés par des altitudes, de 3 mètres à 8 848 mètres, qui sont autant de balises dans la vie du narrateur. Chacune évoque un souvenir d’escalade avec Lenny. Parmi ceux-ci, il y a l’escalade de l’Annapurna, celle qui a emporté les ambitions du sportif. Il a eu la vie sauve mais plus rien n’a jamais été comme avant. Lenny a finalement décidé de se consacrer à sa nouvelle famille. Walter, lui, est un personnage ambivalent. On comprend dès le début du récit que quelque chose cloche. Mais quoi ? Son esprit de compétition ? Son besoin de solitude ? Pourquoi prend-t-il autant de médicaments ?
Il est difficile de lâcher ce livre avant la fin tant la tension est forte. Le héros n’est pas toujours sympathique mais on quand même envie de le voir réussir sa sortie. Ce dernier défi n’est pas anodin à plus d’un titre. Au fil de son ascension, Walter fait le bilan de sa vie et, contre toutes attentes se remet un peu en cause. J’ai fini par éprouver de l’empathie pour le personnage. Toine Heijmans se défend d’avoir écrit uniquement un récit sportif dédié à l’alpinisme. Pour lui, Dette d’oxygène est avant tout un roman psychologique et philosophique dont le socle est une histoire d’amitié. Il décrit merveilleusement bien les sentiments qui animent le grimpeur : la volonté de se dépasser, la peur de mourir et la douleur physique. Il nous restitue la blancheur monotone des paysages sans arbres ni oiseaux, le froid et le vent qui harcèlent le héros sans relâche, la crainte du manque d’oxygène aussi bien sûr. Enfin, il y a ce dont on ne perle pratiquement jamais : le travail de forçat des Sherpas montant et redescendant sans cesse la montagne pour baliser le chemin, installer les camps, assurer l’essentiel de la logistique et évacuer les détritus que les alpinistes laissent derrière eux.
Toine Heijmans s’est fait connaître en France grâce à un autre roman d’aventure, En mer (éditions Christian Bourgois, 2013), qui a été récompensé par le prix Médicis étranger.
📚On peut lire un autre avis sur Dette d’oxygène chez Livr’escapades, ma complice en lectures d’altitude.
📝Sur le même thème, je recommande Les Flammes de Pierre de Jean-Christophe Rufin et Au milieu de l'été, un invincible hiver de Virginie Troussier
📌Dette d’oxygène. Toine Heijmans, traduit par Françoise Antoine. Belfond, 288 pages (2023) / 10/18, 360 pages (2024)
Commentaires
Quant à ta question sur mon blog: voici quelques propositions (mais je suis ouverte à toutes autres suggestions) : la bio de Tenzing : "Tenzing, le héros de l'Everest" / "Rêves de montagnes" de Krakauer ou "Nanga Parbat" de Messner.
Si tu aimes ces récits de montagnes et d'Himalaya, je te conseille les livres de Jean Michel Asselin. j'étais d'ailleurs avec lui au Népal !