Alpinistes de Mao. Cédric Gras
Au mitan du 20ème siècle dans les pays communistes, l’alpinisme est moins une pratique sportive qu’un enjeu politique. Dans son précédent livre, Cédric Gras a montré que pour les dirigeants de l’ex-URSS la conquête des sommets était un moyen comme un autre de prouver la supériorité de l’homo sovieticus alpinisticus (Cf Alpinistes de Staline).
Dans la Chine de Mao, l’himalayisme s’inscrit dans le contexte de la conquête du Tibet. Il s’agit de montrer que ce territoire est maîtrisé et entièrement acquis à la Révolution. Après les exploits enregistrés par les représentants des empires capitalistes, l’échec n’est pas une option. Or, les Chinois sont loin d’être des alpinistes aguerris. Les volontaires sont choisis davantage pour leur fidélité au Parti que pour leurs qualités physiques et sportives. La quasi-totalité d’entre eux n’a aucune connaissance du terrain et n’a même jamais vu une montagne ! Les Maoïstes sont formés par leurs grands frères russes et sont envoyés à Moscou puis dans le Pamir pour s’entraîner.
Les premières expéditions dans l’Himalaya sont organisées conjointement. Il s’agit d’ascensions de masse qui étaient la norme de l’ère communiste. Dans la course aux 8000 (dix des quatorze sommets de plus de 8000 mètres sont gravis les uns après les autres), le principal objectif de Mao est l’ascension du Qomolangma (Sagarmata pour les Tibétains), c’est-à-dire le Mont Everest. Il est prévu de le conquérir par le col Nord, côté tibétain. Les derniers qui ont tenté l’exploit sont les Britanniques George Mallory et Andrew Irvine en 1924. On ignore s’ils sont arrivés au sommet avant de redescendre. La découverte de la dépouille de Mallory à 8 290 mètres d'altitude, quelques décennies plus tard, relancera le débat. En 1953, les Anglais Edmund Hillary et Tensing Norgay sont les premiers grimpeurs à atteindre le sommet de l'Everest mais par le versant népalais.
Une première tentative d’ascension sino-russe avorte en 1959 pour cause de révolte tibétaine. Après coup, le rapport officiel affirmera qu’il s’agissait d’un simple entraînement, les forces vives du communisme ne pouvant enregistrer un échec. L’année suivante, au moment où les Chinois prennent le départ au Tibet, une délégation indienne s’ébranle du coté népalais. Ces derniers seront contraints d’abandonner avant d’atteindre le sommet. En ce qui concerne le groupe Maoïstes (les Russes ont été évincés de cette expédition), il est difficile de faire la part du vrai et du faux. Selon le rapport officiel, trois hommes auraient atteint le sommet dans la nuit du 24 au 25 mai 1960, au prix d’actes héroïques incroyables portés par un idéalisme inébranlable. Les héros du jour, Qu Yinhua, Wang Fuzhou et Gonpo Dorje, ne font même pas partie du groupe de pionniers, formés en URSS. En effet, Xu Jing et Liu Lianman ont été forcé d’abandonner avant le sommet.
Dans les faits, rien ne prouve que les athlètes chinois soit arrivés en haut de l’Everest. L’exploit n’est pas documenté puisque, selon les protagonistes, l’appareil photo ne fonctionnait pas. Les expéditions suivantes ne retrouveront jamais le fameux buste de Mao qui aurait été porté au sommet de l’Everest en 1960. La saga himalayenne n’est donc pas terminée. Il faudra attendre le 26 mai 1975 pour voir flotter, sans contestation possible, le drapeau chinois sur le toit du monde.
Une fois de plus, Cédric Gras a effectué un travail remarquable de recherche et de documentation. Toute la difficulté de l’exercice résidait dans la nécessité de séparer le bon grain de l’ivraie dans les documents de propagandes maoïstes. Ainsi que l’explique l’auteur, les archives sont rarement accessibles quand elles existent. Les rapports officiels des expéditions sont surchargés d’envolées lyriques à la gloire du Grand Timonier tandis que les informations de terrain sont lacunaires voire incohérentes. Il a donc fallu faire le tri, s’astreindre à une lecture critique, comparer le peu de sources disponibles. Un petit coup de pouce du hasard lui a permis de se procurer une biographie de Liu Lianman, un document un peu plus spontané. La plupart des acteurs sont aujourd’hui décédés à l’exception de Gonpo, le sherpa tibétain qui aurait atteint en premier le sommet de l’Everest. Cédric Gras n’a pas pu l’interviewer mais, sachant que sa version n’a jamais changé, ce n’est pas très grave. Au regard du manque de preuves, la vraie question était de déterminer si les 3 himalayistes ont forgé un pacte mensonger pour éviter les représailles du Parti (l’échec de la mission étant exclu) ou s’ils ont menti sur ordre de leurs supérieurs.
A l’instar d'Alpinistes de Staline, Alpinistes de Mao est un document précieux, sans doute le seul du genre consacré à la conquête de l’Everest par les Chinois. Pour autant, le livre de Cédric Gras n’est pas un texte aride, réservé à un public averti. C’est un travail d’historien réalisé par un romancier et un alpiniste. Il en a incontestablement les qualités. J’ai apprécié le fait que l’auteur explique sa démarche, les difficultés liées à ses recherches et à ses sources, ainsi que ses choix dans les versions qui lui étaient proposées. L’ouvrage reste néanmoins très fluide et se lit quasiment comme un roman d’aventure.
Pour l’anecdote, il faut savoir que l’histoire de l’expédition de 1960 a été adaptée au cinéma en 2019 par Daniel Lee avec Jackie Chan. The Climbers est un blockbuster dédié exclusivement au public chinois et qui, selon Cédric Gras, manque clairement d’objectivité.
📚J’ai lu Alpinistes de Mao dans le cadre d’une lecture commune avec Fabienne du Blog Livr’Escapades. Miss Sunalee aussi a lu ce livre.
📌Alpinistes de Mao. Cédric Gras. Stock, 300 pages (2023)
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