Les Oiseaux ne se retournent pas. Nadia Nakhlé

 

Les Oiseaux ne se retournent pas. Nadia Nakhlé

Ce roman graphique s’ouvre sur une illustration pleine page en noir et blanc. Une fillette se tient au milieu des décombres d’une ville. Elle lui fait ses adieux. Plus loin, les oiseaux sont remplacés par des avions de chasse. Seule tâche de couleur : un cerf-volant, rouge sang. Que symbolise-t-il ? Les victimes de guerre ? Les migrants ? L’espoir ? Peut-être tout cela à la fois. En guise de prologue, il y a une citation du poète palestinien Mahmoud Darwich : « Nous souffrons d’un mal incurable qui s’appelle l’espoir » Sommes-nous en Israël ou en Palestine ? Ou peut-être ailleurs ? Quelque part, au Moyen-Orient, dans un pays en guerre. Qu’importe le lieu, partout en ce monde des enfants doivent quitter leur famille dans l’espoir d’échapper à la barbarie. Le lecteur comprendra plus tard, qu’il s’agit probablement du Liban des années 1980. Nous venons de rencontrer Amel. Elle a 12 ans et elle est orpheline. Ses grands-parents s’apprêtent à la confier à une autre famille pour passer la frontière et quitter le pays. Avant de partir, il faut répéter encore les dernières consignes : 

  • 1. Avancer quoi qu’il arrive 
  • 2. Ne donner sa confiance à personne 
  • 3. Eviter les passeurs et les militaires 
  • 4. Ne jamais montrer ses peurs « La peur attire les mauvaises personnes. » a dit Jeda. 
  • 5. Garder ses croyances pour soi 
  • 6. Toujours dormir avec mes chaussures. « C’est la dernière chose qu’on doit me voler. » 
  • 7. Ne jamais révéler mon identité. « Tu es la fille des Hudhad maintenant : la deuxième. Tu as un frère, une sœur, deux parents. Tu t’appelles Nina. »


Les Oiseaux ne se retournent pas. Nadia Nakhlé.P52-53


Les yeux restent secs, parce qu’on a déjà versé beaucoup de larmes depuis le début de cette guerre, mais la douleur des grands parents se lie sur leurs visages fatigués. Et puis, vient l’heure de partir, le début d’un long chemin, celui de l’exil. Sur la route, Nina/Amel devra faire face à mille pièges et échappera à mille dangers. Au premier check-point, elle est séparée de sa famille d’adoption et doit se rendre seule dans le camp de réfugiés où tous les coups sont permis. Par chance, Nina/ Amel trouve rapidement un compagnon de route en la personne de Bacem. C’est un déserteur. Un musicien devenu soldat par désir de vengeance puis fatigué par l’absurdité de donner la mort à son tour. Il a tout abandonné sauf son oud (luth oriental), cet instrument qui lui permet de redevenir lui-même : un poète. Ensemble, Amel et Bacem, vont chercher une nouvelle vie, loin de chez eux. 

L’ouvrage de Nadia Nakhlé a été récompensé par de nombreux prix (Prix Solidarité Harmonie Mutuelle 2020, Prix Première Rtbf du Roman graphique 2020, Prix des lycées Festival d'Angoulême 2021, etc.). On comprend vite pourquoi. L’album est très émouvant. Les illustrations et le texte sont pleins de pudeur et de poésie. Les dessins en noir et blanc sont ponctués de nombreuses tâches de couleurs comme autant de notes d’espoir. Le graphisme s’inspire des fresques orientales telles qu’on pourrait les voir sur les céramiques d'iznik. Rosaces et fleurs délicates partagent la place avec une multitude d’oiseaux. L’ensemble crée une ambiance très onirique, une bulle qui protège l’héroïne des laideurs de ce monde. Chaque chapitre débute par un vers choisi parmi les poèmes de Khalil Gibran, Nâzım Hikmet, Antoine de Saint-Exupéry, Andrée Chedid, Farid al-Din Attar et Djalâl ad-Dîn Rûmî… des auteurs de tous horizons et de toutes époques, souvent confrontés à la tragédie de l’exil.


Les Oiseaux ne se retournent pas. Nadia Nakhlé. P154-155

 

Le roman graphique de Nadia Nakhlé a donné lieu à un spectacle musical et dessiné, mis en scène par l’auteur elle-même. Sur scène, sont présents le compositeur et interprète Mohamed Abozekry (oud) et Ludovic Yapoudjian (piano), ainsi que les comédiennes et chanteuses, Mayya Sanbar et Negar Hashemi. La tournée française s’est achevée en décembre 2021 mais la sortie d’un film d’animation est prévue pour 2023 (Source : L’Orient le jour). Nadia Nakhlé n’en était pas à son coup d’essai puisqu’elle était à l’origine d’un autre spectacle intitulé Zaza Bizar (2014-2015). Un roman graphique éponyme est paru en 2021.

Les Oiseaux ne se retournent pas. Nadia Nakhlé. Delcourt, 224 p. (2020)


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