Made in Gangnam. Won-kyu Ju

Made in Gangnam. Won-kyu Ju


 On a tendance à penser que la violence urbaine sévit essentiellement dans les quartiers défavorisés. Que dire de Gangnam (le préfixe « gang » dans le nom est un pur hasard puisque le mot entier signifie littéralement au « sud du fleuve »), ce quartier huppé de Séoul, dont le chanteur sud-coréen Psy parodie le style de vie dans sa fameuse chanson Gangnam Style ? Haut lieu touristique, Gangnam est connu pour ses restaurants, ses boutiques de luxe, sa vie nocturne, ses stars de k-pop, ses call-girls et ses trafics de drogue. Le diable se cache aussi sous l’image glamour de la notoriété et de la richesse… 

Won-kyu Ju, l’auteur de Made in Gangnam, n’est pas du genre à badiner et le lecteur est très vite plongé dans le vif du sujet. Dès les premières pages du roman, on comprend qu’on n’a pas affaire à des gens très sympathiques. Le premier à entrer en scène est Kim Min-kyu, avocat dans le cabinet Y, froid, calculateur, et obsédé par un tableau d’Edouard Manet (Le déjeuner sur l’herbe), sa seule source de fantasme. Le second est Jo Jae-Myeong, lieutenant de la brigade criminelle de Gangnam, flic corrompu et criblé de dettes qui se paient des Call-girl mineures pour lui porter chance au jeu. Viennent ensuite une série de personnages parmi lesquels le moins antipathique est un indicateur opportuniste. Leur point commun ? L’argent. Or, de l’argent, certains d’entre eux vont avoir l’occasion de s’en faire un bon paquet grâce à une affaire de meurtres très délicate. En effet, dix corps ont été abandonnés dans le penthouse d’un hôtel de luxe de Gangnam. Parmi les victimes, il y a des hommes d’affaires, des politiciens, des call-girls (dont la vie n’a guère de valeur selon les critères du lieu) et Monky, une star de k-pop. La présence incongrue du chanteur parmi les morts risque de compromettre toute l’opération de nettoyage. Car, si on ignore à ce stade qui est l’auteur du carnage, on sait qu’il est suffisamment riche pour se payer un planificateur. Ce planificateur c’est Kim Min-kyu, l’avocat. Le rôle de ce personnage consiste à étouffer l’affaire par tous les moyens. A Gangnam, les clubs selects nettoient toujours les bêtises de leurs riches clients… enfin, ils emploient des gens pour faire le ménage à leur place.

Si on en croit une note de l’éditeur, le roman de Won-kyu Ju s’inspirerait en partie de faits réels. Il est vrai qu’une certaine affaire de drogue impliquant un chanteur de K-pop à Gangnam a fait scandale dans la presse en 2019. J’ignore si c’est la seule mais j’imagine que non. Celle-ci en, tout cas, a fait l’objet d’une longue enquête de la BBC. 

Made in Gangnam se lit comme un polar. En effet, Jo Jae-Myeong a beau être un ripou, il n’en est pas moins flic. Sa curiosité et sa cupidité pourrait néanmoins lui coûter cher. Pour le reste, l’ambiance est très noire. Le lecteur chemine dans un univers totalement perverti par le sexe, le pouvoir et l’argent. C’est un monde ultra-violent, peuplé de très jeunes-femmes réduites à l’état d’esclaves sexuelles, de maquereaux apatrides et insaisissables, d’hommes de mains sans scrupules (et sans cervelle) et de millionnaires dont les vices sont au-dessus des lois. Ils sont les seuls gagnants dans ce monde dominé par l’argent, s’il en est.

Extrait :

Le grand cabinet d’avocats Y, au sein duquel Min-kyu officie en tant qu’éminent avocat, est situé en plein centre de Gangnam. Il est connu pour son expertise dans les litiges entre entreprises, mais ce n’est qu’une belle couverture, qui ne représente pas toutes ses activités. On y dénombre plus de deux cents avocats en comptant les collaborateurs extérieurs. La plupart d’entre eux travaillent sur des procès concernant des entreprises ou des particuliers. Mais une minorité, c’est-à-dire quelques dizaines de membres, y compris le P.-D.G., effectuent une tout autre besogne. Ils sont en charge des «affaires spéciales», confiées par des clients qui restent anonymes. Ces clients, qui représentent 0,1% des citoyens les plus fortunés du pays, constituent un réseau clandestin très organisé qui leur garantit le plus grand secret. L’avocat chargé de ce genre d’affaires spéciales confiées par le réseau s’appelle un « planificateur ».

Made in Gangnam. Won-kyu Ju. Picquier, 168 p. (2021)


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