Le Goût sucré des pastèques volées. Keyi Sheng

Le Goût sucré des pastèques volées. Keyi Sheng


Le Goût sucré des pastèques volées est surtout une évocation des goûts et des odeurs d’enfance de la Chine rurale et populaire dans les années 70. Il s’agit en fait de 75 textes courts, qui sont autant de récits autobiographiques, et qui ont été réunis en un recueil. Parmi ces petites chroniques, on peut citer : Lire à la lueur d’une lampe à pétrole, Jouer à la toupie, Tirer sur les oiseaux avec un lance-pierre, Faire sécher le poisson salé, Jouer à cache-cache, Les animaux aussi ont leur part d’humanité, etc. Sheng Keyi nous convie ainsi à la suivre à travers les paysages de la province méridionale du Hunan. Elle nous livre de nombreuses anecdotes de cette enfance passée à la campagne : le village, la maison familiale, le jardin de sa mère, l’école… Certaines sont joyeuses ou facétieuses (le vol des pastèques dans les jardins, un épisode qui a donné son titre à l’ouvrage), d’autres dramatiques (la vie était difficile et on ne mangeait pas toujours à sa faim). Les illustrations et le dessin de couverture sont les œuvres de l’auteur.

Cet opus est en réalité un pamphlet, un ardent plaidoyer contre la société de consommation chinoise, sa corruption, la dégradation de l’environnement et la disparition de la vie rurale traditionnelle. A travers ses souvenirs d’enfance, l’auteur évoque le quotidien dans la campagne du Hunan. La vie était dure, les paysans se tuaient à la tâche et ne mangeaient pas toujours à leur faim. Les villages n’avaient pas l’électricité, les enfants allaient nu-pieds dans les rues et leurs seuls jouets étaient les insectes et les bouts de bois dont ils faisaient des lance-pierres ou des toupies. Néanmoins la nature était généreuse et prodiguait ses bienfaits. Les rivières étaient poissonneuses, les grenouilles pullulaient, les vergers et les jardins offraient nombre de fruits alléchants que les enfants chapardaient entre deux éclats de rire.  Mais la société a évolué et les temps ont changé. Le gouvernement a encouragé la transformation des étangs en terres agricoles et l’urbanisation des campagnes. Les sentiers champêtres ont été bétonnés, les eaux usées des industries ont pollués les rivières et les enfants ne courent plus la campagne. Ils préfèrent regarder la télévision et rester vissés sur leurs consoles de jeux.

Sheng Keyi a dû quitter son village natal d’Yiyang pour s’installer en ville. Elle a ainsi vécu à Shenzhen puis à Pékin. La romancière a déjà écrit sur son enfance au village dans un article du New-York Times intitulé A River’s Gift et paru en décembre 2011. Elle a publié plusieurs livres dont trois ont été traduits en anglais : Northern Girls, Death Fugue and Wild Fruit. En France, les éditions Picquier ont publié Un paradis.

Extrait :

Le soir, quand on prenait le frais, je surveillais mes grands frères qui projetaient d’aller voler des pastèques et je ne les quittais pas d’un pas, de peur de me faire semer. Rien n’était plus excitant que d’aller voler des pastèques pendant les nuits d’été. Sous la lune, là-haut dans le ciel, les lucioles dansaient dans les airs, les ombres vacillaient sur le sol et les gens agitaient leurs éventails en feuilles de massette en faisant un bruit tellement doux qu’il en était à peine audible. La troupe de voleurs de pastèques partait dans la plus grande discrétion. Les cibles avaient été repérées par un éclaireur qui était allé en reconnaissance dans la journée et avait relevé où se trouvaient des fossés ou des buissons épineux, combien de personnes il y avait dans la famille du propriétaire et s’il avait un chien.

On était très sérieux en y allant, on n’éclatait de rire que quand on partageait le butin, au retour. 

Même les pastèques les plus fades étaient dégustées avec un grand plaisir. Quelquefois le propriétaire nous surprenait et, en entendant ses cris furieux, nous prenions nos jambes à notre cou. Mais nous n’avons jamais été attrapés. A l’époque, je croyais que c’était parce que nous courions vite, mais je comprends maintenant que les gens avaient simplement la flemme de nous poursuivre.


Le Goût sucré des pastèques volées. Keyi Sheng. Picquier, 160 p. (2021)


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