Histoire de Tönle. Mario Rigoni Stern
Le narrateur se rend quotidiennement au chevet de son ami et compatriote, l’écrivain Gigi Ghirotti. Pour le distraire, il lui raconte l’histoire de Tönle Bintarn, un modeste berger cimbre qui s’illustra bien malgré lui pendant la première guerre mondiale. Ce brave homme n’aimait rien tant que sa maison, son cerisier, ses montagnes, ses moutons, sa polenta, son tabac, sa femme, ses nombreux enfants (peut-être pas dans cet ordre là) et la paix par-dessus tout !
« Il se souvenait que, bien des années auparavant, à la caserne de Budějovice, il avait défilé en rang devant le commandant von Fabini et puis, quand on avait changé de gouvernement, à Vérone, à la caserne des Paloni, il avait défilé, toujours en rang, devant le colonel Nicola Heuch (…) Il conclut que cela n’avait rien d’étrange ; en Italie comme en Autriche, les riches, ça reste toujours les riches, et, que ce soient les uns ou les autres qui commandent, ça change rien pour les pauvres gens. C’est toujours à eux de travailler, d’être soldats et de mourir à la guerre. »
Tönle est originaire du plateau d’Asiagio dans la province de Vicence en Vénétie. Cette terre alpine, coincée entre l’Italie et l’empire austro-hongrois est le royaume de la contrebande. En 1866, à l'issue de la troisième guerre d'indépendance, son village passe de l’autre côté de la frontière sans que cela ne perturbe vraiment la vie quotidienne des habitants. Tönle et ses compagnons continuent leur trafic, moyennant quelques pots de vin versés aux douaniers. Jusqu’au jour où le berger croise une patrouille dans la montagne, refuse d’abandonner son butin, décide de lui échapper et blesse involontairement un douanier royal. Condamner à une lourde peine de prison par contumace, il est désormais contraint de se cacher loin de chez lui. C’est ainsi que Tönle commence sa vie d’errance saisonnière, revenant toujours vers son village natal et sa famille. Polyglotte, le bonhomme ignore les frontières des hommes, partant gagner son pain partout où on veut bien l’embaucher. Il sera colporteur d’estampes jusqu’à Brno, puis jardinier à Prague, mineur en Styrie, gardien de chevaux en Hongrie… jusqu’à l’amnistie générale célébrant l’arrivée de Victor-Emmanuel III sur le trône.
Lorsque la première guerre mondiale éclate, Tönle est devenu un vieil homme n’aspirant plus qu’à la tranquillité. Ses filles sont mariées, certains de ses fils sont partis en Amérique et ceux restés au pays seront bientôt mobilisés. A l’été 1914, l’Italie est encore neutre mais les garnisons de chasseurs alpins s’installent dans la montagne, des campements apparaissent en lisière de forêts avec leurs cantines roulantes et leurs cibles de tir pour l’entraînement. Les femmes doivent se déplacer en groupe pour éviter les agressions des soldats "napolitains" mais, pour le reste, la vie est encore douce : les vivres et l’argent circulent en abondance pour l’approvisionnement des troupes. La situation se corse en mai 1915 lorsque l’Italie entre en guerre aux côtés de la Triple Entente. L’épouse de Tönle n’assistera pas au désastre car elle s’éteint en septembre.
Le destin des humbles, forgé par la volonté vindicative des gouvernants, est en marche. Tönle le berger cimbre, qui n’attend plus rien de la vie si ce n’est une fin paisible, refuse obstinément de quitter son village. Lorsque les soldats l’arrachent à ses pâturages, il exige un reçu pour son chien et ses bêtes. La suite montrera que rien ne peut venir à bout de l’entêtement d’un montagnard même octogénaire.
📚Je remercie vivement Nathalie de m’avoir invitée à lire ce beau roman. Bien qu’il s’agisse d’un classique de la littérature italienne, je ne connaissais pas l’œuvre de Mario Rigoni Stern. Ce grand écrivain italien pacifiste et libertaire n’a quitté sa ville natale d’Asiago, que par obligation lorsqu’il a été mobilisé dans les troupes de chasseurs alpins pendant la seconde guerre mondiale. On comprend mieux alors pourquoi le romancier dénonce si bien l’absurdité de la guerre.
Publiée en Italie en 1978, l’Histoire de Tönle est parue une première fois en France en 1988 chez Verdier puis chez 10/18 en 1995. Il s’agit ici d’une nouvelle traduction. Histoire de Tönle est l’un des trois ouvrages que Mario Rigoni Stern a consacré à ce bout de terre natal qu’il chéri tant. Les deux autres volets de cette trilogie du plateau d’Asiago sont Les saisons de Giacomo et L’année de la victoire. Ce titre fait l’objet d’une réédition chez Gallmeister, prévue pour le mois d’août 2024. Si ma co-lectrice est partante pour m’accompagner dans l’aventure, je serais ravie de retrouver les paysages montagnards réconfortants merveilleusement décrit par Mario Rigoni Stern.
📌Histoire de Tönle. Mario Rigoni Stern, traduit par Laura Brignon. Totem Gallmeister, 144 pages (2023)
Commentaires
Suspens insoutenable :-)