Châtiment. Percival Everett
« Money, dans le Mississippi, ressemble exactement à ce que son nom évoque. Baptisée dans cette double tradition, tenace dans le Sud, d’ironie mêlée de nescience, la ville porte un nom teinté de tristesse, indice d’une ignorance avouée qu’on est bien obligé d’intégrer, puisque, regardons les choses en face, on ne s’en débarrassera pas.»
Son nom est improbable, pourtant la ville de Money dans le Mississippi existe vraiment. En 1955, soit quelques décennies avant le début de l’intrigue de ce roman, la bourgade sudiste a été le théâtre d’un énième lynchage raciste. Le jeune Emmett Till, 14 ans, a été torturé sur le seul témoignage d’une femme blanche l’accusant de l’avoir insultée et d’avoir eu des gestes déplacés, en l’occurrence de lui avoir enlacé la taille. Elle a menti, mais peu importe, cela était suffisant à l’époque pour assassiner un adolescent. Les responsables n’ont bien-sûr jamais été arrêtés ni condamnés. Percival Everett s’est emparé de cette histoire bien réelle pour la tourner en un polar parodique et déjanté. Dans un jeu d’inversement des préjugés, les protagonistes blancs de ce roman sont tous des "rednecks" (péquenauds) abrutis, racistes et violents. Si on est loin du politiquement correct, il en résulte des dialogues absolument jubilatoires. Si on ajoute à cela les scènes très visuelles où des hordes d’hommes, qui ressemblent fort à des revenants créent l’apocalypse, on imagine déjà une adaptation cinématographique.
Châtiment débute pourtant comme un polar classique. Deux hommes blancs, habitants de Money, sont sauvagement assassinés au sein même de leur domicile sans que les membres de leurs familles n’aient rien remarqué. Dans les deux cas, la police découvre le cadavre d’un homme noir inconnu sur la scène de crime. Il tient fermement les bijoux de famille de son adversaire dans sa main. Les types se sont-ils entretués ou faut-il chercher un autre larron ? En fait, le corps de l’Afro-Américain disparait de la morgue après l’assassinat de Wheat Bryant pour réapparaître sur le lieu du crime de J. J. Milam (J.J. pour 2 fois Junior) ! Comment un macchabée peut-il se déplacer tout seul ? Le shérif et ses adjoints sont dépassés. Ils seront bientôt épaulés par deux flic du MBI, le bureau d’investigation du Mississippi, et d’une agente du FBI. Ces trois nouveaux venus ne correspondant pas à l’idéal caucasien du coin, ils ne passent pas inaperçus dans cette bourgade d’arriérés où le du Ku Klux Klan prétend encore brûler des croix (un peu de guingois puisqu’ils ne sont pas fichus de travailler correctement).
Si Percival Everett a opté pour la fiction et l’humour, son livre n’en est pas moins un pamphlet virulent contre le racisme et les violences policières aux Etats-Unis. L’un des chapitres est une succession de noms de martyrs entachant l’histoire de la démocratie américaine. On rit beaucoup mais on grince aussi des dents.
📝Aussi sur ce blog: 50 États en 50 romans et La littérature américaine dans tous ses États
📌Châtiment. Percival Everett, traduit par Anne-Laure Tissut. Actes Sud, 368 pages (2024)
Commentaires
https://www.festival-america.com/11e-edition-rendez-vous-du-26-au-29-septembre-2024
Est-ce le cas ici ? Je n’ai encore jamais lu cet auteur que je découvre grâce à toi.