Semia. Audrey Gloaguen

Semia. Audrey Gloaguen


Manhattan Caplan est journaliste pigiste dans une société de production spécialisée dans les faits divers. A quelques jours de Noël, sa vie est au bord de la déliquescence. Son patron veut la virer, son mari a demandé le divorce et elle risque de perdre la garde de son petit garçon de 7 ans. La réalisation d’un reportage accrocheur pour l’émission Story lui permettrait de conserver son job et donc un revenu pour élever son fils. Une occasion en or se présente justement ce samedi 22 décembre 2018. La SDPJ 92 de Nanterre est appelée sur une scène de drame à La Défense. On a retrouvé 3 pendus dans le centre commercial des 4 Temps. Après les premières investigations d’usage, le commandant Nowak et le lieutenant Marceau concluent à un suicide collectif. Pour autant, son boulot n’est pas terminé car il faut déterminer dans quelles circonstances, la jeune femme et les deux hommes ont mis fin à leurs jours. A priori rien ne relie ces gens ordinaires. Marie Viral était mère célibataire de deux enfants et vendeuse à temps partiel dans un magasin de prêt-à-porter de la galerie marchande. Stefan Ballado, un ex-flic en dépression après une bavure policière, était en instance de divorce. Bernard Compte, facteur à Nanterre, était victime de surmenage. Comment ces trois là se sont-ils rencontrés ? Apparemment, le trio serait entré en contact via un tout nouveau réseau social appelé Fate. Celui-ci permet de localiser les utilisateurs en temps réel et de les connecter instantanément lorsqu’ils sont dans le même périmètre. D’ailleurs, un chapeau au début de chaque chapitre du roman, permet d’identifier et de géolocaliser les protagonistes concernés.

Audrey Gloaguen, ancienne journaliste, signe ici un roman très noir qui doit beaucoup à son propre parcours. Il émane de ce livre une colère palpable contre les injustices sociale et le « système » en général. A quelques exceptions près, tous les personnages sont antipathiques. Jan Nowak est un psychopathe violant bourré de tocs, les politiciens sont corrompus, les patrons sont des exploiteurs cyniques (la fin du roman veut d’ailleurs montrer que c’est dans leur nature profonde), les voyous de banlieue sont comme ils sont, etc. En revanche, la journaliste est parfois d’une naïveté déconcertante et manque tragiquement de sang-froid. Elle est agaçante mais on finit quand même par compatir et à espérer qu’elle se sorte du bourbier dans lequel elle s’est fourrée. Personnellement, j’ai eu du mal à trouver du charme à son ex petit ami dealer malgré les efforts de l’autrice pour le rendre attirant. Il y a beaucoup de testostérone dans ce polar entre le flic sadique, le type qui bat sa femme, les cols blancs pervers et les racailles de cités. Face à eux, il y a des femmes fragiles mais aussi d’autres plus fortes ou qui vont apprendre à le devenir. 

L’intrigue est bien menée et la construction du roman parfaitement maîtrisée (on n’entre pas dans la Série Noire de Gallimard par hasard). On sent le travail de documentation sous-jacent de l’ex journaliste, notamment concernant les réseaux sociaux et l’intelligence artificielle. Le "Semia" (pour Semantic Analysis) du titre fait d’ailleurs référence à un logiciel fictif très spécial mais je n’en dirais pas plus. 

Extrait: 

« — ... Je... je les ai tués !! hurle soudain la voix à l’autre bout du fil. Tous, je les ai tous tués !!

Forest Lo fouille dans sa mémoire, tente de se souvenir de ce que l’association lui a appris. Technique pour rassurer un mec voulant se loger une balle dans le carafon, hors de propos. Technique pour apaiser un type dépressif, hors sujet également. Technique pour rassurer face à un meurtrier, rien. Il a beau froncer les sourcils, se gratter le front nerveusement, Forest Lo ne trouve rien dans son cerveau en bordel. À l’autre bout du fil, il entend l’homme pleurer en silence.

— Qu’est-ce que je vais devenir, qu’est-ce que je vais devenir..., répète la voix.

— Je suis sûr que tout va s’arranger, tente Forest Lo pour gagner du temps. Racontez-moi. »


Une idée de lecture piochée chez Charybde via Bibliosurf dans le cadre du Challenge Thrillers et Polars, organisé par Sharon.

Semia. Audrey Gloaguen. Folio, 544 p. (2023)


Commentaires

  1. Je cherche justement des bons thrillers en ce moment. Le choix ne manque pas, mais justement, trop de choix, on ne sait plus auquel se fier... Celui-ci me tente assez, mais est-ce un bon choix ?^^

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    1. Oui, ce n'est pas évident de trouver de bons thrillers. En général, la série noire de Gallimard est plutôt un gage de qualité. Ici, il y a quelques bémols (les personnages un peu manichéens, selon moi) mais l(intrigue est bien menée et le thème d'actualité.

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  2. Malgré ce qui me semble manquer de nuances et de psychologie chez les personnages, la thématique du livre me tente bien. Merci pour ton retour !

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    1. J'avoue que l'héroïne m'a souvent agacée, ainsi que quelques clichés et lieux communs. Sinon le thème et l'intrigue sont intéressants. Au final, je trouve que ce polar est plutôt pas mal pour un premier roman.

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  3. Anonyme22.7.23

    J'adore les romans et essais de journaliste, je note :-). Je vais voir si je peux l'emprunter :-)

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    1. @maggie , dans ce cas, le roman devrait te plaire

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  4. PS : désolée, j'ai oublié d'enlever anonyme grrrr

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