On ne se baigne pas dans la Loire. Guillaume Nail

On ne se baigne pas dans la Loire. Guillaume Nail

Au début, c’est beau comme un poème. Ensuite, on se rend compte que la musicalité du texte cache un avertissement. Et puis, très vite, on entre dans le vif du sujet : le drame annoncé. 

C’est la fin de l’été, le dernier jour de la colonie de vacances. Les animateurs ont prévu un pique-nique dans une prairie mais on décide finalement de s’arrêter sur le bord de la Loire. Il fait chaud. Des corps s’alanguissent, d’autres débordent d’énergie. Le groupe n’est pas mixte. Les colons sont tous des garçons. C’est leur dernière année. Après ils seront trop vieux alors il faut profiter de ces deniers instants d’insouciance.

« — On va se baigner ?

Quelqu’un dit ça. »

On ne saura jamais qui l’a dit mais le défi est lancé. Les adolescents rugissent de plaisir, se jettent à l’eau, s’échangent un ballon, l’envoient de l’autre côté de la berge puis partent à l’abordage de territoires imaginaires. Le boute-en-train de la bande chahute un peu trop, une branche craque, ou alors c’est un banc de sable qui s’effondre, et l’un des garçons tombe dans le bras principal du fleuve. Après, ce n’est plus qu’un dramatique jeu de quille, les jeunes, un à un, sont emportés dans les tourbillons d’eau. La monitrice, un peu godiche, est dépassée, tétanisée, impuissante. Son collègue, qu’on savait déjà incompétent, n’a pas les bons réflexes non plus. Le plus timoré des ados, resté sur la rive, réagit en premier et se jette à l’eau. Trop tard !  

Ce drame romanesque s’inspire librement et commémore un fait divers réel qui date de 1969. Cette année-là, du côté de Juigné-sur-Loire (Maine-et-Loire), 19 enfants de 8 à 13 ans ont perdu la vie. Un traumatisme qui, cinquante plus tard, hante toujours la population locale. Mais le livre de Guillaume Nail tire aussi son essence de la puissance de ses évocations. Sa plume donne littéralement vie à l’exubérance de l’adolescence et à l’ambiance estivale : la chaleur du soleil sur la peau, les odeurs de sueur, les mouvements de l’eau, la nature, etc. L’auteur brosse le portrait de chaque personnage avec un réalisme bluffant. Leurs pensées intimes et leurs secrets respectifs nous seront ainsi révélés au fil des pages. Chacun joue sa partition selon le rôle qui lui attribué : Gus, le chef de meute mais aussi Pierre, le rondouillard complexé ou Totof, le marginal du groupe. Et puis, il y a les adultes, Benoît et Pauline, à peine plus âgés que les jeunes qu’ils encadrent. Dans ce roman choral, ils prendront la parole à tour de rôle. 

Guillaume Nail s’est déjà illustré dans divers domaines comme la traduction, le journalisme, le cinéma (en tant que scénariste ou réalisateur) et l’écriture. On ne se baigne pas dans la Loire est son premier roman pour adultes et c'est, selon moi, une belle réussite. Son dernier livre, intitulé Armande Cornix sauve le monde (enfin, presque) et paru chez Milan, et lui permet de renouer avec la littérature de jeunesse qui, dit-il, est chère à son cœur. 

Extrait : 

« Héritée de nos mères, de nos pères, c’est la rumeur qui coule dans nos gènes et infuse, sur les pentes des coteaux comme aux plaines du Maine, des berges de l’Authion en corniche angevine, alluvions et roseaux, bras morts et plein lit, c’est cette rengaine avide, bruit lancinant qui attend, au crépuscule là-bas, vers l’estuaire, un monde. Que la nuit soit d’été ou l’automne hâtif, les vignes vêtues de rouge et inquiètes des gels, que les saules se languissent, pieds secs, ou grenouilles à cœur joie, nos sœurs le savent, et nos frères le martèlent. Tu dois craindre le courant qui te happe. Puis, furtif, t’engloutit. »

 

D'autres avis que le mien via Bibliosurf et chez Athalie

On ne se baigne pas dans la Loire. Guillaume Nail. Denoël, 160 pages (2023)


Commentaires

  1. Ls noyades dans la Loire sont hélas récurrentes, si on habite ans le coin, on le sait, "on ne se baigne pas dans la Loire" Je ne me souvenais pas e ce drame...

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    1. "On ne se baigne pas dans la Loire. Ni printemps, ni été, ni même un doigt de pied."

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  2. Histoire dramatique en effet, surtout en sachant que c'est tiré de la réalité. Pourquoi pas, s'il croise ma route.

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  3. Eh bien on dirait que tu es tombée sur une pépite !

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    1. Oui, j'ai beaucoup aimé le style d'écriture.

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  4. J'ai parcouru ta note avec un peu d'appréhension car je l'ai acheté suite à un coup de coeur d'une amie pour ce titre. Ouf, tu confirmes la belle impression de lecture, de même que l'extrait choisi qui donne envie de s'y plonger.

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  5. Quel drame ! Je ne connaissais pas, j'avais pourtant l'âge des enfants qui se sont noyés...
    Cela semble très bien écrit.

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    1. Oui, on comprend que la population soit encore traumatisée. Le livre s'inspire du drame mais ne raconte pas la véritable histoire. Je pense que c'est mieux ainsi, plus pudique.

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  6. A moi aussi tu donnes envie : merci pour cette découverte.

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  7. Pour vivre pas très loin de la Loire, je pense qu'il me toucherai beaucoup noté!

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