Le téléphérique et autres nouvelles. Sylvain Tesson
Je suppose que tout le monde connait Sylvain Tesson, l’écrivain voyageur, auteur de La Panthère des neiges et Dans les forêts de Sibérie, pour lesquels il a reçu le prix Renaudot en 2019 et le prix Médicis Essai en 2011. Il a également obtenu le prix Goncourt de la nouvelle en 2009, pour Une vie à coucher dehors. C’est dire si le genre lui sied !
Le téléphérique, la nouvelle titre clôture l’opus. Elle est précédée de cinq autres textes jubilatoires : Le barrage, La bataille, La ligne, La lettre et L’Hermite. Ces textes nous font parfois voyager à l’autre bout du monde, notamment en Chine et en Russie, mais il n’est pas toujours nécessaire d’aller si loin pour trouver l’aventure. Ici, il s’agit surtout d’aventures humaines, des péripéties tragi-comiques qui sont le sel de cet ouvrage. On y croise un couple en voyage de noces, des amateurs de reconstitutions historiques, des saboteurs et des fous. Tous observent la folie du monde. Chacun à son échelle y participe aussi. On se bagarre, on s’exile, on boycotte Noël, on convainc un amoureux qu’il a eu raison de rompre… et tout cela est follement distrayant !
Cela faisait un moment que je voulais lire Sylvain Tesson et j’ai pensé qu’un recueil de nouvelles serait l’idéal pour découvrir sa prose. Je n’ai pas été déçue. L’écrivain voyageur à l’art de créer des ambiances. Il décrit si bien les paysages et les odeurs. Ses personnages ont de la profondeur et ses histoires sont assez rocambolesques pour emporter l’adhésion du lecteur. Je crois que ma préférée est La bataille, suivie de la nouvelle titre Le téléphérique. La morale n’est pas toujours au rendez-vous mais c’est tellement drôle ! Cet opus m’a largement convaincue de lire les autres ouvrages de Sylvain Tesson. Ses derniers ouvrages parus à ce jour sont Blanc (Gallimard, 2022) et Noir (Albin-Michel, 2022).
Extrait :
« Dans quelques heures, parents et cousins arriveraient. Tout serait prêt. Comme chaque fois, comme à chaque Noël. Un traîneau glissa devant les fenêtres. Des rires fusèrent. Des gens crièrent des noms anglais, ils retenaient dans leurs moufles des paquets de couleur griffés de noms de couturiers. Tout à l'heure, sous les sapins, des mains blanches et fines ouvriraient des écrins Cartier et des boîtes orange Hermès. Zermatt vibrait des préparatifs de la fête. Noël était la plus parfaite entreprise de détournement spirituel de l'histoire de l'humanité. On avait transformé la célébration de la naissance d'un anarchiste égalitariste en un ensevelissement des êtres sous des tombereaux de cadeaux. Pour quelques heures, en ce 24 décembre, l'immense névrose européenne de l'après-guerre s'octroyait un répit, le temps d'ouvrir des paquets dans un bruit de mandibules d'insecte.
Dans le chalet, il faisait 27°C. Le foie gras exsudait. Sur le bloc rose, les gouttes de graisse perlaient. C'était la même rosée qu'au-dessus de la lèvre supérieure de Greta. L'horloge de l'église sonna. « Déjà 5 heures ? Étrange qu'ils ne soient pas rentrés », se dit Greta, à la vingt-cinquième huître.»
📌Le téléphérique et autres nouvelles. Sylvain Tesson. Folio, 112p. (2019)
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