Tenir sa langue. Polina Panassenko

Tenir sa langue. Polina Panassenko (Photo by Nick Fewings on Unsplash)



Autant le dire tout de suite, Tenir sa langue de Polina Panassenko est l’un de mes coups de cœur de la rentrée littéraire 2022. A l’origine de cette autobiographie truculente, il y a une quête plus linguistique qu’identitaire. La narratrice, dont le prénom a été francisé à son arrivée dans l’Hexagone, est confrontée à de nombreux déboires administratifs pour en retrouver l’orthographe et la consonnance d’origine. Pauline, c’est le prénom que son père a inscrit sur les documents officiels français, celui de l’extérieur. A la maison, ses parents et sa sœur l’appellent toujours par la version russe : Polina. Or, ce prénom est un héritage. C’était celui de sa grand-mère juive, Pessah, qui l’avait russisé en 1954 après avoir fuir les pogroms en Ukraine. Les allers-retours de l’auteur au tribunal administratif sont autant d’occasions de revenir sur ses souvenirs d’enfance : la vie quotidienne en URSS puis en Russie, l’arrivée de sa famille à Saint-Etienne et les étés à la datcha avec les grands-parents restés au pays. Les questionnements de la narratrice sur sa langue maternelle se confrontent à sa culture d’adoption. Ils auront sans doute une résonnance particulière pour ceux qui, un jour, ont connu l’exil. La force de Polina Panassenko est d’aborder ces thématiques à hauteur d’enfant. J’ai pensé parfois à La gloire de mon père de Marcel Pagnol plutôt qu’au récit d’Enfance de Nathalie Sarraute. Les anecdotes se succèdent, sans masquer une réalité parfois difficile. Elles interpellent, émeuvent ou amusent le lecteur. J’ignore s’il existe une âme russe mais j’ai apprécié chez Polina Panassenko cet humour ravageur (y compris et surtout en terrain hostile) qui n’exclut pas l’auto-dérision. 

Extrait : 

« Russe. Français. Russe. Français. Sentinelle de la langue, elle veille au poste frontière. Pas de mélange. Elle traque les fugitifs français hébergés par mon russe. Ils passent dos courbé, tête dans les épaules, se glissent sous la barrière. Ils s’installent avec les russes, parfois même copulent, jusqu’à ce que ma mère les attrape. En général, ils se piègent eux-mêmes. Il suffit que je convoque un mot russe et qu’un français accoure en même temps que lui. Vu ! Ma mère les saisit et les décortique comme les crevettes surgelées d’Ochane-Santr’Dieu. On ne dit pas garovatsia. On dit parkovatsia ou garer la voiture. La prochaine fois que garovatsia arrive je lui dit non, pousse-toi, laisse passer parkovatsia. On ne dit pas mangévatsia, on dit stolovatsia ou manger. Attention. » 


Tenir sa langue. Polina Panassenko. Editions de L’olivier, 192 p. (2022)


Commentaires

  1. Déjà dans ma tête, ce livre, ça m'intéresse beaucoup. Voir la médiathèque...

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  2. Le roman se lit très vite. J'ai adoré le ton de l'auteur. Il y a même des passages qui m'ont franchement fait rire.

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  3. J'ai envie de lire ce roman depuis sa sortie. Je l'ai demandé à la bibliothèque, je n'ai plus qu'à être un peu patiente.

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  4. Bienvenue Aifelle ! Oui, je te le recommande. C'est une lecture agréable et intéressante.

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  5. Bon souvenir de lecture pour moi aussi: c'est sans fard, parfois drôle aussi, et décrit parfaitement ce que peut être une vie entre les cultures.

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    1. Je suis tout à fait d'accord avec toi. L'autrice montre une réalité parfois désagréable à admettre mais sans être revancharde. Et j'aime beaucoup son humour.

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