Les voyages d’Ulysse. Lepage, Michel & Follet
C’est à un beau voyage, inspiré de L’Odyssée d’Homère, auquel nous convient Emmanuel Lepage et ses complices (Sophie Michel au scénario et René Follet pour une partie des illustrations). En effet, ce roman graphique est une véritable épopée artistique, qui nous donne à voir des illustrations à la manière des « Marines » d’un Vernet ou d’un Turner, mais aussi des scènes de la mythologie grecque, dans une ambiance teintée d’Orientalisme. Les vignettes sépia alternent ainsi avec des dessins pleine-page, les planches sombres et les dessins teintés d’ocre et d’orangé. Bref, voilà une bande dessinée qui nous incite à penser que le 9ème art porte bien son nom ! Et l’intrigue dans tout ça ?
L’album s’ouvre sur une série de planches semblant mêler deux époques distinctes avec, dans les phylactères, des citations tirées du prologue de l’Odyssée. Deux scènes se jouent en parallèle : le naufrage d’Ulysse sur son radeau de fortune et l’incendie d’une maison dont on ignore encore tout. Néanmoins si l’histoire d’Ulysse apparait en filigrane, il n’est pas le personnage principal de ce roman graphique. Les premières images de tempête et d’apocalypse font rapidement place à un décor plus serein. Nous sommes sur le port d’Istanbul, sans doute entre la fin du 19ème siècle et le début du 20ème siècle (ceux qui ont lu Le voyage d’Anna, premier volet indépendant du triptyque, connaissent sans doute la chronologie exacte).
Jules Toulet, jeune peintre sans le sou, ne rêve pratiquement que de voyage et d’aventure. Il espère aussi retrouver la trace de sa muse disparue : une certaine Anna ! Malheureusement pour lui, aucun marin n’a envie de s’embarrasser d’un artiste en mer. Finalement, le hasard place notre héros sur le chemin de Salomé Ziegler, jeune femme énigmatique et anticonformiste à la beauté ravageuse. Elle est propriétaire d’un navire nommé l’Odysseus. La capitaine accepte de prendre Jules à son bord à deux conditions. D’abord, il devra peintre une toile par semaine ; ensuite, il devra aider Salomé dans sa propre quête. La jeune femme souhaite en effet retrouver un peintre appelé Ammôn Kasacz dont les toiles sont des représentations des épisodes de L’Odyssée. Le pacte scellé va conduire nos deux héros dans un périple qui les amènera à traverser la Méditerranée, depuis la Turquie, en passant par l’Egypte, Gibraltar et la Grèce.
Une intrigue à la hauteur des illustrations donc, qui aborde de nombreux thèmes dont certains avec une résonnance féministe. Rappelons ici que Sophie Michel et Emmanuel Lepage ont également publié ensemble la série Oh, les filles chez Futuropolis.
Des encarts en papier calque viennent s’insérer dans la narration principale comme autant d’échos venus de l’Odyssées. Par exemple, un extrait de l’invocation des morts, où Ulysse parle avec le fantôme de sa mère Anticlée, fait face à une scène où un personnage songe à son épouse décédée. De la même manière, les fresques du peintre fictif Ammôn Kasacz évoque des épisodes fameux du voyage d’Ulysse comme celui où le roi d’Ithaque lutte contre le cyclope Polyphème, fils de Poséidon, dont il crève l'œil grâce à un pieu. L’album est d’ailleurs complété par un livret de croquis réalisés par René Follet pour ses études consacrées aux fresques épiques d’Ammôn Kasacz. Certaines illustrations sont extraites du livres d’esquisses Les grecs (en collaboration avec Michel Massian), paru en 1971 chez Dupuis.
Les voyages d’Ulysse a été récompensé en 2017 par le Grand Prix de la critique de l’ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Les deux premiers volumes, dédiés aux enfants de Sophie Michel et Emmanuel Lepage (Anna et Ulysse) ont été complétés en 2019 par un troisième volet intitulé Les voyages de Jules. Gageons que nous y retrouverons notre héros Jules Toulet. A suivre !
📌Les voyages d’Ulysse. Emmanuel Lepage, Sophie Michel & René Follet. Daniel Maghen éditions, 264p. (2016)
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