Éclaircie. Carys Davies

Éclaircie. Carys Davies


📚J’ai un faible pour Carys Davies et je ne suis pas la seule. Cath L a été la première à parler de l’autrice anglaise et de son roman West (Seuil, 2019). Athalie a beaucoup apprécié Eclaircie (La Table Ronde, 2025) et, pour ma part, je l’ai découverte grâce au Voyage de Hilary Bird (Seuil, 2022). Il était bien sûr hors de question de rater ce troisième roman. Et vous savez quoi ? Je n’ai pas été déçue. Carys Davies confirme dans Éclaircie son talent à mélanger histoire et romanesque. Après les Etats-Unis et l’Inde de ses premiers romans, elle nous conduit sur une île fictive au large de l’Ecosse et de la Norvège. Ce n’est pas les Shetland mais ça y ressemble. 

Nous sommes au milieu du 19ème siècle. Les grands propriétaires terriens écossais et les chefs de clan décident de convertir les terres en pâtures à moutons, plus rentables. Les petits fermiers sont alors expulsés manu militari des exploitations. La plupart vont s’exiler aux Etats-Unis. Ces déplacements de populations, débutés au 18ème siècle, sont restés dans la mémoire collective sous le terme d’ "Highland Clearances" (littéralement "les évacuations des Hautes Terres"). La révolution agricole Ecossaise affecte également les habitants des Lowlands qui sont forcés d’abandonner le système productif traditionnel. Les Clearances ont eu pour conséquence la grande famine du milieu du 19ème siècle, suite à une pénurie de pommes de terre. Elles sont aussi à l’origine d’une acculturation qui a entraîné la disparition de certains dialectes gaéliques. Ivar, l’un des personnages de ce roman en est un exemple. Unique habitant de son île, et donc ultime locuteur de sa langue, il est resté malgré le départ des derniers membres de sa famille pour l’Amérique. Il survit seul, dans une masure, avec une vieille jument, une vache aveugle, des brebis faméliques et quelques poules.  

Parallèlement à la révolution économique en marche, l’Ecosse est frappée par une crise religieuse majeure, la "Great Disruption" (ou "Schisme de 1843"), entraînant la scission de l'Église presbytérienne. Le conflit porte en réalité sur l’ingérence des autorités civiles dans la nomination des pasteurs. A la suite du prédicateur Thomas Chalmers (1780-1847) qui prône la séparation de l’Eglise et de l’Etat, plusieurs centaines de pasteurs écossais abandonnent leurs paroisses, leurs presbytères et leurs traitements. L’autre héros de ce roman, John Fergusson est l’un d’entre eux. Ayant renoncé à ses revenus, le pasteur se voit contraint de trouver un emploi lucratif pour faire vivre son épouse Mary et construire sa nouvelle église indépendante. Il accepte un emploi d’intendant adjoint pour le compte d’un certain Henry Lowrie, riche propriétaire terrien. Il s’agit de se rendre sur une île quasi déserte pour expulser son dernier habitant (Ivar) et remplacer les cultures ainsi que toute la ménagerie par des moutons dont on aura plus besoin de se soucier.  

La rencontre entre Ivar et John Fergusson, le messager de malheur, s’annonce difficile et la barrière de la langue n’est bien sûr pas le seul obstacle. Comment l’homme d’Eglise va-t-il gérer la situation sans renoncer à ses principes moraux ? Strachan, le cynique gestionnaire attitré de Lowrie (mais sans doute trop couard pour se charger lui-même du sale boulot), lui transmet moults consignes et recommandations parfaitement obsolètes, ainsi qu’un vieux pistolet dont Fergusson ne sait pas se servir. 

J’ai été profondément émue par le roman de Carys Davies. J’ai une nouvelle fois apprécié la délicatesse de son écriture mais aussi les ellipses et les non-dits de ce récit. Le lecteur doit fournir un petit effort pour entrer dans l’intrigue et les personnages sont bien plus ambivalents qu’on ne pourrait le penser de prime abord. Avant toute chose, ils sont profondément humains et c’est ce qui fait le charme de cette histoire . J’ai éprouvé de l’empathie pour le trio Ivar, John et Mary, ainsi qu’une profonde admiration pour la capacité de chacun d’entre eux à remettre en cause leurs modes de pensée et/ou certains tabous sociaux. Lisez Carys Davies, sauf si vous préférez vous tenir à l'abri d'un coup de cœur.

📌Éclaircie. Carys Davies, traduite par David Fauquemberg. La Table Ronde, 192 pages (2025)


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