Nourrices. Séverine Cressan

Nourrices. Séverine Cressan


Lorsque j’étais enfant ma grand-mère me parlait souvent de ses parents nourriciers qui l’avaient élevée à la campagne alors que sa mère travaillait à Paris. Oui, cela se faisait encore au début du 20ème siècle et pas seulement au sein de la grande bourgeoisie. Je ne me posais guère plus de question à l’époque. Le beau roman de Séverine Cressan m’a ouvert les yeux sur le sujet. Son récit à elle se situe sans doute plutôt au 19ème siècle. Il évoque les avantages mais surtout les pires travers de l’industrie nourricière. Toutes les expériences n’ont pas été aussi douces que celle de mon aïeule ! 

Le commerce du lait maternel n’est pas un geste anodin. C’est un acte intime avec ses conséquences physiques et émotionnelles. Séverine Cressan a l’art de parler de la maternité, du rapport que la femme entretient avec son enfant et le nourrisson dont elle s’est engagée à prendre soin.  Cette figure maternelle est incarnée par Sylvaine, l’héroïne de Nourrices. Elle est la femme d’un bûcheron nommé Andoche et la mère d’un petit garçon qui s’appelle Jehan. Pour mettre un peu de beurre dans les épinards, elle s’est résignée à vendre son lait. Elle a choisie de prendre le bébé d’une autre à demeure plutôt que de partir en ville et d’abandonner le sien sur-place. Le bébé qui lui est confié, une petite fille,  s'appelle GladieDans son village, elles sont nombreuses à vivre de ce système nourricier et, contrairement à Sylvaine, elle le font souvent sous la contrainte de leur mari. Ce sont d’ailleurs les hommes qui gèrent l’argent ainsi rapporté au foyer. En général, ils le boivent plus qu’ils ne l’investissent. Tout ce petit mode a recourt à un intermédiaire peu scrupuleux, La Chicane, qui met les mère allaitantes en relation avec l’agence de placement ou l’orphelinat. Les enfants de la tour d’abandon sont aussi confiés à des nourrices mais pour des salaires moindres. L’incontournable La Chicane, les transportent jusqu’au village dans des conditions sanitaires qui occasionnent de nombreuses pertes. 

Dans un premier temps, le roman de Séverine Cressan m’a semblé bien énigmatique. Tout d’abord, il n’y a ni indications temporelles précises ni noms de lieux. L’intrigue elle-même renferme sa part d’onirisme. Une nuit, au sortir d’un rêve, Sylvaine est attirée dans la forêt par un appel qu’elle est seul à entendre. Elle en rapportera un nouveau-né, une petite fille qu’elle surnommera "l’enfant de lune". L’autrice évoque aussi longuement les mystères de l’enfantement et de la maternité, avec leur part d’animalité et de sensualité. Ces passages sont très émouvants. Pour compléter le tableau, il faut ajouter un brin de superstition incarné par le personnage de la sorcière rebouteuse. Tous ces éléments participent à entraîner le lecteur dans une sorte de cocon immersif. Et c’est là, la grande réussite de ce roman selon moi. 

📚D'autres avis que le mien: Manou , AthalieEimelle et Claudialucia

📌Nourrices. Séverine Cressan. Editions Dalva, 272 pages (2025)


Commentaires

  1. Hum, certains détails dans ton billet me font hésiter, un bon sujet, mais traité de façon un peu brumeuse semble-t-il?

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    1. Oui, il y a quelques passages particuliers mais le reste est très "tangible"

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  2. Avant d'entendre parler de ce roman , je n'avais jamais mesuré l'ampleur de cette pratique ou plutôt commerce.

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    1. J'avoue que moi non plus... par contre j'étais au courant des maltraitances subies par les orphelins parisiens envoyés à la campagne, notamment dans le Morvan, si je me souviens bien. Pascale Chouffot en parle dans son roman policier (La théorie des ondes).

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  3. Je le lirai sans doute, ce que tu en dis est intrigant...

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    1. Pour un premier roman, j'ai trouvé ce livre assez bluffant

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  4. Hedwige17.9.25

    Sous la contrainte ce doit être terrible et quand ces femmes le font avec coeur, cela doit être un déchirement de voir les petits quitter leur giron.
    Un sujet peu abordé et dont tu parles avec une belle empathie. Merci.

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    1. Les passages sur la maternité, l'allaitement... sont très touchant

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  5. plusieurs billets m'ont donné envie de lire ce roman, et tu soulignes bien ce qui pourrait me plaire.

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    1. Tant mieux car ce roman vaut la peine d'être lu

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  6. Les billets sont toujours aussi élogieux. J'ai déjà noté ce roman, je l'emprunterai à la bibli.

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    1. Je ne connaissais pas l'éditeur. Tu auras peut-être du mal à le trouver à la bibli

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  7. je suis en train de le terminer, je le trouve très intéressant!

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  8. Repéré chez Manou et Athalie, oui, le livre et l'autrice semblent valoir le détour. Le sujet n'est pas si commun en plus en littérature. Et je viens de voir que c'était aux éditions Dalva, donc plutôt gage de qualité.

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    1. J'ai l'impression que je suis la seule à découvrir cet éditeur !

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    2. Je n'en avais jamais entendu parler non plus ! En tous cas, tous vos avis convergent et me donnent très envie de lire ce roman. Je me souviens bien de ton billet sur La théorie des ondes qui m'intéresse aussi.

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  9. Ta chronique est superbe et tu as parfaitement résumer ce que l'on ressent. C'est vrai que l'ambiance fait tout à fait penser à un cocon, peut-être est ce que l'on ressenti dans notre petite enfance auprès de notre mère...Merci pour le clin d'oeil je suis contente que tu aies aimé

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    1. Merci à toi. Je n'aurais peut-être pas lu ce roman son ton billet

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  10. Déjà noté sur mes tablettes !

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  11. Un sujet rare et qui m'intéresse pas mal... merci pour cette découverte.

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    1. on commence a en parler un peu plus. Le sujet était abordé, par exemple, dans un polar de Pascale Chouffot que j'ai bien apprécié

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  12. J'ai déjà remarqué ce livre. Il m'intéresse. Un jour sans doute...

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    1. ça serait très intéressant d'avoir l'opinion d'un homme sur ce roman

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  13. Ma libraire en a fait un coup de coeur, mais un je ne sais quoi me retient : le côté conte, sans doute.

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    1. Je ne sais pas si je parlerais d'un "côté conte". Il y a une touche ou deux "d'onirisme". D'habitude, je ne suis pas fan mais là, ça passe très bien. Le reste est très réaliste.

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  14. Effectivement de nombreux avis élogieux fleurissent sur les blogs à propos de ce roman. Je le lirai sans doute mais sans urgence, puisqu'il est à ma médiathèque. Comme je n'imaginais pas qu'il y avait toute une industrie autour du lait des nourrices en ces temps là, je pense que ce livre m'apprendrait pas mal de choses.

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    1. C'est un sujet qui n'est pas souvent abordé

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  15. Bonjour Je lis je blogue, un roman sur un sujet peu traité mais pourtant très intéressant. Je l'ai noté chez Manou. Bonne fin d'après-midi.

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    1. oui, en effet, Manou aussi a été séduite par ce roman. Et, comme tu le dis, le sujet n'est pas souvent traité en littérature.

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  16. Toujours des billets très positifs sur ce premier roman. J'écume les livres à lire et je m'attaquerai ensuite à Nourrices.

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    1. J'ai aussi une bonne pile de nouveautés sur la table de chevet. Celui-ci a été une belle surprise

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  17. Je l'ai acheté et je vais bientôt le lire ! J'ai l'impression qu'il va me plaire !

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    1. Du coup, tu l'as lu ? Je ne l'ai pas encore vu sur ton blog (je ne dis pas ça pour te mettre la pression mais je suis curieuse)

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