Kukum. Michel Jean
« Ainsi nous ne faisons qu’un, Pekuakami, le ciel et moi. J’ai vécu près d’un siècle à ses côtés. J’en connais chaque baie et toutes les rivières qui s’y jettent ou s’en déversent. Son chant couvre le vacarme des chevaux de métal, apaise l’humiliation. Et s’il lui arrive de se fâcher, sa colère finit toujours par passer. »
Michel Jean est un écrivain québécois d'origine innue. Il a écrit plusieurs romans dont Atuk (paru initialement sous le titre Elle et nous) qui retrace la vie de sa grand-mère Jeannette. Dans Kukum (littéralement "grand-mère" en langue innue), il remonte le temps encore plus loin pour évoquer son aïeule, Almanda Siméon, morte presque centenaire à la fin des années 70. Cette femme singulière était une orpheline d’origine irlandaise. Lorsqu’elle rencontre Thomas, son futur mari, elle n’a que 15 ans. Elle tombe immédiatement sous le charme de ce bel amérindien puis bientôt de sa famille et de son mode de vie nomade.
Manda, ainsi que surnommaient ses proches, a connu un monde disparu. La ville de Mashteuiatsh s’appelait alors "Pointe-Bleue" et le lac Saint-Jean, "Pekuakami". A la fin de l’été, le clan remontait la rivière Péribonka pour aller hiverner au Nord, dans les Territoires, Le "Nitassinan" ("Notre terre" en innu-aimun). Ce territoire ancestral est situé dans l'Est du Canada au Québec et au Labrador. C’est Malek, le patriarche, qui chaque année donnait le signal de départ. Cette mission nécessitait une bonne connaissance de la nature car le climat est rude. Il y a eu des périodes de sécheresse et de famine. La chasse n’était pas toujours fructueuse. A l’inverse, le dégel rendait la rivière très dangereuse. Mais Manda était une femme courageuse et obstinée. Elle a appris à chasser et préparer les peaux mais aussi réaliser des paniers artisanaux et des bonnets traditionnels en perles. Elle appréciait les longues soirées de veillée où les Anciens racontaient les histoires transmises par leurs ancêtres.
A la fin de sa vie, Manda est devenue porteuse d’une culture et d’une langue en voie de disparition, victimes de la sédentarisation forcée. Les magnats de l’industrie forestière et ferroviaire se sont emparés illégalement des terres de la nation innue. Les Innus n’ont pas d’autre choix que de vivre à l’année dans la Réserve de Pointe-Bleue. Le gouvernement a décidé ensuite de "civiliser" les peuples autochtones. Les enfants ont été arrachés à leurs parents et conduits dans des orphelinats où ils ont souvent été victimes de maltraitances graves.
Kukum est un roman émouvant, poignant même. Michel Jean a su parfaitement transmettre au lecteur l’amour d’Almanda pour ses terres, sa famille d’adoption et son mode de vie. Il est facile d’être scandalisé par l’attitude des colons vis-à-vis des peuples premiers mais nous n’étions pas là. Aurions nous mieux agi dans le contexte des contraintes et du mode de pensée du début du 20ème siècle ? Entre juin 2008 et juin 2015, après une longue période de déni, le gouvernement du Québec a mené une enquête sur les impacts durables des pensionnats pour Autochtones au Canada. Le rapport de la Commission de Vérité et de Réconciliation du Canada (CVR) a conclu que ce système scolaire équivalait à un génocide culturel.
📚J’ai lu ce magnifique roman en compagnie de Sacha et Eva pour répondre à l’invitation du 12 août de Madame Lit dans le cadre de la fête du Livre québécois. Kathel et Nathalie ont lu Kukum avant nous et l’ont beaucoup apprécié.
📝Sur le thème des Amérindiens du Québec, je vous suggère également la lecture de Taqawan, l’excellent roman d’Éric Plamondon. Et si vous souhaitez en savoir davantage sur la nation innue, je vous recommande un court article de l’anthropologue Adrian Tanner sur L’histoire des Innus. De plus, une visite du site Internet de l’Institut Tshakapesh vous fournira éventuellement de riches informations sur l’innu-aitun (culture innue) et l’innu-aimun (langue innue).
📌Kukum. Michel Jean. Editions Libre Expression, 224 pages (2019) / Dépaysage, 236 pages (2020) / Points, 240 pages (2022)
J'ai beaucoup aimé un roman de cet écrivain et je suis prête à en lire d'autres. Surtout après ce billet fort intéressant.
RépondreSupprimerSacha est moins enthousiaste que moi comme tu as pu le constater. En ce qui me concerne, je partage ton envie de poursuivre avec cet auteur. Je crois que Kathel a lu plusieurs de ses livres.
SupprimerJ'avais aussi été très touchée par ce poignant roman et révoltée par cette sédentarisation forcée...
RépondreSupprimerJ'ai exactement le même ressenti que toi sur ce roman. J'ai éprouvé beaucoup d'empathie pour les personnages et une grande tristesse pour ce monde perdu
SupprimerAh oui j’avais beaucoup aimé. Très délicat dans son émotion.
RépondreSupprimerJ’aime bien aussi le fait que la découverte de la vie dans la forêt soit la découverte de la liberté, pour une jeune femme destinée à tenir la maison.
Merci pour le lien vers l’Institut, j’irai voir ça.
Oui, je trouve que l'auteur explique très bien ce qui a pu attirer cette jeune fille qui n'était pas du tout destinée à cette vie là
SupprimerDésolée mais je n'ai pas pu mettre la main sur ce livre. Aucun livre de Michel Jean à la bib' de Lannion, où d'ailleurs je ne trouve généralement pas ce que je cherche (mais pour l'inscription, c'est 40 € !). De Michel Jean j'ai lu avec plaisir et consternation "Le vent en parle encore", au sujet aussi des pensionnats.
RépondreSupprimerCe n'est que partie remise ! Elle est chère ta bibli dis donc
SupprimerComme je l'écrivais chez Sacha, J'ai lu Maikan de cet auteur, complètement focalisé sur le sujet des pensionnats. Je l'avais trouvé très instructif et poignant, mais l'écriture m'en avait paru assez maladroite.
RépondreSupprimerMaikan aurait peut-être intéressé davantage Sacha. D'ailleurs ton opinion rejoint la sienne concernant le style de l'auteur
SupprimerJe suis ravie de voir que nous n'avons pas tout à fait le même avis, c'est tout le sel des LC 😉. J'ai trouvé que c'était une lecture agréable, mais un peu légère. J'avais sans doute de fortes attentes car il a eu beaucoup de succès, d'où peut-être ma légère déception.
RépondreSupprimerAbsolument, c'est tout l'intérêt de ce type de lecture. Il m'arrive parfois de nuancer mon opinion après avoir lu certaines remarques. Et il y a comme tu le dis justement "l'effet forte attente".
SupprimerUn auteur pas trop facile à trouver ici, (mais Taqawan, j'ai lu c'était bien);
RépondreSupprimerj'ai noté celui là aussi pour plus tard
SupprimerJe viens de lire le billet de Sacha et en effet tu es plus enthousiaste qu'elle. De toute façon j'ai l'intention de le lire. Comme toi, j'ai beaucoup aimé Taqawan.
RépondreSupprimerC'est intéressant de voir que nous n'avons pas forcément été sensibles aux mêmes choses. C'est l'intérêt des LC
SupprimerJe suis contente que tu aies apprécié ce livre en cette journée de la fête du livre québécois. J’ai apprécié les descriptions de la nature tout comme l’histoire d’amour. Au plaisir!
RépondreSupprimerLes descriptions de la nature sont très réussie en effet et l'histoire d'amour est émouvante
Supprimerje n'ai pas rencontré d'Innu mais j'ai eu la chance d'aller tout au nord du Québec rencontre d'autres tribus qui venaient tout juste (à peine 10 ans) d'avoir une route qui les reliait à la seule autoroute. Ils faisaient tout par canoë auparavant. Ton billet me rappelle ce magnifique voyage !
RépondreSupprimerJe suis allée au Québec aussi mais je suis restée dans la "zone urbaine" pour l'essentiel. J'espère y retourner un jour pour profiter des paysages plus sauvages
SupprimerJe me méfie des biographies surtout familiales alors je vais passer malgré ton avis.
RépondreSupprimerJe comprends mais c'est dommage. C'est vraiment un beau roman
SupprimerCe roman m'intrigue suite à tous ces avis enthousiastes sur les réseaux et même des coup de coeur dans plusieurs librairies. Je n'ai pas encore pu le caser, mais j'ai vraiment hâte de découvrir cette merveille !
RépondreSupprimerC'est un roman très touchant
SupprimerJe l'ai lu aussi l'hiver dernier et je l'ai également beaucoup beaucoup aimé ! C'est vraiment un hommage émouvant de l'auteur à son peuple et à ses ancêtres et on ne peut qu'être révoltés de voir ce peuple disparaitre...j'ai fini ce livre le cœur serré, les dernières pages sont bouleversantes...je ressens la même chose en te lisant.
RépondreSupprimerJ'en suis ravie. J'ai trouvé ce roman très émouvant moi aussi
SupprimerPas dans mes thèmes de prédilection, et comme on ne peut pas tout lire... Mais tu me permets de me tenir au courant.
RépondreSupprimerAvec plaisir !
SupprimerSuperbe billet très complet ! J'ai lu aussi Tiohtiá:ke [Montréal] de Michel Jean, dans un contexte plus contemporain, que j'ai beaucoup aimé. Il faudra que je retrouve cet auteur !
RépondreSupprimeroui, je me souviens de ton billet. Je pense le lire aussi
SupprimerQuelle chronique remarquable sur la souffrance de ce peuple (encore un) malmené et spolié par l’avidité sans freins des hommes.
RépondreSupprimerEt cela continue, autrement, plus poliment, mais cela continue...
oui, c'est plus insidieux mais ça continue
SupprimerL'auteur est d'abord et avant tout un journaliste canadien, et cela se sent dans son écriture.
RépondreSupprimerLe roman est néanmoins très touchant
SupprimerComme tu le sais, nos avis se rejoignent puisque j’ai passé un très bon moment en compagnie d'Almanda, tout comme toi ! J’ai apprécié notamment la tonalité, l’auteur ne cherchant pas à choquer à tout prix, mais le ton est plutôt réconciliant malgré tout. J’ai repéré un nouveau titre où il dénonce d’autres actes méconnus de l’époque (Qimmik).
RépondreSupprimerJe suis tentée aussi par d'autres livres du même auteur mais pas tout de suite. Kathel a lu et apprécié Tiohtiá:ke si cela t'intéresse.
SupprimerJ'ai pour idée de consacrer un des prochains mois à la littérature québécoise, que j'adore.
RépondreSupprimerIl y a beaucoup à découvrir du côté du Québec. J'ai noté plusieurs titres dont un ouvrage sorti pour la rentrée littéraire. L'auteur est passé à la grande librairie. Je pense à Amiante
Supprimerde Sébastien Dulude chez La Peuplade.