Meurtres, T01. Charles Plisnier

Meurtres, T01. Charles Plisnier


En 1937, les membres de l'Académie Goncourt décident qu’il est temps d’ouvrir le prix à des auteurs étrangers d’expression française. C’est ainsi que Charles Plisnier, écrivain wallon né à Mons en 1896, devient le premier lauréat n’ayant pas la nationalité française. Cerise sur le gâteau, il n’a pas été récompensé pour un roman mais pour un recueil de nouvelles intitulé Faux Passeports. Cet ouvrage est aujourd’hui épuisé mais les éditions Libretto (Payot) ont choisi de rééditer Meurtres, dont les 5 tomes (Mort d’Isabelle, Présence du fils, Martine, Feu dormant et Dieu le prit) sont parus entre 1939 et 1941.

Meurtres a été porté à l’écran par Richard Pottier en 1950 avec Fernandel, Jeanne Moreau et Raymond Souplex dans les rôles principaux. Cette grande saga familiale n’est pas sans rappeler celle des Thibault de Roger Martin du Gard qui reçu le prix Nobel en 1937 justement. Tout ceci constitue d’excellentes raisons de (re)lire l’œuvre de Charles Plisnier mais, si je suis honnête, je dois avouer que c’est d’abord l’illustration de couverture, d’inspiration Art déco, qui a attiré mon attention.

Meurtres ? film de Richard Pottier (1950)
Ce premier volet s’ouvre sur une scène de rite familial. Les quatre frères Annequin, bourgeois du nord de la France, sont réunis autour de leur mère pour commémorer la mort de leurs aïeux, anciens paysans qui, à force de travail et d’abnégation, se sont élevés dans cette société encore rigide du début du 20ème siècle. Vital Annequin, le patriarche de la lignée n’était qu’un pauvre paysan. Son fils Dominique est devenu instituteur et ses propres enfants sont désormais des notables bien installés (Hervé est avocat, Blaise est médecin et Remy est prêtre) … à l’exception de Noël, le mouton noir du clan, qui s’obstine à travailler la terre. 

«(…) s’ils évoquaient leur père, ce n’était point pour appeler sur lui et ses péchés la clémence de ce Dieu en qui, ayant cessé de pratiquer, ils ne cessaient de croire, mais pour rendre grâce à cet instituteur de leurs années de collège, de leurs diplômes, de leurs titres de bourgeoisie, de l’estime qu’ils inspiraient à tous, de l’envie qu’ils inspiraient à certains, de leurs vertus solides et de cet avenir que toucherait certainement la gloire. Ils pensaient ainsi, de temps en temps, payer leur dette »

Noël a épousé Isabelle, une ancienne ouvrière de la ville, de 10 ans son aînée. Autant dire que ce mariage est considéré comme une mésalliance chez les Annequin. Or, ce 20 juin 1922, Isabelle, au grand soulagement de l’assemblée familiale, n’accompagne pas son mari à la cérémonie funéraire. Elle est alitée, gagnée par un cancer qui la fait terriblement souffrir. En dehors de cette fausse note et d’une brève altercation entre Noël est ses 3 frères, le rituel se déroule comme à l’accoutumée, depuis 1917, date de décès de Dominique Annequin que l’on honore. Le drame qui va éclabousser ses descendants arrive quelques mois plus tard. 

« Le 12 octobre 1922, à neuf heures, Maître Hervé Annequin, avocat à la cour, apprit que son frère Noël, qui exploitait une ferme à Charmelle, avait tué sa femme dans la nuit et s’était, à l’aube, constitué prisonnier. Il venait de passer à son cabinet. Il était rentré à minuit du théâtre où sa femme, toujours soucieuse de le distraire, avait exigé qu’il l’accompagnât. »

Dès lors, le clan Annequin va tout mettre en œuvre pour éviter le scandale, quitte à mentir à leur mère par omission et à sacrifier leur frère sur l’autel de l’honneur et de la réussite sociale. Celui-ci échappe à la potence grâce à l’intervention de ses frères qui l’ont fait passer pour un déséquilibré. Il est libéré après quelques mois d’internement en échange de quoi il accepte de se faire oublier à l’étranger. Un ostracisme familial qui ne dit pas son nom. 

Si le parcours personnel de Charles Plisnier est original, son style d’écriture reste très classique. Le romancier est le narrateur omniscient, celui qui nous rapporte tous les évènements majeurs de l’intrigue et connait toutes les pensées des protagonistes. Il en résulte une atmosphère très particulière, un peu désuète mais qui donne la sensation au lecteur d’être en totale immersion dans l’époque et le milieu social des personnages. On est choqué par l’hypocrisie et le manque d’empathie des frères Annequin uniquement préoccupés de préserver leur statut privilégié. Antoinette, leur mère, semble pleine de bonne volonté mais totalement dépassée par la situation et incapable de comprendre les actes ou le mode de pensée de son fils. Noël est, par bien des aspects (politiques et spirituels), l’alter ego de son créateur. Une mécanique implacable se met en place sous nos yeux mais Noël, quelque soit son sentiment de culpabilité, n’est pas si manipulable que ne le pense sa chère fratrie. 

📌Meurtres, Tome 1 : Mort d’Isabelle. Charles Plisnier. Editions Libretto, 272 pages (2024)


Commentaires

  1. En effet, belle couverture. Après, grâce à toi je connais l'existence du bouquin, alors si je le vois en bibli...

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    1. C'est une réédition récente mais on ne sait jamais. Si ça se trouve, ta bibli a FauxPasseports ou Mariages dans son catalogue

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  2. Je crois bien que je n'ai jamais entendu parler de cette saga... Il y a des meurtres à chaque tome ? Ce sont des romans policiers ?

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    1. Quand j'ai vu ce livre, je me suis posé les mêmes questions que toi. Non, ce n'est pas de la littérature policière. Il s'agit plutôt d'une fresque sociale. Une libraire parle de roman naturaliste à la manière de Zola. Je ne sais pas pourquoi le mots Meurtres est au pluriel. Je n'ai pas encore lu les autres volets.

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  3. J'aime aussi beaucoup la couverture ! Quant à l'auteur, je ne le connaissais pas mais j'apprécie les ambiances désuètes... Les frères font un peu froid dans le dos avec leur manque d'empathie.

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    1. C'est une histoire cruelle. La plume est belle mais il faut aimer le style

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  4. je vois bien le fil narratif de ce roman, ce que je comprends moins bien c'est s'il t'a plu .

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    1. Je n'ai pas encore lu les autres tomes et il me reste beaucoup à découvrir. Mais oui, j'ai aimé ce premier volet. Charles Plisnier fait preuve d'une grande maîtrise dans l'écriture, l'intrigue et les personnages

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  5. Je craindrais le côté désuet mais ça n'a pas l'air de t'avoir gênée. Je n'ai jamais entendu parler de cet auteur.

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    1. Oui, je ne sais pas l'expliquer très bien mais dans la formulation et le choix des mots, on sent qu'on est au début du 20ème siècle.

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  6. j'adore l'art déco. L'histoire est atypique mais intéressante, merci pour cette découverte

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    1. Il y a une atmosphère particulière dans ce roman qui correspond bien à la couverture.

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  7. PHILIPPE23.8.24

    Je n'ai jamais rien lu de cet auteur. Par contre, j'ai eu sa petite-fille dans ma classe il y a...pas mal d'années !

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    1. Ah tiens, c'est amusant ! Du coup, tu n'es pas curieux de lire l'œuvre du "papy" ?

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  8. Au début, je pensais que tu allais présenter une BD. Ensuite, j'ai découvert que ce n'était pas non plus un polar.^^ Bref, je ne connaissais pas, ni l'auteur, ni cette série ! La couverture est très réussie en effet. Je comprends qu'elle t'ait attirée. Si ce n'était pas en 5 tomes, j'aurais pu m'y aventurer aussi

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    1. Il y a 5 tomes, c'est vrai mais en format de poche et le tome le plus long fait 360 pages

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