L'inventeur. Miguel Bonnefoy
💪Je découvre Miguel Bonnefoy à la faveur du Mois latino, organisé par Ingannmic. L’inventeur n’est certes pas le livre le plus exotique de l’écrivain franco vénézuélien mais c’est son dernier paru à ce jour. Il s’agit d’une biographie romancée de l’inventeur français Augustin Mouchot (1825-1912). Vous n’avez jamais entendu parler de lui ? C’est normal. L’homme a réellement existé mais il manquait de charisme et son histoire personnelle s’est perdue dans les méandres de la grande histoire. L’auteur fait de lui un portrait assez cruel qui fait imaginer un être souffreteux, monomaniaque et peu séduisant en dépit d’un génie certain. Il est en effet l’un des premiers chercheurs à s’être intéressé à l’énergie solaire.
Augustin Mouchot est le rejeton d’un serrurier de Semur-en-Auxois. De faible constitution, il aurait passé quasiment les trois premières années de sa vie dans un lit et en aurait gardé des séquelles durables. Une anecdote (j’ignore si elle est réelle ou inventée par Miguel Bonnefoy) rapporte que l’inventeur, sujet aux malaises intempestifs, se promenait toujours avec un papier dans sa poche où il avait écrit : « Bien que j'en aie l'air, je ne suis pas mort. ». La seule photo du bonhomme qui soit arrivée jusqu’à nous trahit en effet un physique fragile et banal : minceur extrême, joues creuses, front dégagé et grande moustache perpendiculaire au menton. Néanmoins, sa mère comprend très vite que l’enfant a une intelligence hors du commun et décide qu’il ira à l’école, contrairement au reste de la fratrie qui doit travailler à l’atelier.
Augustin décroche son baccalauréat en 1845 et devient maître d’études. Après avoir occupé ce poste dans différentes villes et établissements, il est nommé professeur suppléant de mathématiques au lycée d'Alençon. Nous sommes en 1860. Il loue l’appartement de feu le colonel Buisson et profite largement de sa bibliothèque scientifique. Il y découvre la première marmite solaire, une machine décrite par un physicien genevois. Augustin Mouchot vient de rencontrer son destin, un objet sur lequel concentrer tout son génie, sa capacité de travail et son abnégation. Cet homme solitaire et timide se lance donc à corps perdu dans ses expériences sur l’énergie solaire, reproduisant et améliorant sans cesse la fameuse marmite. Il dépose le brevet de l'héliopompe en 1861 et fait une première démonstration (qui tourne cours à cause du mauvais temps) dans la cour de son lycée. Cette présentation n’aura cependant pas été vaine puisque ses travaux ont éveillé la curiosité d’un militaire influant qui en fait part à Napoléon III. L’armée s’intéresse effectivement à cette marmite qui permettrait aux troupes de cuire leurs aliments sans se faire repérer de l’ennemi à cause des feux trahissant leur présence.
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Le concentrateur parabolique d'énergie solaire de Mouchot à l'Exposition universelle de 1878 |
Après une démonstration devant l’empereur à la Villa Eugénie à Biarritz puis à l'Exposition universelle de Paris en 1878, s’ouvre pour notre héros une période relativement faste qui sera néanmoins freinée par les insurrections de la Commune de Paris en 1871, la mort de Napoléon III en 1873 et le développement de l'industrie houillère. Au tournant des 19ème et 20ème siècle, la modernité c’est le charbon. Pour développer les applications industrielles de son moteur solaire, Auguste Mouchot s’associe à l’ingénieur Abel Pifre. Ce centralien, né dans une famille aisée, a toutes les qualités qui font défaut à Mouchot : le charisme, la séduction et l’esprit d’entreprise. Il finira par dépouiller son mentor de ses brevets et de la gloire dont le pâle inventeur à toujours rêvé. Auguste Mouchot terminera sa vie au 56 rue de Dantzig à Paris, dans le dénouement le plus total et pratiquement aveugle.
Si Miguel Bonnefoy s’appuie sur des personnages et des faits réels, la matière concernant la vie personnelle d’Augustin Mouchot manque cruellement. Il a donc brillement comblé les vides grâce à la fiction. Ses reconstituions sont si bluffantes que le lecteur s’interroge sans cesse sur la part de vérité et de romanesque dans son roman. Je pense en particulier à la biographie de certains personnages secondaires comme cet ouvrier qui aurait prêté sa force de travail à l’inventeur avant de dépenser sa prime dans la boisson, de s’endormir dans un cargo et de se réveiller en Amérique latine affligé d’une gueule de bois colossale. C’est tout le talent de l’écrivain franco vénézuélien d’entrelacer le vrai et le faux pour redonner vie à un personnage tombé dans les oubliettes du passé. Certes, il ne nous l’a pas rendu très attachant ni sympathique mais son histoire captive et inspire une certaine empathie. Le roman est court et très fluide. Il m’a donné envie de lire les autres livres de Miguel Bonnefoy.
📚D’autres avis que le mien chez Athalie, La petite liste et Luocine. On peut aussi consulter les recensions d’Anne sur Sucre noir (Rivages, 2017) et de Fabienne sur Héritage, (Rivages, 2020)
📌L'inventeur. Miguel Bonnefoy. Rivages Poche, 208 pages (2023)
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