Le syndrome du canal carpien. John Boyne

Le syndrome du canal carpien. John Boyne - Photo by camilo jimenez on Unsplash

Les membres de la famille Cleverley s’apprêtent à vivre une semaine vraiment pourrie. George, le père, la soixantaine bien préservée, est animateur vedette sur la BBC depuis plus de 30 ans. Sa popularité va prendre un coup dans l’aile suite à une remarque soi-disant maladroite sur les réseaux sociaux. Elisabeth, la propre fille du journaliste, n’est pas tout à fait innocente dans cette histoire mais je n’ai pas l’intention de tout vous révéler. Sachez seulement que des adeptes radicaux de la bien-pensance s’emparent du message incriminé, le déforme et le retweet à l’infini. George refuse de s’excuser, s’énerve puis commet boulettes sur boulettes. Beverley, son élégante épouse, publie des romans à l’eau de rose dont elle délègue l’écriture à des porte-plumes. Pour l’heure, son principal sujet de mécontentement réside plutôt dans le fait que son jeune amant ukrainien a décidé de s’envoler pour son pays natal, non sans lui laisser le soin de s’occuper de sa tortue centenaire. Maigre consolation ! Les trois enfants Cleverley vivent toujours à demeure bien que deux d’entre eux soient majeurs depuis longtemps. Nelson, l’aîné, a un sérieux problème de communication qui l’incite à se cacher derrière des déguisements ridicules et l’empêche d’avoir une vie sentimentale épanouissante. Elisabeth, sa sœur, n’a jamais exercé aucun métier en dépit de ses études dispendieuses dans des établissements prestigieux. Par ailleurs, elle a développé une addiction suicidaire aux réseaux sociaux. Le cadet, enfin, est selon l’avis de l’ensemble de la famille, un parfait crétin… Ils ignorent qu’Achille piste, via des applis de rencontre, de riches homosexuels matures et esseulés auxquels il soutire de fortes sommes d’argent. Ce tableau peu réjouissant des Cleverley laisse augurer une série de drames burlesques et je vous assure que le lecteur n’est pas déçu. 

Le syndrome du canal carpien est une satire sociale hilarante dont les cibles principales sont les Wokes et les adeptes des réseaux sociaux. J’ignore si John Boyne déteste vraiment le genre humain, mais je dois reconnaître que ses dialogues sont d’une férocité réjouissante. Le récit est émaillé de flasbacks préférant rappeler les dates liées au développement des réseaux sociaux plutôt que celles attachées à l’histoire politique ou scientifique.  Ainsi, comme chacun d’entre nous se souviens (s’il était né) ce qu’il faisait le 21 juillet 1969, le 9 novembre 1989 ou le 11 septembre 2001, le lecteur découvre où se trouvait la famille Cleverley en février 2004 (lorsque Mark Zuckerberg publiait le premier profil sur Facebook), en mars 2006 (quand Jack Dorsey créait Twitter), septembre 2011 (alors que Franck Reginald "Reggie" Brown lançait Snapchat) ou encore en septembre 2016 (lorsque Zhang Yiming développait TikTok). Evidemment le propos de John Boyne va au-delà de l’omniprésence du portable et des réseaux sociaux dans la vie quotidienne. Il dénonce la dictature des apparences et le renoncement à une certaine forme de culture. 

Extrait :

« La danse était un talent qui venait assez naturellement à Beverley. Même si elle n’aurait jamais pu devenir professionnelle, elle était assurément douée, et s’était maintenue longtemps dans cette émission qui, avec les années, était passée d’un divertissement léger à quelque chose qui captivait le public britannique comme à l’âge d’or de Opportunity Knocks3. Des célébrités de troisième classe aux abois annonçaient qu’ils voulaient y participer, des jeunes de moins de trente ans qui avaient été évincés de reality-shows affreusement sexuels déclaraient dans les interviews qu’ils rêvaient d’exécuter la valse viennoise devant des millions de téléspectateurs, et les rejetons abrutis et inemployables de superstars du football faisaient savoir qu’ils étaient ouverts à une offre de la BBC. Après tout, cela leur ferait gagner des centaines de milliers de nouveaux abonnés sur les réseaux sociaux. Devant les caméras, les concurrents affichaient un air de détachement plein de frivolité, mais en coulisses, on montrait plus de dents que dans une convention d’implantologues. »


Le syndrome du canal carpien. John Boyne. JC Lattès, 480 p. (2022)


Commentaires

  1. Sandrine31.10.22

    Tiens, ce roman-là ne ressemblent pas à ceux que j'ai lus de John Boyne, qui étaient historiques et m'ont d'ailleurs beaucoup plu.

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    1. C'est bien ce qui me semblait. J'ai entendu parler du "Garçon en pyjama rayé" quand il est sorti. Sauf erreur de ma part, c'est un roman historique pour enfant

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  2. Récemment j'ai lu un roman de Boyne, le billet n'est pas encore paru, mais après j'avais noté d'autres titres de l'auteur, je vois donc que ça vaut le coup!!!

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    1. J'attends ton billet. J'ai envie de connaître ton avis sur Boyne même si le roman que tu as lu est dans un registre différent

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  3. J'ai beaucoup mais vraiment beaucoup découvrir cet auteur dans une satire également féroce du petit monde des écrivains qui réussissent ... C'est L'audacieux monsieur Swift. Je n'hésite donc pas une seconde à noter celui-ci !

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  4. Dans ce livre, la romancière en prend aussi pour son grade ! Apparemment c'est dans la même veine que
    L'audacieux monsieur Swift . Je prends note

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  5. Je n'ai jamais lu cet auteur ; je ne m'intéresse pas énormément aux réseaux sociaux, je ne sais pas si j'apprécierais le roman que tu présentes. Je viens de vérifier, ma bibliothèque a plusieurs titres, je peux en essayer un autre.

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  6. Apparemment, ses autres livres sont très différents

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