Hâpy. Taleb Alrefai

Hâpy. Taleb Alrefai (Photo: Ruan Richard Rodrigues via Unsplash)


La question de l’identité sexuelle se prête-t-elle facilement au récit romanesque ? C’est un sujet dont les facettes sont multiples, parfois difficile à aborder y compris dans les sociétés émancipées. Il est carrément tabou dans les pays où le rigorisme religieux et/ou le poids des traditions ancestrales s’opposent aux différences. Le romancier koweïtien, Taleb Alrefai, s’est pourtant essayé à l’exercice. Le titre de son roman fait référence à Hâpy (ou Happy), le dieu égyptien hermaphrodite du Nil en crue.  

Dans la famille de Rayyane, il y a six filles… enfin jusqu’à que les médecins lui diagnostiquent une malformation congénitale, due à ses antécédents familiaux (ses parents sont cousins germains). Notre ado, déclaré fille à la naissance, apprend qu’il n’a ni utérus ni ovaires. Si Rayyane et (dans une moindre mesure, sa mère) avait pressenti ce fait depuis longtemps, ses proches tombent des nus. Leurs réactions s’avèrent même d’une extrême violence. Le père Rayyane, passager clandestin dans sa propre maison, a été écarté du secret le plus longtemps possible. Il est manipulé par sa fille, Noura, qui est la plus virulente. L’aînée de la fratrie oppose aux rapports médicaux des arguments religieux sans fondement puisque contredits par une fatwa autorisant la chirurgie réparatrice des organes sexuels et la réassignation de l’identité dominante du sujet. La controverse se poursuit alors sur le terrain juridique. Si Rayyane devient officiellement un homme, il sera alors l’héritier principal de ses parents. Ses sœurs se sentent lésées. Elles lui reprochent aussi d’attirer les ragots et le déshonore sur la famille. Sa mère (même dépassée par les évènements) et sa meilleure amie, Jawa, restent ses seuls soutiens dans la conquête de sa véritable identité. Rayyane doit suivre un traitement médicamenteux et subir plusieurs opérations. Le chemin est long et éprouvant. Rien ne sera épargné à cet adolescent fragile mais courageux. 

Rayyane est le narrateur exclusif de ce roman qui se substitue à son journal intime. La quatrième de couverture annonce que le livre s’inspire d’une histoire vraie et le héros répète à plusieurs reprises qu’il souhaite publier son témoignage sous forme romanesque. Par ailleurs, le caractère un peu répétitif du texte, lui insuffle un supplément de crédibilité.  Le lecteur est profondément touché par la souffrance et la résilience du narrateur.

Taleb Alrefai est l’un des seuls auteurs koweitiens traduits en français. Les éditions Actes Sud ont déjà publié Ici même (2016), L’ombre du soleil (2018) et Al-Najdi le marin (2018). Les lecteurs désireux de découvrir le pays natal de Taleb Alrefai à travers son œuvre devront sans doute se tourner vers l’un de ces trois livres. Hâpy, qui se concentre à juste titre sur la thématique transgenre, n’a pas cette ambition. 

 Extrait :

« — Demain sera un nouveau jour !

J’aurais souhaité qu’elle me dise Bonne nuit, mon chéri et non Bonne nuit, ma chérie !

Maman. Jamais je n’oublierai combien elle m’avait aidé et soutenu au long de ces deux dernières années. Elle avait tout supporté : les jugements, les disputes et les menaces de tous. Sans relâche, elle avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour se tenir à mes côtés. Sans elle, je ne serais pas ici aujourd’hui. Mais à ce moment-là, elle n’osait pas encore tout à fait affronter la rugueuse réalité (…)

Maman avait longtemps été la seule à comprendre mon problème : je souffrais depuis ma naissance d’une malformation génétique contre laquelle je ne pouvais rien. Elle m’avait accompagnée à chaque étape : elle était là pour les premières analyses, pour les radiographies, pour les traitements et la rémission de mon épreuve. Bien sûr, son regard sans cesse noyé de larmes avait maintes fois trahi son malaise et ses souffrances. Je me souviendrai toujours du jour où elle m’avait murmuré dans un soupir désespéré qui m’avait profondément blessé :

— J’ai pensé à tout, à tout, Rayyane, à tout, sauf à la transsexualité !»

 

Hâpy, histoire d'un transgenre koweïtien. Taleb Alrefai. Actes Sud, 256 p. (2022)


Commentaires

  1. Vraiment tu mets la main sur des livres différents, le pays ou le thème!

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  2. Merci. J'aime découvrir de nouveaux horizons.

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