Le k ne se prononce pas. Souvankham Thammavongsa

Le k ne se prononce pas. Souvankham Thammavongsa


 Née en Thaïlande de parents laotiens, Souvankham Thammavongsa vit aujourd’hui au Canada. How to pronounce knife, en version originale, a été récompensé en 2020 par le prix Giller (équivalent canadien du Goncourt) et le Trillium Book Award. Ce recueil de nouvelles est un hymne à ses origines laotiennes, un hommage à tous ceux qui sont forcés de quitter leur terre natale pour vivre dans un pays dont ils ignorent souvent la langue et les codes. Dans ses conditions, il s’avère difficile pour eux de trouver un travail et un logement. A cela s’ajoute le mal du pays, la difficulté de trouver des produits ou des ingrédients qui ont la saveur du souvenir… et puis l’éloignement des enfants qui ne connaissent pas directement la culture d’origine de leurs parents. Les nouvelles de Souvankham Thammavongsa évoquent tout cela… parfois avec tendresse et humour, parfois avec brutalité ou tristesse.

La maîtrise ou non d’une langue est sans doute l’un des marqueurs sociaux les plus forts. En ce sens, la première nouvelle, celle qui donne son titre à l’ouvrage, donne le ton. Dans cette histoire, une petite fille n’ose pas dire à sa maîtresse que ses parents ne parlent pas bien anglais. Ils ne lisent pas les billets qu’elle leur transmet. Si c’était important, l’administration scolaire les appellerait, non ? C’est ainsi que Joy est humiliée le jour de la photo de classe car tous les autres sont sur leur 31. Ses parents ont juste raté l’information. La fillette pourtant ne se plaint pas. Bien au contraire ; elle se montre solidaire. Ainsi, lorsque son père se trompe dans la prononciation du mot couteau (Knife en anglais), elle s’obstine à prononcer le K muet devant la maîtresse, Melle Choi. Les encouragements et les moqueries de ses camarades ni feront rien, ni la perspective de perdre la récompense promise par Melle Choi, ni même la convocation chez le directeur de l’école. Son père ne saurait avoir tort, pas devant les autres en tout cas. La maîtresse, qui n’est pas insensible aux difficultés engendrées par l’amour propre de Joy, finira par lui donner le prix tant espéré : un puzzle représentant un avion dans le ciel.

Le recueil de Souvankham Thammavongsa compte quatorze nouvelles qui mettent en scène des personnages très différents : un boxeur reconverti dans la manucure, une septuagénaire qui (re)découvre le plaisir charnel, un homme qui singe le chanteur de country pour plaire à son épouse, un imprimeur qui lit l’avenir des couples dans les faire-part de mariage, une jeune femme qui s’élève dans la hiérarchie d’un abattoir grâce à une rhinoplastie … autant d’histoires qui nous en apprennent davantage sur la diaspora laotienne. 

Extrait :

« L’enfant se mit à lire. Tout alla bien jusqu’à ce qu’elle arrive à ce mot. Il n’avait que cinq lettres, mais il aurait tout aussi bien pu en avoir vingt. Elle le prononça comme l’avait fait son père, mais elle sut qu’elle avait faux car Miss Choi ne tourna pas la page. Au lieu de cela, elle pointait le mot en tapant sur la page comme si par magie la bonne prononciation se ferait entendre. Mais l’enfant ne savait pas comment le prononcer.Tap. Tap. Tap. Une fille aux cheveux jaunes finit par s’écrier : "C’est knife! Le k ne se prononce pas", levant les yeux au ciel comme s’il n’y avait rien de plus facile au monde. »

Le k ne se prononce pas. Souvankham Thammavongsa. Mémoire d'encrier, 136 p. (2021)


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